Sénégal: Récupération des terres dégradées dans le Sine-Saloum - La seconde vie de la vallée rizicole de Mbissel

25 Décembre 2022

À l'abandon pendant des années à cause de la salinisation, la vallée de Mbissel, haut lieu de la riziculture dans la commune de Fimela (région de Fatick), a retrouvé un second souffle grâce aux actions de l'Institut national de pédologie (Inp). Au grand bonheur des exploitants rizicoles.

Le contraste est saisissant. Il se donne à voir grâce à la ligne de démarcation que constitue la route parfaite qui relie Fimela à Joal Fadiouth. À gauche, les terres soumises à l'influence du sel, à droite les terres libérées de son emprise. D'un côté, une surface imberbe tapissée par une fine couche blanchâtre où ne pousse presque rien, sinon quelques arbustes rabougris épars en bordure d'une lie d'eau où viennent picorer des hérons. De l'autre, une cuvette verdoyante, broussailleuse, où s'épanouissent des champs de riz à côté d'un petit cours d'eau fleuri de nénuphars.

Des femmes, pagnes retroussés jusqu'aux genoux, procèdent à la moisson du riz qu'elles utiliseront pour nourrir leurs familles. Quant aux jeunes du coin, face aux difficultés financières de leur Association sportive et culturelle (Asc), ils ont eu la belle idée de descendre dans cette rizière pour exploiter une parcelle. Avec les recettes tirées de la commercialisation de leur production, ils renfloueront leur caisse. Certains exploitants viennent même de contrées plus éloignées, à l'image de Libasse Bâ, ancien douanier reconverti dans la culture du riz et Moustapha Bâ, tous deux de Djilor. C'est que la vallée de Mbissel (à cheval entre les régions de Thiès et de Fatick) exerce un certain attrait sur les riziculteurs. Elle est de nouveau florissante.

Victime de la sécheresse et de la salinisation.

Bordée principalement par les villages de Kobogoye 2, de Mbissel et de Fadial (commune de Fimela, région de Fatick), cette vallée a été pendant longtemps abandonnée à cause de la salinisation du fait de la présence du bras de mer appelé " O'mag ". Avec l'avancée de la langue salée, ce jadis haut lieu de la culture du riz fut donc déserté, plongeant les populations riveraines dans le dénuement, elles qui y tiraient une partie de leur subsistance. " À l'époque, nous ne savions pas combien coûtait le kilogramme de riz, parce que nous n'en achetions jamais. Tout ce que nous consommions venait de cette vallée ", explique le représentant du chef du village de Kobogoye 2, Lamine Konaré. Du haut de ses 80 ans, il se rappelle que le mauvais tournant a eu lieu dans les années 1970. Du jour au lendemain, les cycles de sécheresses ont anéanti tous les efforts en matière d'aménagement et de maîtrise de l'eau. La salinisation donna le coup de grâce. Une double peine à laquelle les exploitants de cette vallée n'ont pu résister. " Nous avons donc dû nous résoudre à presque abandonner la culture du riz ", renchérit Madeleine Diouf, dirigeante d'une association de femmes de Mbissel.

Mais tout a changé quand l'Ong Wetlands International, à travers une association des producteurs, intervint pour renforcer la riziculture dans la localité. Face à l'ampleur de la salinisation favorisée par l'intrusion marine et la remontée capillaire, qui a conduit à une baisse de la production agricole, l'Ong a sollicité l'expertise de l'Institut national de pédologie (Inp). Après confirmation de la salinité, ce dernier a préconisé une stratégie de lutte basée sur l'amendement au phosphogypse (produit avec une certaine valeur fertilisante) sur 6 hectares associé au fumier organique suivi d'un labour croisé et d'un léger drainage. " Les amendements permettent d'améliorer la structure du sol et d'éliminer le sel. Le labour améliore l'enfouissement en jouant sur la porosité et l'aération. Tandis que le drainage permet d'enlever le sel par lessivage ", détaille Mar Ndiaye, ingénieur agronome, Délégué de l'Inp dans le Sine-Saloum. Mais l'Inp ne s'est pas limité à appliquer ces technologies, elle les a partagées avec les populations par la formation de relais, lesquels se chargeront de les démultiplier dans toute la zone.

L'apport décisif de l'Inp et de Wetlands International.

