Sénégal: Malfrats financiers d'hier et malfrats financiers d'aujourd'hui

Plusieurs milliers de personnes ont répondu à l'appel de la principale coalition de l'opposition, le 8 juin à Dakar. (Photo d'archives)
30 Décembre 2022
opinion

La délinquance financière sur fonds publics existe partout dans le monde. D'un pays à l'autre, ce qui fait la différence, c'est la fréquence du phénomène, son ampleur, l'impunité et les sanctions.

Dans un petit pays aux maigres ressources financières, abonné à l'endettement extérieur, aspirant au développement économique et social, le détournement de l'argent public est un fléau presque aussi dévastateur que certaines catastrophes naturelles. L'histoire du Sénégal depuis 1960 englobe l'histoire de la délinquance financière dont il est fait ici une brève présentation. Les historiens devraient s'y pencher de façon plus étendue.

La sagesse africaine dans son expression en langue wolof dit que le lièvre a beau vous rebuter, vous ne pouvez pas ne pas reconnaître qu'il a de longues oreilles et qu'il court vite.

Ne pas avoir été du bord de Senghor et de son régime n'exclut pas de revenir en toute objectivité sur la manière dont la délinquance à col blanc était traitée de son temps. Le seul journal quotidien de l'époque Le Soleil ne donne pas certaines informations comme les décisions de justice qu'on ne trouve que dans le Journal officiel. On y apprend que le président Senghor a eu à saisir la justice sur quelques cas de malversations financières. Retenons-en trois, sans par miséricorde, citer les noms des coupables.

Un haut fonctionnaire nommé à la direction d'une entreprise publique, face au retard de publication du décret fixant son salaire de directeur, s'octroie une rémunération substantielle. Senghor informé, le traduit en justice et la sanction tombe : Il est tenu de rembourser la différence entre ce qu'il a perçu et ce qu'il aurait dû percevoir, et il est rayé de la fonction publique. Rien que pour ça ! Une broutille en comparaison avec ce qui se passe aujourd'hui. L'image inversée de la souris qui accouche d'une montagne.

Un magistrat détaché auprès d'un ministère qui ordonne des dépenses importantes ne s'y oublie pas. Même scénario : Senghor informé le raye de la fonction publique. Un gouverneur de la région de Dakar s'adonnant aux mêmes pratiques subit de la part de Senghor les mêmes sanctions.

Avec Senghor, ces fonctionnaires indélicats ne sont pas emprisonnés. Ils sont tenus de rembourser et exclus de la fonction publique. C'est l'essentiel. Et tout cela se fait " sans tambours ni trompettes". Y a-t-il plus dégradant pour un haut fonctionnaire que d'être rayé de la fonction publique pour escroquerie financière ? En fait, du temps de Senghor, les cas de détournement de deniers publics sont très rares parce que le couperet de la sanction est là. Une dissuasion qui ne manque pas d'efficacité face aux velléités de délinquance financière.

Cependant on ne saurait passer sous silence que Senghor a mis en place en 1964 la Banque nationale de développement du Sénégal (BNDS). Elle fonctionne pratiquement comme une banque de prêts sans remboursement pour les dignitaires de son parti UPS avec le fameux Compte K2 renfloué par les rentrées financières dues à la forte hausse des prix du phosphate. On est ici en présence d'une forme "légalisée" de détournement de deniers publics. Une véritable caverne d'Ali Baba pour certains dignitaires du régime, avec comme mot de passe : Sésame ouvre-toi ! Une pratique d'autant plus préjudiciable à l'économie que les bénéficiaires de cet argent n'investissent pas. Ils ne font que consommer, surconsommer. Ils s'adonnent à la bamboula en se payant des voyages, des voitures de luxe... Au point qu'au début des années 1980, la conjoncture économique est marquée par un chiffre de consommation supérieur au produit intérieur brut. Sans parler des placements bancaires à l'étranger.

Abdou Diouf arrivé au pouvoir réhabilite le directeur du trop perçu de salaire en le rééintégrant dans la fonction publique, et lui confie une autre direction qui brasse beaucoup d'argent. Incapable de résister à ses penchants, le bonhomme se livre à son sport favori. Abdou Diouf déçu et désabusé, car c'était son ami, le renvoie définitivement.

