Assise au bord de son lit, Wiilo Maalim Nuuro berce doucement sa fille, Nafiso, âgée de deux ans. La petite, qui souffre de malnutrition sévère, bénéficie d'un traitement nutritionnel indispensable à sa survie. Et elle n'est pas la seule.
À l'unité de soins intensifs, seuls sont admis les enfants âgés de moins de cinq ans dans un état très critique, dont le nombre a explosé par rapport à l'année dernière.
" Certains enfants sont si faibles quand ils arrivent à l'hôpital qu'ils sont condamnés, on ne peut plus rien faire pour les sauver ", déplore Ali Abshir Mursal, un nutritionniste du CICR en poste à l'hôpital.
" C'est terrible. D'autres meurent sur la route dans les bras de leurs mères, avant même d'être arrivés jusqu'à nous. "
Les enfants souffrant de malnutrition sévère ont davantage de risques de développer d'autres problèmes de santé (pneumonie, diarrhée aiguë, infections respiratoires, anémie, affections cutanées, rougeole).
Nafiso souffre de kwashiorkor, une forme de malnutrition protéique sévère. Les médecins font leur possible pour stabiliser son état en lui administrant du lait enrichi en nutriments.
Sa mère n'a pas d'autre enfant. Tout ce qu'elle peut faire, c'est prier pour sa fille.
À l'une des extrémités de la salle trône un large tableau blanc sur lequel sont inscrits les noms des enfants et de leurs mères, ainsi que les heures des repas. Les enfants sont pesés tous les jours à 6 heures du matin et leurs constantes vitales sont étroitement surveillées. On entend en bruit de fond le léger bourdonnement des machines à oxygène qui aident les plus fragiles à respirer.
Les enfants qui sont trop faibles pour se nourrir par la bouche sont alimentés en lait enrichi au moyen d'un tube nasal.
La chaleur qui règne dans la salle est éprouvante. Les fenêtres restent fermées pour garder les enfants au chaud et tenter - en vain - de faire barrage aux nuées de moustiques qui pullulent depuis les récentes averses.
L'unité de soins intensifs fait partie de ce que l'on appelle un centre de stabilisation. Cette année, le centre a enregistré une très forte hausse du nombre de cas de malnutrition sévère.
Entre janvier et octobre 2022, 2395 enfants y ont été admis, soit près de trois fois plus qu'au cours de la même période l'année dernière. Au total, 63 d'entre eux sont morts.
Admissions mensuelles au centre de stabilisation de Baidoa
Le CICR soutient un deuxième centre de stabilisation, situé dans la ville portuaire de Kismayo. Lui aussi a enregistré une forte hausse des cas de malnutrition sévère en 2022.
Le CICR fournit aux deux centres des articles médicaux et des produits nutritionnels, ainsi qu'un soutien financier destiné au personnel.
Les effets conjugués du conflit et de la crise climatique
Depuis les zones rurales, la route jusqu'à Baidoa est longue et périlleuse à cause de l'insécurité qui règne dans la région. Il faut franchir plusieurs postes de contrôle. Et les récentes averses rendent le terrain moins praticable.
" Les gens qui arrivent en ville viennent de très loin ; il leur faut jusqu'à 24 heures pour rejoindre l'hôpital, explique Ali. Baidoa est un grand centre urbain, mais l'arrivée massive de populations chassées de leurs terres par la sécheresse et le conflit engendre une forte pression à tous les niveaux. "
La Somalie a déjà connu des pénuries de nourriture par le passé, mais cette fois plusieurs facteurs se conjuguent, plongeant le pays dans une crise bien plus grave.
Le conflit qui déchire la Somalie depuis près de trente ans a contraint d'innombrables personnes à quitter leur foyer et réduit l'accès aux champs, aux pâturages et aux services de santé.
L'absence prolongée de pluie a engendré une grave sécheresse - la pire que le pays ait connue depuis longtemps - qui a dévasté les récoltes et décimé le bétail.
Sans compter l'inflation mondiale et la pénurie de céréales causées par le conflit en Ukraine, qui n'ont rien arrangé. Résultat : plus de sept millions de Somaliens manquent cruellement d'eau et de nourriture.
Par ailleurs, les affrontements qui secouent ce pays d'Afrique de l'Est s'intensifient. Entre janvier et octobre 2022, le CICR a enregistré 57 incidents ayant engendré un afflux de blessés dans les quatre hôpitaux qu'il soutient. Cela représente une augmentation de près de 30% par rapport à la même période l'année dernière.
Toujours entre janvier et octobre, les hôpitaux soutenus par le CICR ont ainsi pris en charge plus de 2100 blessés par arme - soit environ 200 de plus qu'en 2021.
" Il est très difficile d'avoir une idée précise de la gravité de la situation dans les zones auxquelles nous n'avons pas accès à cause de l'insécurité, explique Ali. Sans informations ni données, impossible d'effectuer des évaluations. "
Une population au bord du gouffre
Le CICR s'emploie à aider les familles à faire face à la perte de leurs moyens de subsistance et aux pénuries de nourriture, notamment en leur fournissant des aides en espèces. À la fin du mois d'août, plus de 150 000 ménages ont ainsi reçu de l'argent pour pouvoir s'acheter de quoi manger pendant un mois.
Pour aider à renforcer la résilience de la population face aux chocs climatiques qui tendent à s'intensifier et se multiplier, le CICR apporte également un soutien aux coopératives agricoles (organisation de formations, fourniture de semences résistantes à la sécheresse et d'outils agricoles).
Mohamed Abdille Abdi est expert en sécurité économique au CICR. Il fait partie de l'équipe chargée d'effectuer les évaluations en amont des opérations d'assistance.
Il se rappelle avoir rencontré, lors d'une de ces évaluations, une famille composée uniquement d'enfants, dont le plus âgé avait tout juste 15 ans. Ils avaient perdu leurs deux parents et dépendaient de la générosité de leur communauté pour survivre.
" Les Somaliens ont l'habitude de s'entraider pendant les périodes difficiles, explique Mohamed. Mais ce réseau de solidarité tend à se fragiliser car tout le monde doit lutter pour survivre aujourd'hui. "
Retour au centre de stabilisation, où la petite Nafiso a repris des forces après un peu plus de deux semaines de traitement.
Elle et sa mère quitteront bientôt l'hôpital pour rejoindre un camp de fortune à la lisière de la ville, où s'entassent des milliers de personnes déplacées par le conflit et la sécheresse.
Désormais, tous les espoirs reposent sur la saison des pluies qui vient de commencer.
Encore faut-il, pour redonner foi en un avenir meilleur à la population, que les pluies soient au rendez-vous.
À l'unité de soins intensifs du plus grand hôpital de Baidoa, dans le Sud de la Somalie, les jeunes patients sont nombreux et les médecins, débordés.
Des cris stridents retentissent dans l'atmosphère chaude et humide. Pour les mères de ces enfants, c'est une épreuve d'être là, mais face à la crise alimentaire qui sévit actuellement dans le pays, l'hôpital est leur dernier espoir.