Afrique: La COP15 a été un succès- Mais les cibles ambitieuses de protection de la biodiversité seront-elles atteintes ?

COP15 - Montréal (Canada)
analyse

La pandémie de Covid-19 n'a pas seulement altéré nos vies depuis 2020, elle a également eu de profonds impacts sur la collaboration internationale, notamment en matière de protection de la biodiversité.

Initialement prévue en octobre 2020, soit 10 ans après le protocole de Nagoya et l'adoption des objectifs d'Aichi, la seconde partie de la Conférence des Parties sur la Convention de la Biodiversité des Nations-Unies (COP CDB) de Kunming a été reportée, et s'est finalement tenue à Montréal du 7 au 19 décembre 2022.

Chercheurs à l'Université d'Ottawa et à l'UQAM, nous avons représenté le Centre du droit de l'environnement et de la durabilité mondiale à la COP 15 en tant qu'observateurs durant toute la conférence.

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Un nouveau cadre pour tenter d'arrêter l'érosion de la biodiversité

Les négociations de la COP15 se sont cristallisées autour de trois thèmes majeurs interreliés, selon les déclarations de certaines délégations : l'adoption d'un nouveau cadre mondial de la biodiversité post-2020, la mobilisation de ressources financières et l'encadrement de l'information de séquençage numérique.

La décennie des Nations-Unies sur la biodiversité 2011-2020 n'a pas été suffisante pour inverser le cours de la perte de la biodiversité et assurer sa conservation à travers le monde. En effet, la majorité des États-Parties, dont le Canada, ont échoué à atteindre à l'horizon 2020 les 20 objectifs fixés dans les cibles d'Aichi. Dans ce contexte, un des enjeux majeurs de la COP15 consistait dans l'adoption (avec deux ans de retard) de nouveaux objectifs ambitieux, chiffrés et mesurables pour la protection de la biodiversité à l'horizon 2030.

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Compte tenu de cela, la COP15 peut être considérée comme un succès avec l'adoption du Cadre mondial pour la Biodiversité de Kunming-Montréal. Ce cadre adopté dans la nuit de dimanche à lundi comprend quatre objectifs et 23 cibles parmi lesquelles la cible 3 (ou 30 par 30) visant à protéger au moins 30 % des zones terrestres, des eaux intérieures et des zones côtières et marines d'ici 2030. Ce cadre constituera la feuille de route des États pour les huit prochaines années.

Les nouvelles ressources financières toujours insuffisantes pour les pays en développement

Dans la course pour la réalisation de ces cibles, le financement jouera un rôle clé.

Les pays en développement, qui abritent une large part de la biodiversité mondiale, l'ont bien compris et ont insisté sur ce point durant les deux semaines de négociations. Les pays développés se sont finalement engagés à fournir aux pays en développement 20 milliards de dollars par an d'ici à 2025 puis 30 milliards par an d'ici à 2030 pour la mise en œuvre du nouveau cadre mondial (aujourd'hui ces financements sont de l'ordre de 10 milliards de dollars).

Ces engagements, même s'ils sont supérieurs aux propositions initiales des pays développés, demeurent inférieurs aux attentes des pays en développement qui demandaient 100 milliards de dollars par an.

Un nouveau mécanisme pour encadrer l'ISN

Dernier sujet âprement discuté durant les deux semaines de négociation : l'encadrement de l'usage et de l'exploitation de l'information de séquençage numérique (ISN).

Il s'agit de ressources cruciales pour la recherche scientifique, disponibles en ligne, gratuitement et parfois sans aucune traçabilité vers les pays d'origine des ressources. Ces informations conservées au sein de larges bases de données en ligne ne font jusqu'à ce jour l'objet d'aucun partage des avantages qui découlent de leur exploitation.

Ces avantages, notamment financiers, pourraient pourtant potentiellement être mobilisés en partie à des fins de conservation de la biodiversité. Ceci est un sujet de mécontentement profond pour les États qui ont fourni les ressources dont est issue l'ISN, notamment les pays du groupe africain.

À l'issue de négociations très tendues, une solution de compromis a été retenue : l'adoption d'un mécanisme multilatéral de partage ainsi qu'un fonds mondial dont les détails seront négociés lors de la prochaine COP, qui sera organisée dans deux ans, en Turquie. En parvenant à cet accord, les parties ont évité un blocage de l'adoption du cadre mondial de la biodiversité qui avait été brandi par certains États.

