Offrir l'héroïsme de Lat Dior en exemple à la postérité. C'est à cet exercice que Dr Magatte Wade, par ailleurs maire de Meckhé, s'est prêté dans son livre " Lat Dior, Damel du Cayor : Vie de combats d'un héros sénégalais ". L'auteur revient sur la carrière politique et les combats de l'un des plus farouches résistants à la pénétration coloniale française, qui a défendu son royaume. Jusqu'au sacrifice suprême.
Et si l'épopée de Lat Dior Ngoné Latyr Diop nous était contée... C'est à cet exercice que s'est prêté Magatte Wade, à travers son livre consacré au valeureux résistant qui, dit-il, a " frappé à la porte du panthéon des héros tragiques sénégalais ". Descendant de la lignée des Damel de par sa grand-mère, l'auteur clame son appartenance au terroir du Cayor ; ce qui, affirme-t-il, lui donne la légitimité d'écrire et de révéler un pan de l'histoire de ce royaume. " Lat Dior, Damel du Cayor : Vie de combats d'un héros sénégalais " est loin d'être un traité d'histoire ; il vise, de l'avis de Magatte Wade, à " restaurer un pan de l'histoire du Sénégal, particulièrement du royaume du Cayor ". Dans les 162 pages de l'ouvrage, l'ancien chef de la Communication et des Relations extérieures de la Banque africaine de développement (Bad) dont le sujet de mémoire de maîtrise soutenu en 1980 a porté sur " Un épisode de l'épopée du Cayor : la bataille de Dékheulé ", passe en revue toutes les péripéties du résistant Lat Dior qui, fait-il remarquer, n'était mu que par la défense de son territoire. L'ouvrage plonge le lecteur dans le Cayor historique dont le trône était contrôlé par l'une des sept familles princières, dont celle des " Geej " à laquelle appartenait Lat Dior Ngoné Latyr Diop ; sa mère, Ngoné Latyr Fall, étant la fille du Damel Meïssa Teinde Dior Fall (1832-1855).
Dr Wade évoque également la libération du Cayor, État vassal de l'empire du Djolof, par le jeune prince Amary Ngoné Sobel Fall qui avait grandi en assistant à la soumission de son père Lamane Déthié Fou Ndiogou et de sa province. En effet, le Bourba Djolof, Lélé Fouli Fak, exigeait chaque année du Cayor des impôts en nature. Dans un sentiment de révolte, Amary Ngoné Sobel avait provoqué et tué le Bourba dans son palais de Danki. Le Cayor était ainsi libéré du joug du Baol et Déthié Fou Ndiogou intronisé Damel du Cayor.
L'ÉPOPÉE D'UN HOMME DU REFUS
Préfacé par le Général Cheikh Wade, Chef d'État-major des Forces armées sénégalaises, ce livre revient sur l'épopée glorieuse du fils de Sakhewar Sokhna Mbaye Diop et de Ngoné Latyr Fall, et petit-fils du Damel Meïssa Teinde Dior, né en 1842, à Keur Amadou Yella. Ainsi nous apprend l'auteur, à la mort de Birima Ngoné Latyr, il ne restait que des filles prétendantes au trône. Conscient qu'une princesse ne pouvait prétendre au trône, Demba War Sall, général de guerre et faiseur de rois, avait jeté son dévolu sur son neveu Lat Dior qui venait d'avoir 17 ans. Il l'avait imposé Damel en 1862, mais les conservateurs avaient jugé qu'il n'était pas de patronyme Fall, donc ne pouvait être intronisé. Pour asseoir sa légitimité, Lat Dior avait combattu Madiodio Déguène Codou à Beri Ngaraf et fut vaincu. Il prend sa revanche le 29 décembre 1863, lors de la célèbre bataille de Ngol-Ngol. C'est à la suite de cette retentissante victoire, écrit Magatte Wade, que Lat Dior est proclamé Damel par Demba War et ses hommes.
