À travers un délicat récit intimiste, " Tirailleurs " parvient à projeter la beauté et la sincérité de l'humanisme malgré l'enveloppe crasseuse de la guerre. Le film, de production franco-sénégalaise et qui présente l'acteur Omar Sy en tête d'affiche, sort dans les salles africaines le 6 janvier 2023. Une projection-presse, mardi dernier, a permis aux journalistes de découvrir cette fiction qui loue l'amour et l'humanité.
Que ressent et comment agit un fils qui emprunte la voie de l'initiation en compagnie de son père ? Quels sont les ressentiments du père qui vit les tourments de son rejeton murissant par la force du destin ? Ces interrogations se mêlent le long de la projection, constituant une bonne part de la trame de "Tirailleurs". Cette fiction dramatique d'une heure et 40 minutes, réalisée par le Français Mathieu Vadepied, offre un récit porteur de drames et de messages d'humanité. C'est l'histoire d'un père, Bakary Dièye, qui se porte volontaire pour la Première Guerre mondiale dans le corps des Tirailleurs sénégalais. Cela, afin de suivre son fils Thierno enrôlé de force par le colonisateur. L'histoire se passe quelque part dans un village anonyme du Fouta Toro, en 1917, avant de se poursuivre à Verdun (France) sur le théâtre des opérations.
La version originale du film est en pulaar et en français. C'est par ailleurs le tout premier rôle de l'acteur Omar Sy où il parle sa langue maternelle. Il joue le rôle du père. On le découvre dans un univers naturel où il fond dans les habitudes originales de la communauté, en plus de la manière châtiée de parler la langue qui luit l'esthétique et l'authenticité du film. Il faut également y noter l'évolution et la maîtrise de l'humoriste français dans son jeu cinématographique. Omar Sy, aussi producteur du film, montre une bonne liaison avec Alassane Diong (Thierno) et avec le talentueux Alassane Sy (Birama, qui avait interprété le rôle principal dans "Baamum Nafi").
Omar Sy confie par ailleurs que la lecture du roman "Frère d'âme" de David Diop l'a aidé à plonger dans son personnage. Il dit partager la conscience du "besoin pour cette génération de connaître ces récits afin de nous construire".
La volonté de conservation de cette culture et des coutumes se révèle une mission dans cette production franco-sénégalaise. En suivant sa progéniture jusqu'aux champs de bataille, Bakary accompagne moins Thierno qu'il ne va lutter pour la survie de l'héritage. Le retour aux sources et la préservation des coutumes ont été un souci constant. C'est au nom de cette inquiétude que Bakary a consenti d'user de l'arme assassine (dont la première fonction n'est pas de tuer !), même après que son enfant ait choisi de contenter le monde plutôt que son père. La phrase "Si tu veux me sauver, pars !", vers la fin, porte aussi toute cette détermination.
Guerre tragique
La puissance de l'amour et l'espoir en l'humanisme ont fortement prévalu. C'est au nom de ces valeurs que Thierno a commencé à s'approprier cette guerre étrangère sous une autre forme, à la mort de l'ami inconnu et gentil. On retrouve une autre illustration, avec le symbole du chien sauvé et encore reconnaissant un siècle après. Bakary, tout cramponné à sa foi et ses principes, a marqué une belle tolérance et une intelligente contenance. Même devant les faits d'isolement, de différence et de fracture. La vache morte et embouée qui traduit le symbole d'un désarroi chez le Peul qu'est Bakary, son intégralité peule dans ce magna de langues et de culture, ainsi que sa retenue à côté de "l'envahissante condescendance" wolof, etc. sont toutes significatives. Que devient l'humain s'il est dépourvu de bienveillance ?
L'innovation de "Tirailleurs" est de déplacer subtilement l'exclusive attention sur cette guerre tragique pour intéresser son spectateur sur le devoir d'humanisme. Par un récit intime qui illumine la relation père-fils dans toute sa complexité, le réalisateur incite aux valeurs qui transcendent toute cause ou considération. C'est d'autant plus beau si on connaît le postulat du réalisateur : "Et si le Soldat inconnu était un Tirailleur sénégalais ?". En 1920, des ossements d'un combattant de la Première Guerre sont rassemblés et enterrés sous l'Arc de Triomphe (Paris) pour commémorer symboliquement l'ensemble des soldats morts pour la France durant cette guerre.
C'est le Soldat inconnu, auquel Mathieu Vadepied et Omar Sy donnent une âme pleine de grâce et de grandeur. Ceci, en s'appesantissant beaucoup moins sur les affres de la guerre. Pour Omar Sy, le film "Camp Thiaroye" de Sembène Ousmane s'en est d'abord magistralement chargé. D'ailleurs, à quoi sert la guerre, si ce n'est pour " apporter la mort et la désolation " comme le pense Thierno. Ce n'est pas d'ailleurs la référence sur l'œuvre de Sembène. Comme dans " Borom Sarret ", on se demande à quoi sert la médaille si elle doit récompenser la bravoure et le courage primitif de l'homme pendant qu'il perd une part d'âme et de dignité.