Afrique: Hommage au Pr Joseph Ki-Zerbo (1922-2006) - Panafricaniste et militant d'une éducation authentique

30 Décembre 2022

L'année 2022 marque le centenaire du Pr Joseph Ki-Zerbo, intellectuel et historien burkinabè qui a marqué par sa lumière son époque. Il s'est notamment distingué par son panafricanisme, sa contribution à l'écriture de l'histoire du continent et ses réflexions profondes en tant qu'enseignant-éducateur.

Pr Joseph Ki-Zerbo aurait dû avoir 100 ans cette année, s'il n'était pas décédé en 2006, à Ouagadougou. C'est un intellectuel d'une dimension plurielle qui s'est distingué sous plusieurs figures. Cependant, dans cette palette, il ne s'est jamais départi de sa vocation d'enseignant et de son métier d'historien. Le premier aspect a toujours accompagné l'autre, et le mix a engendré une œuvre d'exception.

Ce fait a conduit à l'organisation d'une table-ronde par la Communauté africaine de culture/Sénégal (Cacsen), hier, au Musée des civilisations noires, en hommage au Pr Ki-Zerbo. C'était en présence de sa fille aînée, Me Françoise Ki-Zerbo qui voit en cette célébration au Sénégal l'affirmation de la conviction panafricaine de son père et la généralisation de son œuvre.

" L'œuvre de Ki-Zerbo est éclectique, avec une approche holistique et transdisciplinaire. Il était un penseur de l'éducation, mais aussi un enseignant actif et pratique ", certifie d'emblée Mamadou Ndoye, ancien Ministre de l'Education de base du Sénégal et Secrétaire général de la Ligue démocratique. Dans cette œuvre, M. Ndoye a mis l'accent sur la perspective transformationnelle.

Il conçoit que Pr Ki-Zerbo était loin d'un intellectuel contemplatif. Il en veut pour preuve significative son séjour fécond en Guinée. Face au " Non " de Sékou Touré et au dénouement qui s'en est suivi, Pr Joseph Ki-Zerbo avait décidé d'aller sans conditions en solidarité avec le peuple guinéen. Il a été enseignant dans ce pays et l'a activement aidé à systématiser son indépendance en participant à l'élaboration de l'africanisation de l'éducation.

Evaluation critique de l'école en Afrique

Puis, de retour au Burkina Faso, il a été très actif encore dans l'éducation en affirmant son leadership. Pr Ki-Zerbo a dirigé la commission nationale de l'Unesco, inspecteur d'académie et Directeur général de l'éducation nationale. Au-delà, il a surtout agi pour le récit de l'Afrique par l'Afrique, contre le récit habituellement relaté par l'Occident. L'ancien membre du Conseil exécutif de l'Unesco l'a fait en travaillant dans l'élaboration de l'œuvre monumentale de cet organisme sous Amadou Makhtar Mbow, " L'Histoire générale de l'Afrique ". I

l faut aussi noter sa participation, en 1961, à la première conférence de l'Unesco en Afrique où on devait définir quelle va être la roue pour l'Afrique en matière d'éducation. " Il y a beaucoup influencé les débats, notamment ceux qui ont conduit à la décision d'un enseignement universel, d'éradication de l'analphabétisme et d'africanisation du programme ", affirme M. Ndoye.

Pr Joseph Ki-Zerbo avait d'abord commencé par une évaluation critique de l'école en place. Dans cette évaluation, le modèle d'école est fondamentalement mis en cause. Pr Ki-Zerbo rappelle que l'Afrique avait un système d'éducation avant la colonisation. L'ancien président de l'Association des historiens africains cite d'ailleurs l'exemple de Tombouctou, entre autres villes durant l'ère des grands empires, qui était plus scolarisé au 14ème siècle que la plupart des métropoles médiévales.

" C'est justement ce système qui a été arrêté et entravé avant qu'une autre école ne soit imposée par le colonisateur. Ce qu'il en tire comme première critique fondamentale, c'est que toute école doit être le produit du développement interne de la société. Et il se trouve que l'école en Afrique est un produit imposé pour d'autres buts et d'autres finalités que les besoins et réalités de l'Afrique ", observe l'ancien Ministre de l'Education de base.

C'est là que, dit-il, Pr Ki-Zerbo avait vu le vice congénital de l'école en Afrique. En effet, l'école, pour toutes les sociétés, doit être un produit de reproduction sociale et de dépassement social.

L'Afrique, un éteignoir culturel

Pire, poursuit-il, l'école en Afrique est devenue un éteignoir culturel et un instrument d'assimilation à l'autre. Ainsi, avons-nous perdu notre génie créateur et sommes devenus des imitateurs, considérait Pr Ki-Zerbo. L'autre aspect, c'est la dépendance que crée cette école ; une dépendance scientifique, politique, technologique et socioéconomique. Pr Ki-Zerbo ajoutait que non seulement cette école est impertinente et inefficiente, mais " expose nos générations à la schizophrénie ". En cela qu'elle devient une école-cancer broyeuse de génies et non une école-matrice créatrice et instructrice de progrès.

Il expliquait cela par le fait que ceux qui représentent les réussites et font les gloires de l'école en Afrique sont en fait " le sommet de l'iceberg dont toute la base est enfouie dans le plus grand désordre ". Il indexait l'élite qui cache cette forêt massive dans laquelle se trouvent les peuples africains. Il ajoutait que ceux qui survivent aux tempêtes des pédagogies ultra sélectives ont des problèmes avec les réalités et les besoins de leurs sociétés.

Mamadou Ndoye dit que cette conception est aujourd'hui ce qui est appelé " l'apprentissage tout au long de la vie ". C'est une conception futuriste, et même systémique. Pour lui, l'éducation de base est une priorité en Afrique. " Pr Ki-Zerbo disait que si vous n'avez pas un enseignement supérieur capable d'éclairer et d'accompagner l'éducation de base, cette dernière sera inutile. Le système dans son ensemble est pris en compte. Il était pour le continuum éducation et formation, et non la rupture. Tout compte fait, l'éducation dans les Etats africains reste un impératif. C'est à cela qu'il pense quand il dit éduquer ou périr ", conclut M. Ndoye.

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