Ces chenapans de vendeurs à la sauvette de carburant n'ont pas peur de Dieu. Figurez-vous que samedi dernier en fin de matinée, j'étais aux encablures de Rayongo. Vous connaissez ? C'est après Karpala en piquant vers l'est. Un de mes amis m'y avait invité à venir connaître sa nouvelle piaule qu'il s'apprêtait à investir. En y allant et le connaissant du bout des ongles, j'ai espéré que pareille escapade devait se clore en beauté par une virée dans le bistrot du coin.
Mon espoir n'a pas été déçu. Après le tour du propriétaire, mon ami qui me veut du bien m'a conduit dans un agréable endroit, à l'ombre apaisante d'un vaste apatam. Pendant que j'étais assis, reluquant les donzelles qui gloussaient de contentement, que vois-je ? Une file de quidams qui s'allonge à la vitesse de la lumière devant la station d'essence d'en face.
C'est quoi ce désobligeant spectacle qui ose me faire sortir de mes pensées lubriques ? me suis-je intérieurement plaint. Renseignements pris, il est question de pénurie (encore !), de carburant, déjà annoncée dans les réseaux sociaux la veille au soir. Mon esprit fait tilt, ramenant en surface un récent traumatisme pas trop encore enfoui dans mon esprit, celui né de la crise de même nature qui s'est étalée le long des fêtes de fin d'année et bien après.
Du coup, le goût de mon breuvage devint fade. Fébrile, je me suis surpris à pousser mon engin vers la station, non sans ameuter au téléphone tout le ban et l'arrière-ban de ma famille et de mes amis. Moi le saint-thomas qui refusait de croire avant que d'avoir vu et touché, voyez ce que je suis devenu, ou du moins ce que nous sommes devenus : des moutons de Panurge qui font tous " BÈÈÈÈ" après le premier qui a pris l'initiative de bêler sans motif valable.
Dans la soirée, l'on nous annoncera qu'il s'agit de fausses rumeurs et que ce serait même des revendeurs d'essence au noir qui ont utilisé ce subterfuge pour liquider leur stock. Mais le mal était fait. Un seul message sur Facebook, et la folie s'empare de tous. Voilà où nous en sommes. On devient tous cinglés à Ouagadougou. L'effet amplificateur des réseaux sociaux fait des ravages et si l'on n'y prend garde, ce sera bonjour les gros dégâts un jour.
Du reste, ce qui vaut pour la fausse rumeur sur le manque d'essence le vaut par ailleurs pour d'autres situations. Je touche du bois et qu'à Dieu ne plaise : mais si un jour on nous annonçait que l'ennemi a investi un premier quartier quelque part dans la capitale, il est facile d'imaginer la réaction disproportionnée des habitants vivant à l'extrême de la zone touchée. Peu de personnes chercheront à confirmer ou à infirmer l'information. Mark Zukerberg, créateur de Facebook, tu vas nous tuer mal même !
Vous êtes curieux de savoir si j'ai obtenu du carburant ce jour-là au niveau de la station en question ? Bien sûr que non ! Impatient de nature et détestant par conséquent faire le pied de grue, j'ai quitté le rang l'âme en peine. C'est en rentrant qu'un quidam m'a fourgué un litre... pour 500 francs en sus. Un revendeur de la pire espèce que je ne voudrais plus revoir même en peinture. Tout de même, je garde un bon souvenir de mon séjour de Rayongo. Je suis rentré avec des carreaux cassés, un cadeau de mon ami qui pourrait rendre le séjour plus agréable aux pensionnaires de mes chiottes extérieures.