Quant à l'ancien magistrat révoqué par Senghor, Abdou Diouf au pouvoir le réhabilite et le nomme ministre.

Pourtant Abdou Diouf a inauguré son règne avec la création en 1981 de la Cour de Répression de l'Enrichissement Illicite (CREI), mais pour aussitôt appuyer sur le bouton "Mise en sommeil". Il se pique même une fois de s'adresser à ses gens en ces termes : L'argent que vous avez déposé dans des banques à l'extérieur, je vous demande de le faire revenir pour investir dans le pays. Je sais que vous l'avez gagné honnêtement.

Au plan de la délinquance financière, Wade lui, ne tergiverse pas, y allant même parfois de façon hâtive et désordonnée comme dans le cas Latif Guèye faussement accusé puis réhabilité. Son collaborateur le plus proche a été mis en prison dans l'Affaire des chantiers de Thiès restée une nébuleuse même après le non-lieu rendu par la justice. A la place de la BNDS supprimée par Abdou Diouf en 1990, Wade crée le Fonds de Promotion Economique (FPE), mais pour en faire un pourvoyeur d'emplois pour ses protégés victimes des suppressions d'emploi des plans d'ajustement structurel de son prédécesseur.

Macky Sall lui, s'est inspiré de Wade dans bon nombre de ses actions. Mais dans le traitement de la délinquance financière impliquant certains de ses collaborateurs, le mentor de Macky Sall n'a été ni Senghor ni Wade. C'est Abdou Diouf qui a été son inspirateur. Il réactive le FPE de celui-ci. Sa directrice accusée de malversations financières reçoit sa dose de privation de liberté, comme certains anciens collaborateurs de Wade. Mais ce n'est qu'une brève parenthèse pour ensuite installer en faveur de ses protégés un régime d'impunité qui dépasse l'entendement.

Au point que son entourage est truffé de criminels économiques impunis (pour l'instant). Ce qui n'est pas sans rappeler ce que Balzac faisait dire à un de ses personnages : Les lois de la république sont comme les toiles d'araignées. Elles n'arrêtent que les petites mouches pendant que les grosses mouches les transpercent allègrement. La traduction dans la langue wolof donne : Coumba am ndey ak Coumba amul ndey.

En cette fin de l'année 2022, mais encore et malheureusement sous le régime de la gestion sobre et vertueuse depuis dix ans, les crapules qui viennent d'être incriminées dans la gestion des Fonds du Covid 19 sont en toute sérénité en train de se préparer pour leurs prochaines nominations à des postes bien budgétisés où, en fins connaisseurs, ils vont encore donner libre cours à ce savoir-faire, ce talent, que personne ne leur conteste. Et ils se sentiront moins seuls en pensant à certains de leurs camarades de parti qui les ont précédés dans cette voie, leurs alter égo. Les mœurs du sérail !

Cela dit, la manifestation pacifique de concert de casseroles prévu par des opposants le 31 décembre à la même heure que le discours à la nation du président de la République pour s'indigner des derniers détournements de deniers publics soulève des vagues.

En fait, ce discours n'a rien à voir avec l'ordre républicain. C'est Senghor qui l'a introduit au Sénégal en imitant le général de Gaulle qui l'a initié en France pour la première fois en 1960 sous la Cinquième République. Ses prédécesseurs Vincent Auriol et René Coty présentaient leurs vœux aux Français à des dates différentes, jamais le 31 décembre. Ce discours du 31 décembre a été plutôt une aubaine pour des comédiens humoristes imitateurs des présidents : Henri Tisot avec de Gaulle, Thierry Le Luron avec ses successeurs. Les Français préféraient se tordre de rires en écoutant ces humoristes parodiant leurs présidents avec le discours du 31 décembre. Ils préféraient la copie dans sa drôlerie à l'original dans sa solennité. Le discours à la nation du 31 décembre n'a rien de sacré, rien de républicain, et n'est pas de notre culture. Il n'est d'aucun intérêt pour les populations, ni en France, ni au Sénégal.

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