Ile Maurice: Le fils du commissaire Dip gracié - Une décision qui intrigue

L'affaire fait grand bruit depuis avant-hier. Lorsque l'on a appris que le fils du commissaire de police avait obtenu la grâce présidentielle... Depuis, les Mauriciens, sur les réseaux sociaux notamment, expriment leur incompréhension et leur colère. Retour sur la polémique.

Le fils du commissaire de police (CP), Chandra Prakash Dip, a obtenu la grâce présidentielle le 20 décembre. Soit un mois après que sa demande pour faire appel de sa condamnation au Conseil privé avait été rejetée par la cheffe juge Rehana Mungly-Gulbul...

Sa peine de 12 mois de prison a été commuée en une amende de Rs 100 000. Or, la décision d'accorder la grâce présidentielle à un condamné - en si peu de temps et surtout quand il n'a même pas commencé à purger sa peine - soulève bien des interrogations quant aux recommandations de la Commission de pourvoi en grâce qui sont formulées en toute discrétion...

Reconnu coupable de détournement de fonds, soit Rs 3 millions, au préjudice de la Barclays Bank (maintenant ABSA) par la cour intermédiaire, le fils du CP avait été condamné à 12 mois de prison le 26 février 2018 par l'exmagistrate Renuka Devi Dabee, aujourd'hui juge. Il avait fait appel de cette condamnation et essuyé un revers. Mais le fils du commissaire de police ne s'est pas avoué vaincu...

Il tente alors sa chance et demande à la plus haute instance judiciaire du pays de l'autoriser à recourir au Conseil privé. Le 18 novembre, la Cour suprême rejette la demande de Chandra Prakash Dip. La cheffe juge Rehana Mungly- Gulbul et la juge Aruna Narain ayant conclu que sa demande ne satisfaisait pas les critères pour demander l'intervention des Law Lords.

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Mais il ne baisse pas pour autant et signifie cette fois son intention de faire appel directement au Conseil privé. Il importe de souligner qu'entre-temps Chandra Prakash Dip a obtenu le gel de sa condamnation afin de poursuivre ses démarches et était toujours un homme libre...

Décision en moins d'un mois

En parallèle, le condamné, qui n'est même pas en prison donc, fait une demande pour obtenir la grâce présidentielle. Le 20 décembre, la Commission de pourvoi en grâce accède ainsi à sa requête... Comment se faitil que la procédure ait pris si peu de temps dans son cas ? Surtout qu'il n'a même pas encore purgé sa peine et que plusieurs prisonniers, qui sont à l'ombre depuis de nombreuses années, attendent de pouvoir bénéficier de cette "faveur", font valoir des hommes de loi.

Essayons d'abord de comprendre le mécanisme. La Constitution de Maurice offre des "privilèges" au président de la République, dont la possibilité de gracier un prisonnier. Cette prérogative est établie sous l'article 75 (1). Cependant, le président prend une telle initiative uniquement après la décision de la Commission de pourvoi en grâce. Celle-ci, présidée par l'ancien chef juge Keshoe Parsad Matadeen, ne peut en dire plus sur les raisons qui ont motivé cette décision. Les dossiers sont traités au cas par cas, fait-on valoir. La Commission en reçoit une centaine chaque mois et se réunit chaque quinzaine pour les délibérations. Impossible ainsi de savoir sur quels critères elle se base pour soumettre ses recommandations bien que, par défaut, la grâce présidentielle soit accordée à un condamne afin de lui donner une seconde chance pour réintégrer la société.

Il semblerait que l'aval ait été donné dès la première "tentative".

Il faut également savoir que le président de la République peut une première fois refuser les recommandations de la commission, mais la seconde fois - après que la commission a reconsidéré le cas - le chef de l'État n'a pas d'autre choix que d'approuver lesdites recommandations. Dans le cas de Chandra Prakash Dip, la décision ayant été avalisée dans un si court délai, il semblerait que l'aval ait été donné dès la première "tentative".

Sollicité pour une explication, Pradeep Roopun est resté injoignable. Il en est de même du côté du CP. Outre le fils de celui-ci, qui sont les autres graciés ? Secret et mystère total. Pour l'instant...

Réactions

Arvin Boolell: "Le président de la République n'a pas la bouche cousue... "

Pour le Dr Arvin Boolell, c'est une situation extrêmement grave qui démontre encore un recul de notre démocratie. "Est-ce que le président a accédé au dossier envoyé par la Commission avant de donner son aval ? Il n'a pas la bouche cousue, ni l'esprit bloqué. Rien ne l'empêche de refuser une recommandation comme on le fait pour des projets de loi. D'autres personnes qui ont été graciées dans le passé ont tout de même purgé leur peine. C'est à partir de là qu'il y a une demande. Cette situation va créer un précédent dangereux. Demain on ne pourra empêcher Siddick Chady de demander la grâce présidentielle avant même d'avoir purgé sa peine", souligne le parlementaire. Il déplore le fait qu'il n'y ait pas de transparence et demande que Pradeep Roopun explique ses motivations et sa décision. "C'est inquiétant car ce n'est pas l'affaire d'une seule personne. Ou va-t-on dans ce pays ?"

Me Jacques Panglose: "Une décision personnelle basée sur des critères humanitaires"

L'avocat, membre du PMSD, Me Jacques Panglose estime que la décision revient au président de la République et qu'il n'a pas à expliquer sa décision. "C'est une prérogative sous la Constitution et ce serait un dangereux précédent que de lui demander de rendre des comptes. C'est une décision personnelle à mon humble avis basée sur des critères humanitaires. C'est une question d'humanité, c'est cela la grâce", indique l'homme de loi. Qui souhaite d'ailleurs que pour les demandes de grâce présidentielle, les avocats puissent plaider physiquement leur cas, et non se contenter uniquement d'envoyer une correspondance.

Linion Pep Morisien: "Komision ki antor"

Linion Pep Morisien (LPM), qui a envoyé une missive au président de la République - elle était restée sans réponse à l'heure où nous mettions sous presse hier -, condamne vivement cette décision et demande que la liste des autres personnes graciées soit rendue publique. Sur sa page Facebook, le parti s'exprime en qualifiant le poste présidentiel de "rubberstamp". Et d'ajouter que c'est toute la "komision pourwa en gras ki antor". Dans sa lettre au président de la République, LPM fait ressortir que bien que celui-ci jouisse de la prérogative sous la Constitution, il peut aussi questionner une recommandation.

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