Des actions qui ont donné des résultats que les bénéficiaires magnifient. " Nous en sommes à notre cinquième saison depuis que cette vallée a été restaurée. Chaque année, nous observons une amélioration très sensible des rendements. Même si nous n'avons pas encore atteint les productions d'antan, certains petits ménages de cinq à six personnes parviennent à se nourrir, sur une année, grâce au riz de cette vallée ", indique Madeleine Diouf. Daouda Kane de la Coordination des actions pour la restauration des écosystèmes mangroves (Carem) qui a joué un grand rôle pour que la vallée de Mbissel retrouve une seconde vie, fait chorus. Quant à l'ancien douanier Libasse Bâ, il ne regrette pas son pari de venir dans cette vallée. En pleine moisson, les deux hectares qu'il exploite lui ont déjà donné 23 sacs de riz paddy alors qu'il vient à peine de commencer. Il table sur une cinquantaine de sacs à la fin des opérations. Son voisin de champ, sur un hectare, a déjà collecté 17 sacs. L'ancien gabelou, tout en saluant les actions de l'Inp en matière de techniques culturales, d'appui en semences et de subvention pour la location de tracteurs, loue l'ouverture d'esprit des populations de Kobogoye qui ont accepté que lui et Moustapha Bâ exploitent des parcelles rizicoles dans cette vallée. Un site dont le potentiel peut encore être mieux valorisé, selon ce dernier. " Cette vallée peut nourrir tout l'arrondissement de Fimela. On peut même y faire du maraîchage en contre-saison si on arrive à réaliser des bassins de rétention d'eau ", préconise-t-il.

En effet, jusqu'à présent, l'eau est présente sur le site. Ce qui n'est pas toujours commode en période de moisson, surtout pour les femmes dont certaines ont avoué avoir peur d'y plonger les pieds pour de nombreuses raisons. D'où la pertinence du drainage de cette eau stagnante, résultat de la forte pluviométrie de cette année, vers des bassins de rétention. Si elle ne facilite pas la moisson pour certains, cette eau sur les lieux confère pourtant un avantage, comme le souligne Madeleine Diouf. " La présence de l'eau encore en cette période de l'année favorise une nouvelle épiaison du riz ", soutient-elle. Un phénomène qui se constate de visu. À côté des épis matures dorés qui n'attendent que d'être fauchés, de nouvelles pousses verdoyantes émergent. " Pour dire que cette vallée continuera à donner du riz les mois à venir ", ajoute le représentant du chef de village.

Multiplier les ouvrages pour sauver les vallées

Les résultats obtenus dans la vallée de Mbissel, c'est la raison d'être de l'Institut national de pédologie (Inp). Avec son vaste programme de renforcement des capacités des producteurs, cette structure s'est fixé comme objectif d'accompagner les producteurs vers une amélioration de la production agricole par la prise en compte des besoins nutritionnels des plants grâce à la promotion de bonnes pratiques de gestion durable des terres. Présent dans la tournée dans les délégations de Kaolack et de Tambacounda, le directeur de l'Inp, Mamadou Amadou Sow, a pu constater les acquis obtenus. Mais, vu l'ampleur des terres dégradées à cause de la salinisation entre les zones agro-écologiques de la Casamance et du Sine-Saloum, il faut renforcer les efforts, souligne-t-il. C'est en cela qu'il s'est félicité de la réalisation d'une digue anti-sel et d'un barrage de retenue d'eau dans la conception de la route entre Fimela et Joal Fadiouth. Deux ouvrages qui ont grandement contribué, en complément aux actions de l'Inp, à sauver la vallée de Mbissel. " Cette route joue un double rôle : permettre aux gens de se déplacer, mais également empêcher les eaux salées d'infiltrer la vallée. Il faut multiplier ce genre d'ouvrage en Casamance et dans le Sine-Saloum qui sont des zones sans reliefs où nous avons une centaine de vallées dégradées à cause du sel. En effet, il suffit d'une petite montée du niveau de la mer pour que les terres arables soient envahies. Or, une fois que les eaux salées infiltrent les terres, il faut beaucoup d'années et beaucoup de moyens pour les évacuer ", explique-t-il. La preuve par la vallée de Mbissel où il a fallu plus de quarante ans pour que la culture du riz s'y épanouisse à nouveau.

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