Madagascar: Le Tana culinaire, de l'imitation à la création

Deux grands festins sont organisés par le Premier ministre Rainilaiarivony en une décennie, 1880 et 1891. Entre ces deux années, une nette évolution se remarque dans l'habitude culinaire et alimentaire à Antananarivo. Le 26 aout 1880, le Premier ministre marie son fils Ramariavelo dans un banquet dont la cuisson respecte la pratique traditionnelle (lire précédentes Notes).

En 1891, un chroniqueur local relate un autre énorme festin offert, toujours dans sa résidence d'Amboditsiry, à l'occasion des noces de l'un de ses petits-fils, Ratelifera. Il en donne des détails " époustouflants " avant de conclure : " Il n'est pas possible actuellement de savoir si parmi les invités, il n'y en a pas eu qui soient tombés malades ou morts d'indigestion, en raison de l'abondante excellence de la chère... " Le chroniqueur compte, d'après la liste qu'il a pu voir, cinquante cinq plats de viande et de poissons, non compris les hors-d'œuvre, légumes, pâtisseries et desserts... , Mais c'est moins qu'en 1880. Il est cependant significatif qu'au lieu des " Tolomy aho fa matavy ", tous les plats mentionnés ont alors des noms français, transformés selon la phonétique et l'orthographe malgaches, " la même d'ailleurs qui s'inscrit toujours sur les ardoises des gargotes du Zoma". Le chroniqueur relève au hasard sur sa liste " Befitaika ", " lomilety " et " benier serivel ", qui désignent respectivement le beefsteak, l'omelette et le beignet de cervelles.

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Il ajoute : " Si le plat désigné akoho mifahy amin'ny sampaina porte un nom malgache, sa traduction poulet sauce champagne en indique l'origine française." Tout comme le omar grantin , la volay crapodine et les tripo alamode deka. Certes, commente le chroniqueur, " les convives du Premier ministre se classaient parmi d'aristocratiques évolués, mais leur faculté d'assimilation au double sens, propre et figuré, suscite l'admiration ".

Il faut dire, font remarquer des ethnographes, qu'en moins d'un demi-siècle, l'exemple et l'enseignement européens, renforcés par l'engouement malgache, ont produit trois ou quatre générations d'émérites maitres-queux, cuisiniers, rôtisseurs, sauciers, charcutiers, panetiers, boulanger et pâtissiers qui font les délices des grandes tables d'Antananarivo. Cependant, notent les mêmes ethnographes, dans l'imitation loin d'être servile l'apprenti devenu maitre puis virtuose- " quand parfois même il n'improvise pas "- ne se contente plus de préparer des mets de manière orthodoxe.

Il les transpose trop souvent à son goût propre, selon les habitudes locales qui tendent à s'imposer. " Et l'on doit à la vérité de dire que les préparations ne répondent pas toujours à l'appellation classique dont elles sont affublées. " S'agissant, par exemple, des tripes à la mode de Caen, très appréciées de Rainilaiarivony, affirment-ils, " il conviendrait plutôt de dire à la mode de Tana ". En effet, si l'œil du maitre vazaha ne surveille pas, " le cuisinier Rakoto aura tôt fait d'incorporer à la préparation normande de base, un peu de tomates et d'oignons, de cet ail qu'il affectionne et, pour finir, une pointe de gingembre ".

Mais comme ce serait encore fade à son goût, un peu de sakay, de piment, donnera un relief exotique à l'accommodement. Ainsi, insensiblement, Antananarivo évolue de l'imitation à la création presque originale: " Une cuisine spécifique qui dégage ses caractères propres est en train d'apparaitre. " En fait, l'influence du goût créole qui dépend également du goût indien, ressort en évidence. Les condiments et épices à saveur orientale se sont incorporés aux ressources locales pour assaisonner les préparations et relever la fadeur de l'aliment de base, le riz. Les auteurs citent ainsi le carry qui jouit du droit de cité sans réserve, " avec un accent peut-être exagéré de haute teneur en produits gras " ; le chutney indien qui se prépare avec des mangues vertes ou mures cuites en marmelade et agrémentées de sel, gingembre et piment.

De même origine, les chamboch (sambos) très appréciés par les résidents alors que les nouveaux venus trouvent leur goût quelque peu brûlant : c'est " une farce de viande relevée d'herbes aromatiques, cresson ou brèdes, oignon vert, carry, poivre, piment, tomate et gingembre, enrobée d'une fine pâte à crêpe de farine de riz que l'on fait frire et dorer". Le chatigny mauricien qui est une sauce rouge ou verte parfaite de tomates ou de mangues, crues, hachées avec des oignons, du sel, beaucoup de piments frais mais brûlants, du citron et du gingembre éventuellement. " C'est ici l'accompagnement indispensable des plats au carry. "...

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