Madagascar: Serge Zafimahova - " Une nouvelle crise post-électorale est prévisible "

interview

Cette nouvelle année sera politique. Avec les élections qui se profilent, la conjoncture risque de connaitre à nouveau des hauts et des bas. Serge Zafimahova, observateur averti de la vie politique depuis trois décennies, livre son point de vue sur les sujets qui vont animer les chaumières. 

Dans le cadre des préparatifs des élections prochaines, qu'est-ce vous pensez de la refonte de la liste électorale actuelle ?

Àl'écoute des techniciens de l'administration territoriale, les conditions pour avoir une listeélectorale fiable sont loin d'être remplies. Sur le plan technique en 2023, il est inconcevable que les districts, encore moins les communes, ne soient pas interconnectées. On travaille, soit avec des disquettes, soit avec des clés comme au Moyen-âge de l'ère informatique. Cette situation est aggravée par l'opérationétat-civil pilotée par le projet Prodigy. Aucune sécuritéet aucune fiabilitédans l'établissement soit des listesélectorales, soit de l'opérationétat-civil alors que ce dernier jouit d'un budget de plus de 140 millions $US de la Banque mondiale.

Que craignez vous réellement derrière vos appréciations ?

La Chine avec 1,4 milliard d'habitant arrive à sécuriser son état-civil, Madagascar avec moins de 30 millions de population s'achemine vers des triplons et des quadruplons en termes d'état-civil et d'électeurs potentiels au dire des experts de l'administration territoriale. À partir du dernier recensement en 2018 (RGPH 2018), les experts annonçaient que 4,5 millions de personnes en âge de voter n'avaient pas d'état-civil donc pas de carte d'identité nationale (CIN) essentiellement dans les régions périphériques, sachant que le président de la République actuel a été élu avec moins de 2,6 millions de voix. Vous comprenez les enjeux ! Une bombe à retardement pour une nouvelle crise post-électorale est prévisible.

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D'après vous, que peut-on faire pour améliorer les lacunes que vous avez évoquées ?

Lors de la privatisation de Telma en 2001, il est inconcevable que l'on ait cédé à la société de télécommunication privatisée l'interconnexion et cela tout en bradant la cession pour 14 millions $US. Pour pouvoir gérer efficacement un territoire de 591 709 km², l'administration malgache avec ses 23 régions, 119 districts, 1 695 communes et 18 251 fokontany se doit d'avoir son propre réseau Internet en assurant la connexion par satellite, tant pour la couverture optimale du territoire et l'efficacité de l'administration territoriale, de la gestion des ressources humaines, de la gestion des finances publiques, etc. Les investissements publics actuels ne suivent pas une logique pour avoir une administration publique efficace. On observe beaucoup de dépenses de prestige, à l'exemple des différents stades, sans liens avec l'amélioration des conditions de développement du pays. Avec la technologie disponible la programmation informatique n'est pas un problème, même les zones territoriales reculées sans électricité peuvent être couvertes pour assurer l'opération état civil tout en couplant concomitamment avec le recensement électoral. C'est une question d'organisation et de volonté politique qui n'est pas une priorité gouvernementale !

L'aspect financement est aussi une question cruciale en matière électorale, mais sur le sujet, beaucoup de commentaires s'invitent dans le débat. D'après vous, l'enveloppe annoncée par le gouvernement suffira-t-elle à lever les doutes ?

On dit que le budget de 54 milliards ariary dans la loi de Finances (LFI 2023) ne couvre pas les besoins financiers en matière électorale rien que pour les présidentielles. Sachant que les élections communales sont aussi prévues à la même période. On s'achemine vers une situation de crise politique grave. Au regard de la non-prise en compte par l'État des problèmes électoraux passés consignés dans les différents rapports (Union Européenne, Union Africaine, SADC, société civile, etc.), les bailleurs de fonds rechignent à mettre en place un " basket fund " pour aider financièrement l'administration à travers la CENI. L'Union européenne vient de débloquer un financement pour le suivi électoral en faveur de la société civile.

Certaines voix se sont levées pour fustiger les membres des institutions en charge des élections. À votre avis, sont-elles crédibles ?

La réponse est catégoriquement, non. Quand on parle d'opération électorale deux institutions et un organe sont concernés. Il faut revoir les dispositions constitutionnelles et légales concernant la nomination des membres de la Haute Cour Constitutionnelle et de la CENI. L'interpellation pour avis sur la motion de censure de l'Assemblée nationale conforte les suspicions que les membres de la HCC sont des personnes liées au régime actuel. La HCC n'a jamais balisé l'État de droit à Madagascar, on aurait pu éviter des crises politiques si c'était le cas. Les membres de la CENI sont loin de rassurer au regard des profils et à l'écoute des discours officiels tendancieux et non crédibles. La dépendance financière CENI au budget de l'Etat de la HCC ne rassure pas. Il faut revoir la composition des membres, pour cela il faut interdire la nomination de personnalités proches du pouvoir au sein de la CENI et de la HCC et à des postes pouvant influer le résultat des élections comme le ministre de l'Intérieur qui ne renforce pas la confiance des électeurs dans le processus démocratique. Il faut un minimum de consensus sur le profil des membres des titulaires des fonctions liées aux élections : HCC, ministre de l'Intérieur et CENI. Il faut faire l'économie de troubles post-électoraux prévisibles.

Qu'avancez vous comme alternative ?

Avec ses qualités et ses erreurs passées, le FFKM est la seule structure ayant une couverture nationale même au-delà des fokontany. Lors de son 43ème Congrès à Ambatondrazaka au mois de novembre, le FFKM va organiser le " Fihaonam-be any FFKM " et instaurer l' " Andrimaso FFKM " qui est capable de couvrir à 100% le territoire national dans le cadre du suivi des élections. En vue de prévenir les crises électorales à venir, il s'avère opportun d'engager un processus participatif et inclusif pour consolider et finaliser les efforts, pour l'amélioration de l'encadrement juridique électoral, afin de mieux s'assurer de contribuer à apaiser les futures échéances électorales et de mettre en place les voies et moyens pour le respect des règles démocratiques, garantes de la stabilité politique et institutionnelle du pays. Il faut aussi prévoir un cadre juridique qui permet de sanctionner les infractions commises lors de pré-campagnes, de campagnes et de post-campagnes lors de propagandes ou de meetings par des candidats ou ses partisans, entre autres l'utilisation de biens et matériels de l'Etat, la participation d'agents publics et membres de l'administration étatique aux évènements de campagne, la distribution d'argent, les stations audiovisuelles et la presse écrite, etc.

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