Madagascar: À propos de " désordres imprévus " et de " faits curieux "

Le résident général Hippolyte Laroche remet ses pouvoirs à son successeur, le général Joseph Gallieni, le 28 septembre 1896. Le 8 octobre, dans son dernier rapport de quinzaine, il écrit en substance : " Aucun trouble, si léger soit-il, ne s'est produit à la suite de la publication à Antananarivo et dans les provinces (les nouvelles de Fianarantsoa ne sont pas encore arrivées) de l'arrêté d'émancipation au bas duquel les indigènes lisent ma signature. " Même les " textes d'application " conçus sous Gallieni, quand ils révèlent des " désordres imprévus ", font seulement état de " faits assez curieux ", soit en eux-mêmes, soit par les réactions qu'ils provoquent, mais qu'on hésite a priori à qualifier de " désordres ". C'est le cas des " fêtes déplacées " qui choquent le prince Ramahatra et par lesquelles certains esclaves célèbrent leur libération. Selon le couple Bakoly et Jean-Pierre Domenichini, dans une étude sur les aspects de l'esclavage sous la monarchie merina (lire précédente Note), ces fêtes sont avant tout " révélateurs du poids du mépris qui accompagnait le statut d'esclave ".

Ce mépris, ajoute-t-il, semble faire partie d'une représentation du monde qui fonde l'ordre social sur " une opposition puissamment symbolique entre l'homme esclave, occupant le degré le plus bas de la hiérarchie, et la femme noble qui occupe le sommet ". Cette opposition est un aspect fondamental de la culture dominante dans la tradition malgache, poursuivent les deux auteurs. On en trouve dans trois angano (légendes) centrés respectivement sur les personnages d'Imaitsoanala (La-verte-en-forêt), d'Andrianoro (Le-prince-du-bonheur) et de Rakotojabo (Le-jeune-homme-en-coton-rabane), ainsi que dans Princesses du Ciel et Princes de la Terre. Toujours d'après les deux auteurs de l'étude, pour le prince Ramahatra, cette opposition peut être remise en cause par l'abolition de l'esclavage. Il estime que celle-ci doive être simplement acceptée " parce qu'il n'est pas bon pour les Malgaches de rester en dehors du progrès des nations civilisées ". Le couple Domenichini relève, cependant, qu'il n'est pas exclu que Ramahatra, figurant au nombre des accusés de fomenter un complot contre la France, en juin 1896, " ait exagéré à dessein et que son discours ait fait partie de la batterie d'appel à l'insurrection ".

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Les "désordres" relevés par le Premier ministre Rasanjy dans sa circulaire du 2 novembre 1896, montrent effectivement qu'Hippolyte Laroche n'a pas tout prévu. Il n'a pas prévu que d'anciens maitres ayant peut-être atteint " la prise de conscience de l'inutilité des esclaves ", se mettraient à chasser les esclaves libérés qui désiraient rester auprès d'eux. Dans tous les cas, aucun texte législatif ou règlementaire ne vient signifier que ces "bruits" soient suivis d'un quelconque effet. Bruits que d'autres " esclaves libérés " qui ont quitté leurs anciens maitres, de plein gré ou chassés par ces derniers, auraient fait courir pour effrayer ceux qui restent attachés à leurs anciens maitres. Bruits qui affirment, enfin, que s'ils continuent à rester attachés à leurs anciens maitres, ils seraient à jamais esclaves.

Ou qu'ils seraient déclarés coupables devant la loi et seraient passibles d'une peine d'amende de dix bœufs et dix piastres. Rasanjy met en évidence que l'article 5 de l'arrêté qui abolit la traite répond, au moins, autant à des préoccupations humanitaires qu'à des soucis d'ordre public. Pourtant, les critiques voient autrement le sens de cet article, en particulier, et de cette loi, en général. Ils pensent que la traite est abolie en attendant que les gouvernants, sous la férule de Gallieni se mettent à l'exploiter en vue de faciliter l'instauration du nouvel esclavage- institué " sans le mot " mais en plus dur- par les arrêtés successifs relatifs au travail obligatoire et à la règlementation du travail. Bref, " la fonction économique de l'esclavage ". Les auteurs soulignent en particulier l'arrêté 69 sur les " Prestations des indigènes " du 21 octobre 1896 qui, selon eux, justifie alors largement l'action de ces " esclaves libérés ". Car " ceux-ci devaient avoir conscience d'avoir gardé une chance, si minime soit-elle, d'échapper à cette iniquité en s'éclipsant soit pour disparaitre dans la nature soit pour rejoindre les insurgés ".

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