Madagascar: Des agapes qualifiées de surnaturelles

Quelle viande parfumée ! " s'écrie le roi Ralambo, fils du roi Andriamanelo, qui lui succède entre les années 1573 et 1610. Selon la légende, il aurait eu, le premier, l'idée de manger de la viande de jamoka.

Ce qui, selon des historiens, n'aurait jamais eu lieu (lire précédente note). En tout cas, il ordonne à ses esclaves d'en tuer et de le faire rôtir avec soin. La bosse du bœuf, une fois bien préparée, exhale un fumet si délicieux qu'il ne manque pas de s'exclamer. Toutefois, craignant qu'elle ne soit nuisible, il demande à ses esclaves d'en manger avant lui. Constatant qu'il n'y a rien à craindre, il se décide à en goûter lui-même et la trouve exquise. Heureux de sa découverte, il fait construire un vaste parc dans lequel il enferme un grand nombre de jamoka qui deviennent omby (ce mot signifiant que ces animaux ont pu entrer par le portail étroit du parc) et ordonne qu'on les engraisse avec soin. Il convoque ensuite une grande assemblée et dit à son peuple : " Tous ces bœufs m'appartiennent ; j'en ai goûté la chair et je la trouve excellente, surtout la bosse...

Je me réserve pareillement le 'vodihena' (arrière-train) de l'animal parce que, dans ce royaume, la fin est à moi. " Pour perpétuer le souvenir de son heureuse découverte, Ralambo établit une fête annuelle dont la viande de bœuf doit faire les frais. " C'est la Fête du Bain, le Fandroana, célébrée le 1er jour de la lune Alahamady qui l'a vu naitre. " En 1883, Ranavalona III qui accède au trône, reporte cette fête au 22 novembre, anniversaire de son couronnement. Elle est ensuite, sous le protectorat français, fixée au 14 juillet. Cette dernière date, mais en 1865, marque aussi l'intronisation de Rainilaiarivony comme Premier ministre.

Les mêmes historiens racontent que jadis, il existait à Ambohidrabiby de vastes cuves en fonte de la taille d'un bœuf entier, en commémoration sans doute de l'évènement légendaire. De même, dans la case Mahitsielafanjaka d'Andrianampoinimerina, roi de l'Imerina, au Rova d'Antananarivo, on a encore pu admirer un petit arsenal de piques, tridents et lardoires dont les dimensions ne s'expliquent que par de gargantuesques rôtis. Ces bœufs rôtis entiers sont désignés par les termes omby atsatsika, alors que le mot usuel rôtir se traduirait par mandritra. L'évolution culinaire se fait rapidement en une décennie comme le raconte des documents évoquant les mariages de deux héritiers du Premier ministre Rainilaiarivony, frère de Raharo, à dix ans d'intervalle, entre 1880 et 1891. Le 26 aout 1880, il marie son fils Ramariavelo (Rainiharovony) avec la demoiselle Razafimalala. Le banquet nuptial se déroule sur une prairie du domaine familial d'Amboditsiry, richement décorée et recouverte de tapis et de lamba, et réunit cent soixante dix-huit garçons d'honneur, soixante demoiselles d'honneur et mille invités, au nombre desquels toute la colonie européenne, française et anglaise surtout, d'Antananarivo. Mille neuf cent seize bourjanes assurent le service des Filanjana. L'Anglais Clarke qualifie de surnaturelles les agapes lorsqu'il apprend qu'on a abattu cinquante sept bœufs, engraissés en fosse, pour les préparer.

" Il est vrai que les viandes en furent distribuées à tous ceux- et ils étaient légions- qui avaient apporté des cadeaux de noce. " Ranavalona II et le Premier ministre parcourent les tables pour s'assurer du bien-être de tous, tandis que l'élite de la jeunesse européenne et malgache d'Antananarivo, surveille l'ordonnance du repas. Tout ce qu'on peut trouver de meilleur est sur les tables. Mais l'attraction inouïe du festin, est la présentation de six bœufs gras rôtis entiers. Des écriteaux qui les accompagnent, portent la mention " Tolomy aho fa matavy : mangez-moi je suis gras. " Les invités prélèvent eux-mêmes les morceaux de leur choix, tandis que se font entendre chanteurs et musiciens. Ce menu, dans le genre traditionnel, ne doit plus être suivi. Dix ans plus tard, en effet, à l'occasion d'une cérémonie identique, les mets changent du tout au tout, comme le relate un chroniqueur malgache, en évoquant un énorme festin, toujours donné par la Premier ministre, en 1891.

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