Tunisie: Au nom de l'intérêt général

6 Janvier 2023

Suite à l'appel de l'Ugtt, les agents de la Société des transports de Tunis ont observé une grève, lundi 2 janvier. En cause, le retard de paiement de la prime de fin d'année. Le syndicat ne s'arrête pas en si bon chemin, mais décrète une grève générale des transports terrestre, maritime et aérien, les 25 et 26 janvier.

De toutes les grèves sectorielles en mesure de paralyser un pays, celle des transports est la plus spectaculaire. Si un quidam n'arrive pas à rejoindre son lieu de travail, faute de moyens de locomotion, il est, à son corps défendant, gréviste de fait. De sectorielle, la grève des transports, transversale, impliquant tous les secteurs d'activité, est considérée comme générale, avec un impact dévastateur sur des comptes publics très dégradés et sur le fonctionnement de tout un pays.

Les syndicalistes ne le savent que trop bien. C'est pourquoi, pour un oui ou pour un non, ils font grève brandissant une liste de revendications de plus en plus sophistiquée. Résultat, le budget du ministère de tutelle est littéralement englouti par la masse salariale, le parc d'autobus et de trains est délabré, des lignes sont réduites ou supprimées et l'état des infrastructures désastreux. Une situation critique, voire grave, qui ne semble pas préoccuper outre mesure les dirigeants syndicaux.

L'Union, comme dans tout appareil de pouvoir, est en proie aux rivalités internes et aux guerres de succession. Depuis 2011, les chantages et la surenchère sont devenus ses outils de travail face à un Etat affaibli. Une fois ce sont les élèves qui sont pris en otage, une fois ce sont les malades, la production de phosphate, les usagers, les passagers, un pays en entier. Et malgré les dégâts causés par les grèves et les mobilisations en tout genre à l'échelle nationale, l'Ugtt n'a jamais tenté de faire évoluer ses méthodes pour trois raisons qui nous paraissent déterminantes. La première cause est strictement individuelle. N'importe quel employé peut se retrouver un jour face à une situation professionnelle difficile ou subir une injustice. Vers qui se tourner ? Le Tribunal administratif, les prud'hommes ? L'intervention d'un délégué syndical peut être plus rapide et plus efficace. Cet état de fait, il faudra l'étendre aux corporations professionnelles. Le concours des fédérations sectorielles est décisif pour revendiquer des augmentations, des primes, des titularisations, pour rejeter un nouveau système fiscal -- même s'il tend maladroitement à être plus équitable --, ou encore pour précipiter le limogeage d'un responsable qui a eu le tort de déplaire.

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La troisième raison concerne davantage la sphère politique. Pour ceux qui se lancent en politique ou même ceux déjà installés dans le paysage, s'attirer les foudres de la centrale, qui a la rancune tenace, est la dernière chose à faire. Combien de leaders, de directeurs généraux, de ministres, pour avoir osé défier les syndicalistes, en ont payé le prix fort ; postes, carrières et une humiliation publique.

Politiques, journalistes, analystes observent ces abus mais ne disent rien ou pas assez, parce que l'Ugtt est utile, parce que le pays est instable, parce que ce n'est pas le moment. La centrale syndicale qui prélève directement à la source des traitements des agents publics 3 D par mois et par personne, sans demander leur avis, tire son avantage de cette fabuleuse manne financière et d'un vague prestige historique dont elle a gardé le nom et l'adresse. Ainsi, dans une Tunisie qui se cherche, où un effort collectif est demandé à tous au nom de l'intérêt général, l'Ugtt continue à servir à l'excès les intérêts catégoriels pour se légitimer.

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