Il est n'est pas rare de voir, au-delà de leur vocation, des sœurs religieuses exercer dans la santé, l'éducation, la musique, ou d'autres domaines d'activité. Mais le cas de Sœur Alphonsine Yanogo sort de l'ordinaire. A la tête du garage Saint-Michel des sœurs de l'Immaculée Conception, situé au quartier Tampouy de Ouagadougou, elle brise les codes. La mécanique auto, la tôlerie, l'électricité et la peinture n'ont plus de secret pour cette nonne aussi à l'aise avec une clé à molette qu'avec une Bible. Nous l'avons rencontrée au milieu de voitures en panne le 16 décembre dernier.
Déjà une femme garagiste, on n'en croise pas tous les jours. En plus qu'en elle est une sœur religieuse, cela ne court vraiment pas les rues. Mais Alphonsine Yanogo réunit toutes ces exceptions.
Vêtue d'une tenue de travail bleue, elle se tient fièrement au milieu du garage Saint-Michel des sœurs de l'Immaculée Conception à Tampouy. Il n'y a peut-être que la croix qu'elle arbore autour de son cou pour trahir la vocation de cette quadragénaire qui affiche toujours un large sourire.
Comme tous les jours, le garage ne désemplit pas. La maîtresse des lieux n'hésite pas à mettre la main dans le cambouis pour accélérer une réparation.
La genèse de cette histoire, c'est d'abord une passion qu'Alphonsine Yanogo a nourrie très tôt pour la mécanique dont on dit pourtant qu'elle n'est pas le dada des femmes.
Mais avant de devenir sœur, Alphonsine a suivi la voie du Seigneur. De membre de la Congrégation des Sœurs de l'Immaculée Conception de Ouagadougou (SIC) elle est devenue religieuse en 2001.
Passée par l'apostolat de l'aumônerie des lycées et collèges de Ouagadougou, et dans l'enseignement à Dédougou pendant deux ans (2002-2004), elle a finalement décidé de faire une place à son second amour. " En 2006, je suis allée me former au Centre Gabriel Taborin à Saaba et au bout de deux ans, je suis sortie avec un BEP (Brevet d'études professionnelles) en mécanique automobile ", se souvient-elle. L'année qui a suivi, exactement le 10 mars 2009, son "bébé", le garage Saint-Michel, voyait le jour.
La passion aidant, la sœur religieuse se fait rapidement un nom par son travail bien fait, sa rigueur et sa fermeté. Toujours au four et au moulin, elle est à elle seule un véritable jeu de clés, tant elle sait être tout : comptable, secrétaire et chef garagiste. Saint-Michel, c'est aussi une trentaine d'employés spécialisés en mécanique automobile, en soudure, en tôlerie, en peinture et en électricité. Dans chaque section, deux responsables s'assurent du bon déroulement des activités et surtout de l'ordre en l'absence de la patronne des lieux qui est amenée à faire des courses.
De ses explications, les portes du garage s'ouvrent à partir de 7h30 pour tout le personnel. A midi, elle prend sa pause ; cet instant est mis à profit pour la prière et le repas communautaire avec les membres de sa communauté qui vivent non loin du garage. Elle revient à l'atelier à 15h pour n'en repartir qu'à 18h.
Quand elle n'est pas dans ses ateliers, sœur Alphonsine s'habille comme toute bonne sœur. Mais au job, elle attache un foulard sur son voile blanc qui reste " immaculé ". La nonne noue également un pagne sur sa robe avant de se placer à son poste de comptabilité ou de secrétariat dans son bureau situé à l'entrée dudit garage.
"Au début, je suscitais la curiosité des passants et j'ai rencontré beaucoup de difficultés car bon nombre de personnes ne savaient pas que le garage était ouvert à tout le monde. Mais de bouche à oreille, les choses ont évolué et je rends grâce à Dieu", confie la religieuse. Autrement dit, les affaires marchent bien.
75% des bénéfices à la Congrégation
En ce qui concerne les bénéfices, 75% reviennent à sa Congrégation et 25% pour le fonctionnement du garage et des autres dépenses. " Je suis religieuse, mais il faut bien faire fonctionner le garage et payer les employés qui ont eux aussi des charges ", explique-t-elle. Elle se réjouit car de nos jours, l'atelier, qui est ouvert à tout le monde sans distinction de religion et de profession, connaît un certain engouement. Elle ambitionne même de former d'autres religieuses au métier.
La moniale dit n'avoir aucun problème avec les membres de sa communauté et essaie de concilier au mieux ses différentes activités. " Avant d'être mécanicienne, c'est la vie religieuse qui prime ", dit-elle, la main sur le cœur.
L'ambiance au sein de l'atelier est conviviale et bon-enfant. Ce n'est pas Abdoul Rachid Ouangrawa qui dira le contraire. Il travaille avec sœur Alphonsine Yanogo depuis 8 ans et ne compte pas s'arrêter de sitôt. "Je quitterai le garage Saint-Michel le jour que j'ouvrirai le mien pour travailler à mon compte", indique-t-il, ajoutant se sentir à l'aise de pratiquer sa foi musulmane dans un garage au nom très connoté à une religion. Il apprécie particulièrement sa patronne pour sa rigueur, sa disponibilité et son humanisme. La sœur Alphonsine demande seulement à chacun de bien faire son travail pour satisfaire les clients. Et de satisfaction clientèle parlons-en.
Lucien Méda, fonctionnaire en service à Fada N'Gourma, a eu un accrochage avec son véhicule et a été orienté vers le garage Saint-Michel des sœurs de l'Immaculée Conception de Ouagadougou pour la réparation. "J'ai toujours été satisfait des services qu'ils offrent et ne m'en passe plus dès que j'ai une panne mécanique à Ouaga", indique-t-il.
Mais comme dans toute activité humaine, Sœur Yanogo rencontre des difficultés sur le terrain avec certains clients. C'est le cas de ces personnes qui, après réparation de leurs véhicules, reviennent s'en plaindre et tenez-vous bien quelques mois plus tard. Pire, certains ne reviennent plus pour régler ce qu'ils doivent au garage, ils disparaissent dans la nature. Certains n'ont vraiment pas peur de Dieu...