Cependant, précise l'auteur, il ne fut pas intronisé selon les procédures traditionnelles. Serigne Gueuty Rat avait refusé de lui donner le bain rituel sous le prétexte qu'il ne faisait pas partie de la lignée patronymique des Fall. Lat Dior le tuera bien des années plus tard.
La bataille de Loro du 12 janvier 1864 perdue contre les troupes françaises, Lat Dior est contraint d'abandonner les commandes du Cayor à Madiodio Déguène Codou et de se replier sur le Rip. Il trouve asile chez Maba Diakhou Ba, qui avait exigé, en échange de son hospitalité, sa conversion à l'islam et sa soumission à une pratique orthodoxe de l'Islam. Il accepta sur conseil de son oncle Demba War et prit le nom de Silmakha Diop. Durant leur séjour, Lat Dior et ses hommes accompagnèrent l'Almamy lors de ses conquêtes. Il vainquit le roi de Niany, Kimintang Kamara qui refusait de se soumettre à l'autorité de Maba Diakhou. Ses troupes, coalisées avec celles de l'Almamy, infligent une défaite aux troupes françaises à Paté Badiane, dans la forêt de Paoskoto, le 30 novembre 1865.
La bataille de Somb qui eut lieu près du marigot de Fandane Thiouthioune, le 18 juillet 1867, sonnera malheureusement le glas de Maba Diakhou. Son armée n'avait pu venir à bout de celle de Bour Sine. Après la défaite de Somb, Lat Dior entreprend son retour au Cayor et livre sa première bataille à Meckhé, le 3 juillet 1869. Il donne un signal fort au commandement français, qui dut négocier avec lui pour le retour de la paix. Usant de ruse, Lat Dior avait signé le projet du chemin de fer pour bénéficier du soutien des Français et accéder au trône. Aussitôt intronisé, il reprend les hostilités, remet en cause le traité et reprend les armes. En 1883, il est destitué et remplacé par son cousin Samba Yaya Debbo Souka.
RENCONTRE AVEC CHEIKH AHMADOU BAMBA
Dans son livre, Magatte Wade revient sur les batailles les plus célèbres de Lat Dior : Ngol-Ngol, Loro, Somb, Meckhé, Louga, Samba Sadio, Paoskoto et Dékheulé... Magatte Wade fait également la chronologie et le parcours des 33 Damel qu'a connu le Cayor de 1549 jusqu'en 1883. De Dethié Foundiogou Fall à Lat Dior, seul Damel à ne pas porter le nom de famille Fall, en passant par Amary Ngoné Sobel Fall, Madiodio Deguène Codou Fall, Massamba Tacko Fall, Birame Yacine Boubou Fall, Lat Soucabé Ngoné Dièye, Meissa Teinde Wedj, Birima Fatma Thiouf Fall, entre autres.
La religion, fait remarquer Magatte Wade, a joué un rôle déterminant dans la crise qui a secoué le Cayor. Car le marabout Maba Diakhou Ba accepte d'aider Lat Dior dans sa lutte, à la seule condition de se convertir à l'islam. De même, lors de son exclusion du Cayor, Lat Dior qui avait refusé la décision des autorités coloniales s'était rendu à Mbacké Kajoor pour rencontrer Cheikh Ahmadou Bamba. Le guide religieux lui avait alors fait comprendre que les prises de guerre n'étaient pas conformes à l'islam. C'est alors que Lat Dior avait fait allégeance et pris la décision de se comporter en bon musulman. Cette volonté d'orthodoxie l'avait beaucoup rapproché de Cheikh Ahmadou Bamba, selon l'auteur. Au marabout, il avait expliqué sa décision d'engager sa dernière bataille contre les Français. Et le Cheikh lui avait conseillé de renoncer et de s'adonner à une résistance pacifique ; ce qu'il avait refusé, arguant qu'il était " trop engagé pour reculer ". Après soumission, il lui avait confié sa famille dont les plus jeunes étaient envoyés à Keur Amadou Yella.
