Ile Maurice: Consommation et taux d'intérêt - Pourquoi la forte inflation persiste ?

Ne vous y méprenez pas. Affichant 12,2 % en glissement annuel à décembre 2022, la forte inflation affectant chaque consommateur mauricien est là pour durer, surtout que nous souffrons aussi d'inflation locale. Si l'entrée en vigueur d'un nouveau cadre de politique monétaire à partir du 16 janvier avec un objectif fixé d'une inflation entre 2 et 5 % est un bon début, la réalité est qu'atteindre cet objectif peut prendre des années. En effet, la banque centrale doit rester prudente dans le rythme d'augmentation de son taux directeur pour maintenir la stabilité financière du pays, compte tenu de la dette des ménages et des entreprises.

2023 s'annonce décidément difficile, à commencer par la nouvelle estimation de la Banque mondiale qui, mardi, revoit à la baisse son estimation du taux de croissance mondiale à 1,7 % pour 2023 contre 3 % à juin 2022. La Banque mondiale prévient d'ailleurs que la politique d'augmentation des taux d'intérêts des grandes économies aura comme dommage collatéral une aggravation du ralentissement économique à l'échelle mondiale. Revenonsen à la source de ces actions et réactions, la forte inflation.

Affichant 12,2 % en glissement annuel à décembre 2022, si notre taux élevé d'inflation était importé aux prémices de la pandémie et du conflit russoukrainien, nous souffrons à présent lourdement d'inflation locale. En effet, au niveau mondial, l'indice FAO des prix des produits alimentaires est en baisse, enregistrant en décembre dernier une réduction de 1,9 % comparée au mois de novembre. Au niveau des cours pétroliers, le prix du baril Brent crude oil, qui au courant de 2022 avait dépassé la barre des USD 100, était à hier fixé a environ USD 82. Si malgré ces améliorations, la situation de la production et de la chaîne d'approvisionnement reste difficile à l'international, la réalité est que le niveau de notre inflation de base est élevé.

En effet, voyons la valeur de notre CORE2 inflation, qui exclut les produits alimentaires, les boissons et le tabac, les intérêts hypothécaires sur les prêts au logement, l'électricité, le gaz, les autres carburants et les articles dont les prix sont contrôlés par rapport à l'Headline inflation. Nous nous retrouvons avec un CORE2 inflation de 7,3 % sur la période des douze mois se terminant à décembre 2022, contre 4,5 % à la même période en 2021 et 3 % pour 2020. Pourquoi l'inflation locale est-elle si élevée et pourquoi résiste-t-elle aux mesures prises par les autorités?

Dépréciation de la roupie

Pour commencer, le niveau de la demande et les dépenses de consommation restent trop élevés. Pour maîtriser l'inflation, il est nécessaire que le niveau de la demande baisse pour réduire l'injection de cash sur le marché et notre note d'importation en devises étrangères qui devrait atteindre les Rs 300 milliards pour 2022. Or, selon les dernières données du rapport National Accounts de Statistics Mauritius, les dépenses des ménages à la consommation ont augmenté de 3 % pour l'année calendaire 2022.

Ensuite, on le voit à la Une de la presse économique internationale ; les taux d'intérêts augmentent agressivement aux États-Unis, la Federal Reserve Bank ayant augmenté ses taux d'intérêts pas moins de sept fois en 2022, et compte continuer en 2023 jusqu'à atteindre les 5 ou 5,5 %. L'impact de ces mesures est évidemment que cela entraîne une augmentation des taux d'intérêts de manière générale dans l'économie américaine avec pour conséquence une appréciation conséquente du dollar vis-à-vis des autres monnaies.

Ajoutez cela à la dépréciation locale de la roupie de plus de 20 % depuis le début de la pandémie, et nous avons là de quoi grossir notre déficit commercial estimé à Rs 200 milliards pour 2022, soit 50,3 % de plus qu'en 2021, tout en affectant le coût de nos produits importés, majoritairement en dollars. Aussi, il ne faut pas négliger l'impact du manque de devises étrangères sur le marché, affaiblissant la valeur de notre roupie et nécessitant des interventions massives de la BoM sur le marché des changes.

