Sénégal: Baisse de fertilité, pertes de biodiversité, insécurité alimentaire - Terres dégradées, agriculture en sursis

10 Janvier 2023

Le phénomène de la dégradation des terres arables ne cesse de gagner en ampleur au Sénégal. La principale conséquence est la baisse de la fertilité, donc des rendements. Ce qui demeure une grande menace pour la viabilité de l'agriculture sénégalaise si l'on sait qu'un bon sol constitue le premier facteur de production dans le système agricole. Dans la conduite de ses missions régaliennes, l'Institut national de pédologie, avec peu de moyens, essaie tant bien que mal de s'attaquer à cette problématique notamment dans les zones pédoclimatiques du pays comme le Sine-Saloum et Tambacounda où il vient de boucler une tournée.

Vallées de Mbissel et de Ngom dans le Sine-Saloum. Vallées de Koutiakoto et de Koumbidia dans le Koussanar. Deux zones pédoclimatiques différentes, deux problématiques différentes, mais un même phénomène : la dégradation des terres agricoles. D'un côté, c'est dû à la salinisation des terres du fait de l'avancée de la langue salée ; de l'autre, c'est à cause de l'érosion hydrique du fait, en partie, de la déforestation et de la nature des terrains. Si l'on sait que le sol est le premier intrant pour une bonne agriculture, la problématique de la dégradation des terres qui, malheureusement, prend de l'ampleur, ne peut qu'interpeller. Et il y a de quoi si l'on interroge les chiffres de l'Institut national de pédologie (Inp) révélés par une étude datant de 2016 : le coût de la dégradation est de l'ordre de 996 milliards de FCfa par an, soit 9% du Pib de l'an 2007. Or, le secteur agricole couvre environ 49,4% des terres et emploi 81% de la population rurale.

14 régions, 8 zones pédoclimatiques

" Au Sénégal, l'agriculture constitue la principale activité économique, 77% de la population vit de cette activité. Le sol constitue le premier facteur de production dans le système de production. Il est donc capital de porter une attention particulière à la ressource sol, pour une agriculture porteuse de croissance agricole. Une gestion et une conservation appropriées des sols peuvent jouer un rôle important en favorisant considérablement l'atteinte de la sécurité alimentaire des ménages et un développement agricole dans une perspective de durabilité ", estime Mar Ndiaye, Ingénieur agronome, Délégué Inp de la zone pédoclimatique du Sine-Saloum qui regroupe les régions de Kaolack, Diourbel, Kaffrine, Fatick et une partie de Thiès. Il fait remarquer que les conséquences de la dégradation des terres arables se traduisent par la baisse de fertilité des sols, les pertes de terres arables, la baisse des rendements agricoles, la perte de biodiversité, l'insécurité alimentaire, l'abandon des terres et l'exode rural.

Les sept autres zones pédoclimatiques du Sénégal (découpage basé sur le type de sol, les facteurs climatiques et les types de dégradations des sols) sont le Fleuve Sénégal, les Niayes, Cayor-Baol, la zone sylvo-pastoral, la zone Fouladou-Pakao, Ziguinchor et Tambacounda. Dans chacune des zones pédoclimatiques, l'Inp, créé en juin 2004, a installé une délégation qui se charge d'y dérouler les missions qui lui sont conférées. Lesquelles missions se déclinent en quatre points : la maîtrise des caractéristiques édaphiques par la caractérisation et la cartographie des ressources en sols du pays ; l'orientation de l'occupation et de l'aménagement du terroir en assistant les acteurs et les décideurs dans le choix de l'occupation des terres ; l'amélioration de la productivité des sols (compostage, phosphatage de fond, fertilisation raisonnée, etc.) et la sensibilisation, la formation et la démonstration pour l'adoption de bonnes pratiques culturales.

Programme de restauration de 5000 hectares

Sous cet angle, l'Inp, en partenariat avec des institutions et des projets, a contribué de façon significative à la lutte contre la dégradation des terres et la baisse de leur fertilité particulièrement dans la zone de Sine-Saloum avec les terres salées à travers un vaste programme de restauration de 5000 ha de terres salées, selon Mar Ndiaye. Ce programme de récupération de terres salées et de lutte contre la dégradation se décline en plusieurs activités. La caractérisation et la cartographie pédologique de sites de production agricole sur l'ensemble du territoire national ; l'amendement des sols avec le phosphate naturel comme à Nguène Sérère à Tambacounda ; l'utilisation de nouvelles technologies de récupération des sols avec l'association de la fumure organique avec les amendements calciques, le drainage de sol et la pratique d'aération du sol à travers des labours doubles ou tri croisé à l'image de ce qui se fait dans les vallées de Mbissel et de Ngom, mais il y a aussi la construction de diguettes en cage et de cordons pierreux comme ouvrages de protection secondaires au niveau des barrages comme à Koutiakoto et à Koumbidia.

MAMADOU AMADOU SOW, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'INTITUT NATIONAL DE PEDOLOGIE

" Nous avons perdu un quart de nos terres arables "

Dans le Sine-Saloum, l'avancée de la langue salée est inquiétante. Comment expliquer ce phénomène ?