HÉROS TRAHI PAR LES SIENS
Loin de se considérer comme un historien des temps modernes, Magatte Wade trace avec dextérité tous les vestiges de ce passé colonial. Il marche sur les traces de Lat Dior, le plus célèbre parmi les 33 Damel montés sur le trône du Cayor. Ses problèmes vont démarrer à partir de sa brouille avec Demba War Sall qui avait mal apprécié sa destitution. Lat Dior l'avait remplacé par son ami Masseck Ndoya. Demba War avait refusé cette nomination sous prétexte que ce dernier n'était pas un guerrier. Leur dualité avait fini par diviser le Cayor et cette rupture sera d'ailleurs à l'origine de la chute et la mort de Lat Dior. Ainsi, nous dit l'auteur, avec le soutien des esclaves de la couronne, la volonté des Français de mettre fin à la monarchie au Cayor se réalisait. Pour Magatte Wade, Lat Dior a été trahi par les siens. En effet, narre-t-il, Demba War qui avait ressenti son remplacement comme une humiliation extrême voulait " faire payer à Lat Dior son outrecuidance de l'avoir démis de ses fonctions de général de l'armée ". Ainsi, les anciens compagnons de Lat Dior avaient coalisé avec les troupes françaises et avaient préparé la balle mystique qui devait tuer le fils de Sakhewar Sokhna Mbaye Diop, note l'auteur. Dans le Cayor, renseigne Magatte Wade, le chef de guerre bénéficiait d'une protection qui le rendait " immortel ". Le tuer n'était donc pas chose aisée. " Le rituel était très sophistiqué. La cartouche devait être fabriquée par un forgeron de pure souche. La balle devait être purgée avec le foie d'un caméléon mort un jeudi puis enveloppée d'un morceau de tissu rempli de poux... La cartouche devait ensuite être chargée et remise entre les mains d'un jeune pas encore circoncis ", explique l'auteur au fil des pages.
DÉKHEULÉ, LE BAROUD D'HONNEUR
Pour l'auteur, Lat Dior, surnommé l'homme du refus pour avoir dit non à la liaison téléphonique avant de contester la traversée du chemin de fer sur son territoire, avait fait le choix de la mort et " Dékheulé était son baroud d'honneur ". Ainsi, le 27 octobre 1886, vers 11h30, Lat Dior et ses hommes ont attaqué par surprise un détachement français stationné aux abords du puits Momar Mame Dièye de Dékheulé pour abreuver leurs chevaux. Ce choc fut fatal à ses troupes. Il avait perdu ses plus valeureux hommes, dont ses deux fils, Thiendela Niabass et Sakhewwar Niabass. Héroïquement, écrit l'auteur, Lat Dior tomba à Dékheulé, laissant le Cayor entre les mains de la puissance française. Il avait choisi le sacrifice suprême plutôt que de subir les affres de la colonisation. Les traditionalistes, selon Magatte Wade, témoignent que " le corps fut récupéré par Demba War Sall pour éviter que les troupes françaises ne fassent pas de sa tête un trophée de guerre ". Et jusqu'à ce jour, précise-t-il, " il est difficile de situer avec précision le lieu où est enterré Lat Dior ".
Les chefs de guerre de la France ont tout tenté pour faire traverser son cheval de force le chemin de fer qu'il avait juré de ne jamais voir. Malaw se cabra aux environs de Ndande où il avait été conduit et fut abattu par une balle fabriquée dans les mêmes conditions mystiques que celle pour tuer son maître.
À la mort de Lat Dior, écrit l'auteur, un arrêté du gouverneur des colonies a mis fin à la royauté et supprimé le titre de Damel. En procédant à la démolition des symboles de Damel et de la royauté au Cayor, les Français avaient réussi à effacer de la mémoire collective l'œuvre du fils de Sakhewar Sokhna Mbaye Diop. Ce livre invite à un devoir de mémoire. Il vise, selon l'auteur, à fournir aux jeunes générations des outils pour mieux comprendre leur passé et leur culture, afin de faire face aux enjeux du monde contemporain.