Ce n'est pas un secret, les transferts de la banque centrale à la trésorerie du gouvernement pendant le Covid-19, nécessaires à l'époque pour soutenir les ménages et les entreprises, auront eu des conséquences. Avec un excès de liquidités de Rs 27,7 milliards sur le marché en janvier dernier, la banque centrale a entamé de nombreuses mop-up operations, incluant l'augmentation de son key repo ate, actuellement fixé à 4,5 %. L'excès de liquidités était estimé à Rs 12,7 milliards à novembre dernier. Dans le contexte de la politique monétaire, le manque de crédibilité de la banque centrale, avec l'absence d'une stratégie claire, une position financière affaiblie, un besoin de recapitalisation et une ambiguïté quant à sa capacité à défendre la roupie, n'a pas aidé à gérer les attentes sur l'évolution de l'inflation réduisant l'impact de ses actions.

Pourquoi cette forte inflation se maintiendra-t-elle ? Pour commencer, l'annonce de la banque centrale d'un nouveau cadre de politique monétaire à partir du 16 janvier avec un objectif fixé d'une inflation entre 2-5 % est un bon début dans cette lutte anti-inflationniste, mais les résultats de ce nouveau cadre peuvent prendre entre 12 et 24 mois pour se manifester. Aussi, l'utilisation de la stratégie de hausser les taux d'intérêts, qui décourage la dette, a ses limites dans le contexte mauricien. En effet, avec la dette des ménages estimée à Rs 101,2 milliards à fin novembre 2022, celle des entreprises à Rs 277,5 milliards sur la même période, sans oublier la dette publique totale estimée à 85,2 % du PIB, de nouvelles hausses trop agressives et trop rapides du taux directeur pourraient avoir de graves conséquences sur la stabilité financière du pays.

Approche ciblée

Donc, la marge de manoeuvre de la banque centrale à court terme est restreinte, ce qui pourrait retarder encore plus sa capacité à atteindre son objectif d'inflation en 2024, si ce n'est plus tard. Nous sommes donc dans un contexte où l'État devra aussi intervenir au niveau fiscal, à commencer par retourner à la banque centrale le montant des transferts. Cela aura évidemment un impact avec une capacité amoindrie de soutien social. L'État se retrouve donc contraint à réduire ses dépenses, à avoir une approche ciblée aux allocations sociales et à revoir, peut-être de manière temporaire, certaines taxes pour rééquilibrer son équation.

Sur ce point, l'analyste financier Sameer Sharma nous en dit plus. "La BoM s'y est prise trop tard dans le renforcement de sa politique monétaire et a mal évalué ses risques en adoptant une politique trop souple avec par exemple, le soutien financier quasi sans contrepartie aux entreprises. Maintenant, résultat, si la BoM devait viser ne serait-ce qu'un taux d'inflation de 5 %, elle aurait probablement besoin d'un taux directeur variant entre 7,5 % et 8,25 %, selon la règle de Taylor. Ce genre d'augmentation spectaculaire par rapport à la situation actuelle entraînerait une décélération significative de l'activité économique et la faillite de nombreuses entreprises, sans oublier l'impact sur les ménages.

Nous devons donc accepter une inflation plus élevée et essayer progressivement de la réduire. La banque centrale pourrait, dans un premier temps, après avoir été recapitalisée, commencer par viser 7 % d'inflation et stabiliser le taux d'inflation autour de 6 à 7 %. Au fur et à mesure que l'économie mondiale se stabilise et que nous avons une meilleure maîtrise de l'inflation en 2024, nous pourrons alors viser un objectif d'inflation plus faible, comme 5 %, puis le ramener à 4 %. En même temps, il faudra assainir les finances publiques et avoir une approche ciblée pour aider les plus vulnérables."

Cela rejoint les recommandations du World Economic Forum qui préconise aussi une action combinée entre la politique monétaire et les actions fiscales, qui, si elles seront difficiles à affronter, auront à long terme plus d'impacts positifs. Donc finalement, la suite s'annonce difficile pour les Mauriciens. Par conséquent, il vaut mieux le réaliser maintenant et adapter nos habitudes et nos attentes.

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