Un manque de confiance entre les pays développés et en développement

Comme lors de la négociation des objectifs d'Aichi, l'adoption du cadre mondial sur la biodiversité s'est faite dans la douleur. Si le cadre a été adopté en avance sur l'horaire, la manière de procéder a été sévèrement critiquée par certaines délégations.

Et pour cause, la présidence chinoise a précipité l'adoption des dernières décisions en négociation, dont celle portant sur le cadre mondial, malgré l'opposition d'un représentant de la République Démocratique du Congo (RDC) lors d'une plénière nocturne. Au lendemain de cette rencontre, le secrétariat de la CDB a affirmé que les décisions avaient été adoptées par consensus (et non à l'unanimité) et sans objection formelle.

Cette affirmation est contredite par les déclarations de plusieurs représentants, dont la RDC, qui a pu réaffirmer son opposition lors de la dernière plénière de la COP. Celle-ci sera consignée dans les textes. Cet incident diplomatique arrive à l'occasion d'une convention au cours de laquelle le manque de confiance entre les pays du Nord et les pays du Sud a été souligné à de multiples reprises.

L'adoption rocambolesque du cadre mondial (malgré la tentative de rattrapage in extremis de la présidence chinoise) risque de laisser des traces dans les relations entre les parties à la Convention sur la diversité biologique et peut-être miner l'atteinte des objectifs fixés dans le cadre mondial.

Le Canada : hôte et facilitateur très engagé

Lors de la COP, le ministre de l'Environnement, Steven Guilbeault, a joué un rôle d'hôte actif dans les coulisses facilitant, au côté de la présidence chinoise, les négociations et la recherche de collaboration, consensus et compromis.

Sur la scène nationale, le gouvernement du Canada a effectué un grand nombre d'annonces en matière de protection environnementale. Le premier ministre Justin Trudeau avait d'ailleurs ouvert la COP15 avec un premier engagement de 350 millions de dollars destiné à soutenir les efforts mondiaux pour conserver et inverser la perte de biodiversité dans le monde.

Un investissement supplémentaire de 255 millions au FEM (Fonds pour l'Environnement Mondial) pour la conservation de la nature (ex. : Action climatique féministe dans l'ouest de l'Afrique, stratégie forestière au Maroc), a été effectué par le ministre Guilbeault, propulsant le Canada au rang de 7e plus grand contributeur au GEF.

D'autres annonces à retenir incluent la participation du Canada au Défi de Bonn et son engagement à restaurer 19 millions d'hectares de terre et de forêts dégradés d'ici 2030 ainsi que le lancement du Réseau national des Gardiens des Premières Nations_, qui permettra de faciliter la collaboration et la coordination des initiatives environnementales autochtones à travers le pays.

Le travail ne fait que commencer

L'adoption du Cadre mondial pour la Biodiversité de Kunming-Montréal constitue bel et bien un nouvel élan bienvenu afin de tenter d'inverser la perte de biodiversité à travers le monde.

Si certains ont déjà salué un moment historique ou encore une victoire, le travail ne fait en réalité que commencer.

Il serait plus raisonnable de crier victoire lorsque les cibles auront effectivement été atteintes, car rappelons-le, les objectifs d'Aichi ne l'ont pas été sur une période de 10 ans. Or les cibles du nouveau cadre sont d'une ambition supérieure aux précédentes. Et il ne reste que huit ans pour les atteindre.

Lauren Touchant, Professor at Vancouver Island University & Postdoctoral fellow, Centre d'études en gouvernance et du Centre de droit de l'environnement et de la durabilité mondiale, L'Université d'Ottawa/University of Ottawa

Elie Klee, Doctorant en droit international public, coordinateur du Centre du droit de l'environnement et de la durabilité mondiale de l'Université d'Ottawa, L'Université d'Ottawa/University of Ottawa

Erin Dobbelsteyn, PhD Student in Environmental Law, L'Université d'Ottawa/University of Ottawa

Lynda Hubert Ta, Professeur en droit, L'Université d'Ottawa/University of Ottawa

Nessan Akemakou, Chercheur postdoctoral, L'Université d'Ottawa/University of Ottawa

Thomas Burelli, Professeur en droit, Section de droit civil, Université d'Ottawa (Canada), membre du Conseil scientifique de la Fondation France Libertés, L'Université d'Ottawa/University of Ottawa

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