Le ministre de l'Artisanat et des métiers Sophie Ratsiraka était de passage dans la capitale du Nord, la semaine passée. Elle a rencontré les artisans antsiranais pour l'émergence et le développement de l'artisanat. Interview.
Quels sont les objectifs de votre passage dans la capitale du Nord en ce début d'année ?
J'étais sur la côte Est dont je suis originaire, par contre je suis née à Antsiranana et j'en fais un point d'honneur parce que c'est une très belle ville et il m'était impossible de passer à Toamasina sans faire un saut à Antsiranana. Mon séjour s'est très bien passé bien que bref, et j'ai pu évidemment voir les artisans qui étaient ma première destination, puisque en tant que ministre de l'Artisanat c'est tout à fait normal que je m'entretienne avec eux et nous avons pu échanger. Je leur ai fait part de nos combats pour 2023, des exigences que je souhaite leur transmettre à travers le changement du Code de l'artisanat que nous sommes en train de mettre en place et plein d'autres objectifs auxquels ils ont adhéré. Donc dans l'ensemble, mon séjour s'est très bien passé, il y a eu également l'accueil des gens qui reste toujours très particulier, très agréable et l'accueil des Malgaches en général.
Depuis votre nomination à la tête du ministère de l'Artisanat, quels sont les problèmes liés à la filière et quelle est l'innovation apportée en général dans le secteur et en particulier pour les besoins des artisans ?
En général, les artisans sont confrontés à un problème de matières premières parce que, évidemment, la méconnaissance a fait qu'ils ont souvent coupé ou juste récolté les fruits que nous a donnés la Nature. Aujourd'hui donc, la politique que je mène à travers ce ministère, est de pouvoir replanter, reproduire toutes ces matières premières parce qu'il n'y aurait pas d'artisanat sans elles. Leur faire prendre conscience de ce besoin et de cette alternative incontournable est un des chevaux de bataille que nous menons parce qu'ils se sont rendus compte de
l'importance de reproduire ces matières premières par le manque de raphia ou de bois précieux et tant d'autres arbres. Nous avons commencé à planter environ douze mille plants de raphia un peu partout dans Madagascar, à Ambanja, à Mahajanga et à Ilaka-est... Aujourd' hui, nous avons négocié avec le ministère de l'Environnement la possibilité d'avoir un rabais de 50% pour les artisans qui achètent leur raphia, particulièrement auprès des producteurs. Mais nous ne nous sommes pas arrêtés là. Je suis en train également de leur faire changer de comportement. Il y a beaucoup de bambous sur la côte Est et aujourd'hui les Betsimisaraka, en général, les utilisent pour faire des clôtures, des murs, des " garaba " quand on est en pleine saison de letchi, etc. En revanche, en replantant le bambou, évidemment nous aidons l'environnement puisque cela absorbe des tonnes de carbone. En outre, le bambou une fois transformé en charbon végétal, pourrait nous permettre de préserver nos forêts. Le bambou transformé en savon serait une nouvelle source de revenu pour certains artisans, donc cela donnerait du travail avec toute la filière que ça pourrait impliquer : le producteur, celui qui va transformer, celui qui va transporter et vendre le savon, etc. Nous sommes en train d'essayer de mettre en place de petites filières qui pourraient améliorer le quotidien des artisans en leur procurant du travail et aider nos compatriotes.
Vous avez parlé de la formalisation du métier, en quoi cela consiste exactement ?
Formalisation oui parce que la plupart des artisans sont dans le secteur informel et tout bon citoyen devrait payer des impôts et être formel. Nous leur proposons une carte d'artisan qui est gratuite et leur donne l'avantage de pouvoir adhérer à la CNaPS, donc percevoir une retraite, d'avoir aussi une assurance maladie, mais également de pouvoir emprunter auprès de la banque BNI avec des facilités à partir du moment où ils ont cette carte d'artisan. Bien évidemment ceux qui ont la carte, seront priorisés dans toutes les actions que nous faisons c'est-à-dire que si nous avons des salons, ou des foires, ou autres possibilités, ils seront prioritaires. La professionnalisation, c'est plutôt à travers les formations que nous sommes en train de mettre en place pour pouvoir plaire, pour pouvoir vendre il faut comprendre dans un certain cadre que beaucoup de Malgaches n'ont pas. Ils pensent tous qu'à partir du moment où ils savent tisser une natte ils sont de parfaits artisans. Il ne s'agit pas juste de tisser une natte, il faut aller au-delà. Donc à travers les formations que nous donnons, nous essayons de leur apprendre à gérer, mais aussi à aller de l'avant c'est-à-dire que nous envoyons des designers selon nos possibilités, bien évidemment, pour qu'ils arrivent à extrapoler, à étendre ce qu'ils font, mais ne pas juste rester dans leur classique habituel.
Vous avez aussi dit que le tourisme se conjugue avec l'artisanat. Avez- vous quelques suggestions pour améliorer cette complémen- tarité ?
En effet, il n'y a pas de tourisme sans artisanat. C'est vrai que les touristes viennent pour les plages de Madagascar, pour voir notre faune endémique, notre flore, mais à côté de cela, tout touriste qui se respecte aime à ramener quelque chose de son voyage et pour le ramener, la chose la plus simple est de ramener un gadget, un panier, en tout cas de l'artisanat et donc c'est pour ça que je dis très souvent que le tourisme et l'artisanat sont interdépendants. Mais à côté des produits touristiques, des produits artisanaux, sachez que dans l'artisanat, il y a également le savoir-faire culinaire. Tout cela fait des artisans, le boulanger, le pâtissier ou le cuisinier, donc sans cela, le tourisme ne serait pas. Je vous donne un exemple : quand on voit un panier au marché où c'est marqué souvenir d'Antsiranana, ou de Vohipeno, ou de Fenoarivo-atsinanana, ou n'importe, ça se vend parce que des touristes sont passés. Et même au niveau des codes de couleurs, si cette année, en Occident, ils ont décidé que c'est du violet, vous ne pouvez pas leur vendre du bleu. Donc il y a plein de codes en fonction des pays et c'est ça que nous essayons d'apporter aux Malgaches, tout en développant les ventes de l'artisanat malgache dans l'océan Indien et en Afrique parce que nous avons tendance à toujours vouloir aller vers l'Europe alors que c'est un marché qui commence à être relativement saturé.
Que fait votre ministère face au manque de matières premières ?
Par rapport aux matières premières utilisées à Madagascar, nous avons introduit la formation sur le recyclage afin d'apprendre aux Malgaches qu'il n'y a pas toujours forcément de
matières premières de base, mais qu'on peut se lancer dans les produits dérivés du recyclage. C'est pourquoi nous avons réalisé un partenariat pour récupérer les ferrailles de Sherritt d'Ambatovy
afin de donner une facilité aux artisans qui vont produire des outils et autre matériel agricole. Parallèlement, nous avons approché une société qui fabrique de l'huile pour récupérer les déchets pouvant servir dans la fabrication du savon. Et la troisième approche que nous avons eue, c'est par rapport aux usines de textile afin de récupérer tout ce qui est chute de tissus car les Malgaches ont le savoir-faire en ce qui concerne la fabrication de sacs, tapis, et énormément de possibilités mélangées. Donc, j'incite nos compatriotes à ne rien jeter et à bien réfléchir à ce que nous pouvons faire avec nos déchets.