Le projet de loi sur l'immigration du gouvernement passé devant le Conseil d'État devra être présenté en janvier en Conseil des ministres, avant son examen devant le Parlement. Parmi les mesures que préconise ce texte, intitulé " Pour contrôler l'immigration et améliorer l'intégration ", il est question notamment de délivrer des titres de séjour à des travailleurs étrangers sans-papiers exerçant un métier dans des secteurs en tension. RFI a pu rencontrer un Malien (*) d'une quarantaine d'années qui vit et travaille en France depuis plus de 15 ans. Malgré le fait qu'il exerce un métier en tension, il fait l'objet d'une OQTF (obligation de quitter le territoire français).
Comment êtes-vous arrivé en France ?
Je suis arrivé en France en 2005 avec un visa touriste. J'ai préféré rester là après l'expiration de mon visa et de travailler. Je suis là, je vis dans un foyer. Je travaille. J'ai fait la demande de régularisation auprès de la préfecture. Ils me rejettent, ils me donnent l'OQTF des fois, ça me bloque. Je ne peux pas faire une nouvelle demande, il faut attendre deux ans de OQTF ou un an de OQTF.
Quel était votre projet ? Ce n'était pas de rester en France...
Avant de venir en France, nous, on vient du village. Je venais ici précisément pour travailler et aider un peu la famille, trouver des petites choses pour aller investir là-bas comme l'élevage ou autre chose, pour l'agriculture dans nos champs. J'aimerais bien retourner au pays pour travailler là-bas et pour vivre là-bas auprès de ma famille. Ma situation m'a bloqué et je suis resté là.
Vous avez fait une demande de régularisation deux fois. Et la toute dernière qui est en cours a été rejetée. Vous vous êtes retrouvé avec une OQTF, c'est-à-dire une obligation de quitter le territoire français. Comment avez-vous vécu cela ?
Pour l'OQTF, c'est vraiment dur, très compliqué pour nous, travailleurs sans-papiers en France. Avec l'OQTF sur le dos, le matin pour se réveiller, ça fait peur. Pour aller au travail, pour monter dans le bus ou dans le train, tu regardes à gauche, à droite, devant, derrière. Vraiment, c'est dur à vivre. Quand tu vois devant toi quelqu'un avec le blouson noir, tu es obligé de tourner le dos parce que tu ne peux pas y aller. Souvent ça arrive quand tu arrives au chantier, tu trouves quelqu'un que tu ne connais pas. Avec l'OQTF, tu es obligé de retourner à la maison, de ne pas aller travailler, parce que quand ils t'attrapent avec l'OQTF, c'est le centre de détention direct.
Et pourtant, vous êtes obligé de continuer à travailler...
Obligé, c'est bien ça. En France aujourd'hui, si tu ne travailles pas, tu ne peux rien faire. Rien que la carte Navigo pour 70 ou 80 euros par mois, personne ne te donne ça. Pour la nourriture, tout le monde sait maintenant comment la vie est chère : on paie le loyer, on n'a pas d'aides, on n'a rien. On est obligé de travailler dur pour payer nos loyers, pour déclarer nos impôts, on paie les impôts, on paie toutes les taxes. Tu mets tous les justificatifs à la préfecture. Ils les rejettent et te donnent l'OQTF. Ce n'est pas facile, mais tu es obligé, même avec la peur au ventre, tu es obligé de sortir, d'aller travailler pour aider la famille, pour les nourrir et pour te nourrir toi-même. Pour payer tes loyers, pour payer tes déplacements et les vêtements.
Vous travaillez dans quel domaine ?
Moi, je travaille dans le bâtiment depuis presque 8 ans. Au début, j'ai commencé par être manœuvre, après, je suis devenu un maçon. J'ai travaillé 5 ans dans les travaux publics pour faire l'autoroute. J'ai travaillé un peu dans d'autres domaines, mais le plus, c'est dans le bâtiment.
Est-ce que votre employeur connaît votre situation administrative ?
Au début, non, mais maintenant oui. Mon employeur continue toujours à me faire travailler. Je peux travailler du lundi au samedi et être payé comme une personne qui travaille du lundi au vendredi, parce que je n'ai pas de papiers. Je peux être donc moins bien payé, avec beaucoup de choses qui ne vont pas sur ma fiche de paie, mais, où est-ce que je vais aller réclamer ou me plaindre ? L'employeur profite gravement de notre situation, parce qu'il sait qu'on ne peut pas aller se plaindre nulle part, surtout quand on a OQTF.
*Pour des questions de sécurité, nous ne donnons pas le nom de la personne qui nous a accordé cet entretien.