Sénégal: De la politique, autrement !

analyse

Ce n'est ni une question de droit ni une question éthique, c'est de la politique dit-on communément pour justifier des décisions problématiques. Désarçonnante affirmation puisqu'elle sous-entend que la politique est le lieu de toutes les extravagances, du basculement de toute règle vu que tous les coups sont permis, des plus tordus aux plus sordides. Encastrée dans un espace clos, dans son monde propre, comment alors s'étonner qu'elle soit si mal perçue ?

Il suffit d'ailleurs de jeter un regard rétrospectif sur le processus de consolidation de la démocratie au Sénégal, pour constater avec tristesse que l'avènement de la première alternance politique démocratique en 2000, après 40 ans de pouvoir socialiste, a été loin d'avoir tenu toutes ses promesses. Qu'en dépit des longues années d'opposition ponctuées par des séjours en prison, diverses vexations, privations et humiliations, en lieu et place d'une rupture salvatrice, il a fallu en effet très vite désespérer du chef de l'opposition d'alors. Son accession à la magistrature suprême ayant été vécue à l'image du couronnement d'un cheminement personnel, l'argent public s'est transformé en cagnotte privée au service d'une générosité suspecte, ouverte à toutes les audaces de captation et de prédation.

Une posture aux antipodes de celles adoptées sous d'autres latitudes, à l'instar de Singapour, où le premier Premier ministre de la République, feu Lee Kuan Yew, avait eu conscience de devoir faire le choix " entre deux chemins à suivre ". Aussi, les deux termes de l'alternative étaient-ils ainsi posés : " le premier : voler l'argent de l'Etat, enrichir mes amis et mes parents, appauvrir mon pays, et en conséquence mettre mon peuple dans la misère. Le deuxième : Servir mon peuple et faire rentrer mon pays dans le rang des 10 meilleures nations du monde ". Le résultat n'aura pas tardé puisqu'en moins d'une génération, Singapour est passé du statut de pays sous-développé et corrompu à celui de géant économique.

Au Sénégal, loin d'une telle alternative, la politique se donne au contraire de plus en plus comme le chemin le plus court et le plus sûr pour s 'enrichir rapidement. Aussi est-il de moins en moins question de programme pour les centaines de partis recensés, encore moins de vision mais d'épouser plutôt des postures déclamatoires et de se positionner dans l'accès aux ressources. Si prompts à dénoncer l'hyper-présidentialisme, la mal gouvernance, l'absence d'éthique, de redevabilité, le clientélisme et le népotisme, les prétendants à la magistrature suprême sont comme visités par une amnésie soudaine dès qu'ils sont élus. Aussi, au delà du débat sur un deuxième, troisième, quatrième mandat se pose un impératif qui s'affiche sous la forme d'un choix entre les " deux chemins " auxquels faisait référence Lee Kuan Yew. Une direction qu'on est toutefois loin d'emprunter tant les scènes qui se sont déroulées à l'Assemblée nationale, la lutte des places qui n'épargne aucun camp, n'augurent pas de lendemains qui chantent.

S'y ajoute l'avertissement de feu Ousmane Tanor Dieng, ancien ministre des Services et Affaires présidentiels et ancien homme fort de l'ancien président Abdou Diouf. Ainsi relevait-il : " On a observé depuis le défunt président Senghor une hypertrophie du pouvoir présidentiel, tout est entre les mains du chef de l'Etat. C'est lui qui initie, décide et exécute. Tout part de lui, tout revient à lui. Donc la première chose à remarquer, c'est cette espèce de culture de l'Exécutif ou culture du bonapartisme ou du césarisme. Tout est entre les mains du président de la République qui a des pouvoirs quasi illimités " (in Le populaire du 8 mars 2005). Avec une gravité qui sonne encore comme une autocritique doublée d'un appel au sursaut, cet homme qui savait de quoi il parlait affirmait : " Les institutions sénégalaises étaient dangereuses avec nous et sont encore plus dangereuses aujourd'hui avec le régime de l'alternance ". Ou tout simplement entre des mains inexpertes et ne remettant pas en cause l'hyper-présidentialisme.

Le dégagisme n'est pas une panacée

Après deux alternances politiques démocratiques voilà que les dernières élections locales et législatives viennent consacrer s'il en était besoin, l'idée selon laquelle la carte d'électeur est utile. Et c'est justement cela qui participe à sédimenter une institution, à la rendre crédible et incontestable, la soustrayant ainsi au bon vouloir de telle ou telle personne. Parce que la vigilance devrait s'exercer à ce niveau, le nouveau palier à franchir est d'arriver à ce que le vote se détache de sa dimension protestataire voire référendaire pour épouser enfin la dimension d'adhésion et de conviction à travers un choix pluriel.

Ce que 2024, s'il n'est pas pollué par le débat sur un second quinquennat ou un 3e mandat, est censé nous offrir en nous mettant en face de deux, trois voire quatre primos candidat(e)s à la magistrature suprême. En 2000 en effet, tout comme en 2012, nombre d'observateurs s'étaient accordé sur le fait qu'on a voté contre le locataire qui était à Roume et qu'il fallait déloger coûte que coûte. Tout comme ces dernières législatives qui avaient l'allure d'un référendum.

A l'évidence, consolider la démocratie sénégalaise, c'est sortir de la pulsion " dégagiste " de ce stade protestataire. Ce qui suppose que les locataires du palais, le citoyen-électeur dont la maturité arrive pour l'essentiel à se jouer du " ndigel "religieux et de l'achat de conscience, l'opposition, jouent le jeu à en respectant les règles et en apportant de façon consensuelle les correctifs sur les manquements dénoncés.

Reste donc à traquer les dysfonctionnements de nos institutions, pour les renforcer, les sécuriser et les crédibiliser, afin que le système puisse obliger tout un chacun à suivre les règles qui s'imposent à tout le monde. Reste surtout à sacraliser une parole univoque ou " oui veut dire oui ", et " non veut dire non ". Il est important en effet pour imprimer un véritable leadership dans le corps social que revienne comme un impératif cette alternative du premier Premier ministre Singapourien. A défaut on l'aura compris, le Sénégal continuera de s'éloigner de ce goût de l'avenir qui lui fait tant défaut.

Toute cette séquence de notre histoire devrait par contre nous amener à comprendre que le renouvellement de la classe politique auquel nombre de citoyens ont appelé de leurs vœux ne saurait se réduire à une affaire de naissance, avant ou après les indépendances. Encore moins à idolâtrer les jeunes et à jeter les vieux aux orties ou vice versa. Il est plutôt question de redéfinir l'échelle des valeurs afin de remplacer l'immoralité par la moralité, la malhonnêteté par l'intégrité, la traîtrise par le patriotisme. Il importe par conséquent de déconstruire cette manière de percevoir la politique comme ce lieu du tout permis, en s'érigeant en hommes et femmes de causes qui les transcendent. A défaut, à un an de la prochaine élection présidentielle, le Sénégal court le risque de reconnaître le bonheur perdu au bruit furieux qu'il ferait en partant, assommé par les cocktails molotov, les pneus brûlés, les balles réelles qui tonnent, les grenades assourdissantes.

Parce qu'il mérite mieux que cette catastrophe annoncée grosse de tous les dangers, en clin d'œil à Albert Camus, ce beau pays qui est le nôtre nous somme de procéder à " une révolution " voire de " remplacer la politique par la morale ". Hors de tout dégagisme, l'urgence est assurément de rendre le choix possible et de faire en sorte que le Sénégal ne se défasse.

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