Mali: Il y a dix ans débutait Serval, opération plébiscitée à l'époque, impensable aujourd'hui

Il y a tout juste dix ans, l'armée française entrait en guerre au Mali. C'était dans la nuit du 10 au 11 janvier 2013, le déclenchement de l'opération Serval.

Paris répondait à la demande en urgence du Président malien de transition d'alors, Dioncounda Traoré, pour enrayer la progression des jihadistes d'Aqmi et de leurs alliés dans le centre du pays. Le début d'une histoire longue et chaotique, puisque l'armée française est restée longtemps et massivement au Mali avant de quitter le pays de façon précipitée, poussée vers la sortie par les nouvelles autorités du pays. Et par un contexte national et régional qui a bien évolué.

Le 11 janvier 2013, les avions de l'armée française bombardent Konna, près de Mopti, dont les jihadistes viennent de s'emparer. Dans la foulée, la force Serval déploie se blindés et ses soldats au sol - jusqu'à 5000 hommes - et reconquiert en moins d'un mois les grandes villes du Nord, occupées depuis près d'un an par Aqmi (al-Qaïda au Maghreb islamique), Ansar Dine et le Mujao.

Puis les jihadistes se muent en terroristes, Serval devient Barkhane. Les applaudissements maliens, fervents et unanimes, des débuts laissent progressivement place à la déception, voire à la méfiance.

L'armée française collabore avec les rebelles indépendantistes de Kidal, qu'elle distingue des jihadistes, considérant que c'est un différend politique qui les oppose au gouvernement de Bamako - lequel sera résolu par l'accord de paix de 2015, aujourd'hui menacé. L'armée malienne est entrée aux côtés de l'armée française à Gao puis à Tombouctou, mais il ne lui est pas permis de pénétrer dans Kidal. Un " péché originel " aux yeux de beaucoup de Maliens, qui ne le pardonneront jamais. Les années passent, beaucoup de Maliens ne peuvent admettre que la force française, en dépit de ses moyens et de succès ponctuels importants, ne parvienne pas à détruire totalement les groupes jihadistes.

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L'année dernière, les autorités de transition issues du coup d'Etat militaire d'août 2020 poussent finalement Barkhane vers la sortie en remettant en cause les accords de défense signés entre les deux pays. Au nom de la souveraineté nationale, le Mali se tourne vers la Russie et rejette la France, ses dirigeants et ses soldats, qui achèvent leur retrait pendant l'été.

Depuis un peu plus d'un an, l'armée malienne combat aux côtés de plus d'un millier de supplétifs russes, mercenaires du groupe Wagner chèrement payés selon la plupart des pays européens, africains et américains, simples " instructeurs " envoyés par l'Etat russe selon les autorités maliennes de transition, en dépit des déclarations du Président russe Vladimir Poutine et de son ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, qui parlent eux-mêmes de compagnie privée.

L'armée française reste présente dans les pays sahéliens voisins, et va même étendre son dispositif antiterroriste aux pays côtiers d'Afrique de l'Ouest. Mais l'épilogue de ses années maliennes et la montée dans toute la sous-région d'un sentiment antifrançais - aussi réel qu'instrumentalisé- l'obligeront à tirer des leçons. La fin de Barkhane au Sahel a été officialisée il y a deux mois. Les contours du nouveau dispositif qui lui succédera doivent encore être précisés, en collaboration avec les pays africains demandeurs.

L'analyse du chercheur Hassane Koné

Le chercheur mauritanien Hassane Koné est expert sur les questions militaires à l'Institut d'études de sécurité (ISS) de Dakar. Il explique pourquoi une opération comme Serval, plébiscitée en 2013 par la population malienne, ne serait plus possible aujourd'hui, ni au Mali ni ailleurs.

" En 2013, le Mali n'avait pas le choix. Il fallait demander de l'aide à la France pour freiner les colonnes jihadistes qui progressaient vers le Sud. Serval avait permis justement de freiner cette progression et ensuite de commencer la reconquête du Nord, ce qui avait entraîné le plébiscite, l'accueil populaire que les blindés français et que le président français (François Hollande, ndlr) lui-même avait reçu à son arrivée à Tombouctou et à Bamako. Mais la continuité avec Barkhane n'a malheureusement pas réussi à éradiquer totalement le terrorisme. Il y a eu de très bons résultats, la destruction de beaucoup de caches d'armes, de beaucoup de camps d'entraînements, de plusieurs chefs de katiba, mais malheureusement les populations voient que jusqu'à aujourd'hui, les jihadistes continuent à sévir et occupent des pans énormes du territoire. Donc Barkhane, l'intervention française, l'intervention de forces étrangères, n'est plus appréciée de la même manière. Je pense qu'aujourd'hui, une intervention de ce genre, avec le déploiement d'unités sur le terrain, n'est plus appropriée. Il faut peut-être revenir à des pratiques plus anciennes : de l'appui aérien, parce que ces pays (le Mali et ses voisins sahéliens, ndlr) ont un grand déficit de vecteurs aériens, du renseignement, et des appuis limités dans le temps. Une présence militaire moins forte, moins visible, efficace, et surtout qui comble les gaps (les lacunes, ndlr) des armées nationales. "

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