La dégradation, par la salinisation, est le deuxième facteur de dégradation des terres au Sénégal après l'érosion hydrique. Ce phénomène se constate notamment sur la façade ouest de la région de Fatick, de Kaolack, de Ziguinchor, de Sédhiou et une partie de la région de Saint-Louis. C'est dû à la proximité de la mer et du caractère très bas des terrains. Les mouvements d'eau de mer se font donc ressentir très facilement à l'intérieur des terres. Les fleuves ou les bras de mer qui mouillent ces régions ont un profil d'équilibre extrêmement bas, c'est-à-dire qu'ils ont pratiquement le même niveau que la mer si bien qu'un mouvement de marée d'un ou deux mètres peut se faire ressentir très à l'intérieur des terres. C'est cela qui amène les dépôts de sels. Les vallées comme celles de Mbissel et de Ngom, il y en a une centaine entre la région de Fatick et de Ziguinchor où, jadis, on cultivait du riz. Ce n'est plus possible pour l'essentiel d'entre elles à cause justement du phénomène de salinisation. Or, le sel n'est pas compatible avec la nutrition des plantes. Car, au lieu que la plante absorbe l'eau et les nutriments, elle en perd. C'est pourquoi il faut lutter contre la salinisation.

En termes de chiffres, à combien peut-on estimer les pertes en surfaces arables au Sénégal ?

Il y a une vieille étude datant de plus de dix ans qui parle de 3,8 millions d'hectares arables au Sénégal. Mais, au moins, le quart de cette surface a été perdu du fait du phénomène de la dégradation des terres liées au sel et à l'érosion hydrique. Ce dernier phénomène (l'érosion hydrique) se passe dans les régions orientales et sud où il y a un peu de relief. À cause du déboisement en hauteur, les terres se fragilisent et quand il pleut, ces terres-là sont drainées vers les bas-fonds. Donc on perd deux fois : on perd de la surface en hauteur parce que l'eau a emporté la terre, on perd de la surface dans les bas-fonds parce qu'il y a un comblement des vallées. Au-delà de tout cela, pour tous les sols du Sénégal, du fait des changements climatiques et parfois de l'action de l'homme, nous avons des terres très pauvres en matières organiques. Or, la matière organique est un élément qui structure le sol, lui donne certaines propriétés, le rend apte à la culture. S'il n'y a pas de matières organiques, c'est peine perdue. Si on met des engrais sur des sols qui ne sont pas structurés, qui n'ont pas de liants, cela ne servira à rien. On ne doit plus se permettre de jeter de l'engrais sur des sols qui manquent de tout, surtout avec le renchérissement du coût de l'engrais.

Vu l'ampleur des dégâts, les actions de l'Inp suffisent-elles pour les atténuer ?

Absolument pas. L'Inp est incapable de gérer tout cela. Nous sommes un institut, un établissement public spécialisé, nous essayons d'identifier et de mener des actions de récupération des terres. Nous ne pouvons pas refaire toutes les terres dégradées, nous choisissons donc des sites-pilotes et nous essayons d'y faire des actions démonstratives de lutte contre la salinisation, l'érosion hydrique ou de restauration des terres. Et si cela doit marcher, ce n'est pas à l'État de le faire, il faut faire en sorte que les usagers se l'approprient et l'internalisent. Il n'y a que les usagers des terres, les agriculteurs et les pasteurs qui, lorsqu'ils auront compris, seront aptes à bien les utiliser et à bien les préserver.

Qu'est-ce qu'on peut mettre à l'actif de l'Inp dans la récupération des terres ?

Par exemple, dans la vallée de Ngom, nous travaillons avec un partenaire qui est en train de nous aider à restaurer les sols salés. C'est un projet qui couvre 5000 hectares et nous sommes à notre deuxième année. Pour cette zone, c'est la première année. Nos actions sont concluantes un peu partout. Nous envisageons, cette année, avec la dotation que nous avons, d'agrandir le projet à une plus large échelle pour toucher tous les villages riverains de cette vallée. En dehors de cela, nous avons des actions à l'intérieur du pays où nous faisons beaucoup d'activités de défense et de restauration des sols à travers la construction de diguettes en cage, de cordons pierreux et même la mise en valeur des terres par l'utilisation de techniques de Zaï permettant de maintenir l'eau, les éléments nutritifs contenus dans le sol sur place en évitant de les perdre par lessivage et l'exuviation. Cela permet de conserver des îlots de verdure sur certains terrains jadis impropres à la culture à cause du phénomène de ruissellement.

Quelle est la contribution de l'Inp dans le programme d'autosuffisance en riz ?

Il y a beaucoup de discussions et de controverses autour de l'autosuffisance en riz. Ce qui est constat par contre, c'est que, potentiellement, le Sénégal a tous les moyens pour être autosuffisant et même vendre du riz. Parce que nous avons suffisamment de terres pour cela. Des vallées, nous en avons une centaine entre les régions de Fatick, Kaolack et Ziguinchor et chaque vallée fait entre 120 et 130 hectares. Nous avons le potentiel de terres rizicoles au nord. En plus, il y a la main-d'œuvre. L'agriculture, c'est un système historiquement constitué, c'est une activité culturelle, internalisée dans les pratiques de tous les jours. Enfin, il y a l'eau, nous en avons beaucoup au Sénégal, que ce soit l'eau du fleuve, l'eau de pluie ou les eaux souterraines, il y en a suffisamment pour produire. Tout le problème, c'est d'organiser tout cela et mettre en musique : la main-d'œuvre, la terre, l'eau, les semences. Si nous arrivons à le faire, le Sénégal est largement capable de subvenir à ses besoins en riz.

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