BUKAVU — Depuis 2019, l'Institut international d'agriculture tropicale (IITA), à travers son laboratoire Semi Autotrophic Hydroponics (SAH) situé à Kalambo dans la province du Sud-Kivu produit des milliers des plantules de manioc saines et résistantes aux maladies en une courte période.
Ces plantules sont produites à partir de la culture du méristème, le tissu végétal dont les cellules se multiplient pour permettre la croissance de la plante.
Michèle Crèvecoeur, chercheure en microscopie des plantes à l'université de Genève en Suisse, explique dans un article que " ces méristèmes situés aux extrémités des organes, tiges et racines, sont appelés "méristèmes apicaux". Méristème racinaire pour la racine et méristème caulinaire pour la tige ".
Encore appelée culture de tissus qui est une méthode de multiplication rapide pour les plantes qui se développent végétativement, cette méthode permet l'augmentation du rendement des agriculteurs, explique Blandine Belisimbi, Seed Dissemination Assitant au laboratoire SAH.
" Les boutures utilisées par les paysans sont des boutures déjà attaquées par les maladies et ce sont des boutures datant des années ", explique l'agronome.
Or, poursuit-elle, " après avoir prélevé le méristème, la plante sera jeune et sans maladie et va produire beaucoup plus que ce que les paysans utilisent. Alors nous nous faisons le rajeunissement pour leur offrir des plantules jeunes et saines de toutes les maladies ".
Selon les explications de Blandine Belisimbi, il faut environ un mois et demi pour développer en laboratoire le méristème prélevé sur les plantes. Et en trois mois ce laboratoire produit environ un million de plantules.
Avec celles-ci, les paysans peuvent récolter à l'hectare 25 à 35 tonnes de manioc, contrairement aux anciennes techniques qui permettaient de récolter moins de 15 tonnes. C'est ce qu'a constaté Célestin Aganze, un agriculteur de la région.
" C'est vrai qu'avant de recevoir les plantules du laboratoire SAH, nous utilisions nos anciennes boutures. Mais beaucoup de boutures étaient envahies par des maladies et cela nous faisait beaucoup perdre ", témoigne-t-il.
" Quand on a commencé à utiliser ces plantules, les choses ont changé. Au moment de la récolte, on récolte en grande quantité et les maladies ne sont plus fréquentes comme auparavant ", ajoute le producteur agricole.
Pour sa part, Espoir Bisimwa, professeur d'agronomie à l'université catholique de Bukavu, trouve que cette culture des tissus est importante dans le contexte de la République démocratique du Congo (RDC) où la mosaïque et la striure brune font un ravage dans les champs de manioc.
" Lorsque vous prenez le manioc, explique l'enseignant, vous allez vous rendre compte qu'un mètre de tige ne peut donner au maximum que dix boutures. Maintenant Si vous prenez le cycle du manioc, vous verrez que quand vous plantez une bouture, vous avez un mètre ou deux mètres une année après. Et donc une bouture ne peut donner que 10 à 15 boutures au maximum après une année de culture. Ce taux de multiplication est très faible ".
Méthode d'assainissement
En outre, explique-t-il, la recherche travaille pour mettre au point des variétés résistantes. Mais lorsqu'on en trouve, on a quelques tiges seulement pour couvrir tout le pays.
" Comment à partir d'une bouture allons-nous faire en sorte qu'en deux ans voire cinq, cette bouture atteigne le dernier des agriculteurs ? C'est là qu'une technique comme l'utilisation du méristème a toute son importance ; car à partir d'une seule tige on peut arriver à produire des milliers de plantules en peu de temps ", soutient Espoir Bisimwa.
Le scientifique soutient que la culture du méristème constitue également une méthode d'assainissement du matériel pour les cultures à multiplication végétative qui ont souvent un problème de dégénérescence.
" Après des années de culture, explique-t-il, ces plantes accumulent un certain nombre des pathogènes notamment les virus. Au fur et à mesure que vous utilisez une bouture malade, la charge virale augmente chaque année et lorsque vous utilisez la même bouture sur cinq saisons, vous vous rendez compte que la plante ne peut plus atteindre la taille normale et le rendement commence à baisser ".
Or, martèle le chercheur, même sur une plante malade, le méristème apical au sommet est une zone indemne de maladie. " Ce qui veut dire que si on prélève ce méristème là et qu'on le soumet à la culture des tissus, on va multiplier des milliers des plantes qui ne portent pas de maladie ", décrit Espoir Bisimwa.Du côté de l'inspection agricole de la région, l'approche est bien accueillie. Et l'inspection s'engage à fournir par ailleurs des conseils techniques aux agriculteurs pour leur permettre d'avoir de bons rendements.
" Nous demandons aux agriculteurs de faire le tri des boutures. Ils ne doivent pas associer les boutures qu'ils reçoivent avec les anciennes boutures, pour éviter la contamination ", soutient Gaston Kasukulu, inspecteur agricole dans le territoire de Fizi, une circonscription administrative de la province du Sud-Kivu.
En outre, " nous leur demandons d'éviter de couper les feuilles de manioc avant quatre mois. Ils doivent également faire l'entretien de leurs champs pour couper les mauvaises herbes ", conclut ce dernier.
Au-delà du manioc, le laboratoire de l'IITA expérimente également une multiplication rapide d'autres plantes comme la patate douce, l'igname, la pomme de terre...