À Madagascar, se pose le défi de trouver des alternatives à la surexploitation du poivre sauvage. Cette épice endémique des forêts humides de l'est de la Grande Île, exportée aux États-Unis, en Europe ou encore en Asie, est prisée par les chefs de grands restaurants. Mais elle est aujourd'hui de plus en plus rare.
Le FoFiFa, centre national de recherche appliquée au développement rural, cherche à rendre la filière poivre plus durable, aux côtés des communautés locales qui tirent des revenus de cette activité, explique Harizoly Razafimandimby, chercheuse au département de recherches forestière et de gestion des ressources naturelles. Elle travaille depuis plus de dix ans sur le poivrier sauvage, appelé localement le "tsiperifery."
RFI: À quelles menaces le poivrier sauvage de Madagascar est-il confronté ?
Harizoly Razafimandimby: C'est surtout la méthode de collecte utilisée par les cueilleurs qui est à l'origine de la menace. Le poivrier sauvage est une grande liane qui peut monter jusqu'à 20 mètres sur un arbre tuteur pour chercher la lumière. Les gens coupent la liane avec l'arbre tuteur pour pouvoir atteindre les grappes et c'est ce qui constitue la principale menace. Donc dans les forêts où sont déjà passés les cueilleurs, il n'y a presque plus de pieds femelles. Avant, quand ils partaient collecter, par exemple, 30 kilos de sacs de poivre, ils partaient la journée. Mais après, ils partaient quasiment une semaine en forêt pour avoir la même quantité.
Depuis combien d'années ce poivre est-il exploité ?
L'exploitation du poivre sauvage à Madagascar a commencé autour de 2004 avec son exportation. Avant cela, c'était une espèce très connue des populations riveraines. Il y a toujours eu des filières locales mais avec de très petites quantités, vendues fraîches, sur les marchés locaux et les marchés d'Antananarivo. Il est utilisé localement comme une plante médicinale et comme un ingrédient pour faire le piment typiquement malgache, le sakay malagasy.
Comment s'organise cette filière de la cueillette jusqu'à l'exportation ?
Les cueilleurs, premiers acteurs de la filière, sont mal rémunérés par rapport au prix final de vente parce qu'il y a beaucoup d'intermédiaires jusqu'à l'exportation. Ils vendent leur poivre aux alentours de 3 000 ariary le kilo, soit moins d'un euro. Ils ne peuvent pas conserver le poivre frais une fois cueilli. Donc il faut le vendre à n'importe quel prix. Ils sont mal rémunérés mais cela constitue quand même une source d'argent, surtout que la période de fructification du poivrier sauvage coïncide avec les périodes de soudure en milieu rural. Dans nos projets, nous avons donné des formations et des équipements aux populations pour leur permettre de sécher le poivre à leur niveau et donc de le conserver plus longtemps et d'améliorer leur pouvoir de négociation.
Le manque de connaissances et de données a-t-il aussi contribué à sa mise en danger ?
La recherche a été devancée par l'exploitation. Il y a une grande lacune, d'abord, au niveau des connaissances scientifiques. Les recherches botaniques anciennes ont confondu le tsiperifery avec le poivre de la Réunion alors que nos récentes recherches ont montré que ce sont deux espèces différentes.
Au niveau des populations locales, comme c'est une source d'argent opportuniste au départ, le principal était d'avoir une grande quantité en une seule collecte. Elles ne savaient pas que l'espèce est dioïque, c'est-à-dire que les pieds femelles et mâles sont séparés, ce qui a contribué à le mettre en danger. L'évaluation du stock est actuellement en cours. Nous faisons de notre mieux pour avoir toutes les informations qui pourraient aider à la gestion durable de ce produit mais nos principales activités sont financées par des projets issus d'appels d'offres compétitives. C'est pour cela que nous n'avançons que très lentement.
Quelles sont les alternatives possibles pour éviter une disparition de cette espèce endémique de Madagascar ?
Dans nos recherches, nous avons mis au point un itinéraire technique de domestication. Nous collaborons avec des associations locales pour faire la plantation de poivriers sauvages soit en bordure des forêts, soit dans les forêts pour garder l'aspect sauvage du produit. Nous avons déjà des pieds fructifères. Nous avons planté plus de 10 000 pieds de tsiperifery femelles en forêt. C'est en bonne voie mais nous sommes ralentis par le manque de financement pour mettre en place les pépinières, élargir nos champs d'actions et travailler avec d'autres populations locales. C'est un produit qui pourrait être utilisé pour l'amélioration de la vie des populations rurales à Madagascar et qui pourrait aussi être conciliée avec la conservation des forêts parce qu'une fois que les populations sont convaincues que la forêt est leur source de revenus, c'est plus simple de leur faire comprendre qu'il faut la conserver.