Tunisie: Saïed porte "un projet messianique, tout en prétendant vouloir renverser la pyramide"

Après son ascension au pouvoir en 1987, l'ancien président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali, renversé en 2011, a instauré un régime présidentiel avec un gouvernement et un Parlement qui avaient un pouvoir relatif. L'actuel président de la Tunisie, Kaïs Saïed, a pris tous les pouvoirs et a nommé un gouvernement qui n'a pas un vrai pouvoir. Y a-t-il une similitude entre les deux régimes ? Entretien avec Alia Gana, directrice de recherche émérite au CNRS.

Peut-on parler d'une similitude entre le régime Ben Ali, un régime présidentiel avec un gouvernement et un Parlement sans vrai pouvoir, et la présidence actuelle de Kaïs Saïed?

Aussi bien Ben Ali que Kaïs Saïed arrivent au pouvoir à la faveur d'un coup d'État ou d'un coup de force constitutionnel. Pour Ben Ali, c'est un contexte marqué par la détérioration de la vie politique, mais aussi par une crise sociale et économique.

Dans le cas de Kaïs Saïed, c'est plutôt un dysfonctionnement majeur de l'Assemblée parlementaire et, plus largement, une crise politique ; un rejet populaire de la classe politique au pouvoir depuis 2011.

Enfin, c'est un contexte marqué par une très grave détérioration de la situation économique et sociale, et une forte dégradation des finances publiques, avec un niveau d'endettement du pays jamais atteint jusque-là.

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Ces deux présidents, l'ancien et l'actuel, semblent vouloir travailler sans partis politiques. Ben Ali s'en est pris aux islamistes avant de s'en prendre à la gauche tunisienne. Kaïs Saïed cherche à changer radicalement le système politique.

Lors de son accession au pouvoir, Ben Ali a cherché dans un premier temps à asseoir sa légitimité en engageant un dialogue avec les partis politiques de l'opposition, y compris avec les islamistes. Mais, bien sûr, très rapidement, la montée en puissance des islamistes a mis fin au dialogue avec les forces politiques et sociales, et a provoqué le durcissement du régime. Donc, une répression féroce.

Dans le régime politique préconisé par Kaïs Saïed, le président est l'incarnation du peuple et se présente comme son sauveur. Il s'inscrit en quelque sorte dans un projet messianique, tout en prétendant vouloir renverser la pyramide et s'appuyer sur une démocratie. À la base, c'est au nom du peuple, au nom de la lutte contre les corrompus, que Kaïs Saïed entend gouverner.

On reprochait à Ben Ali la mainmise de sa famille sur le pouvoir du pays. Aujourd'hui, on reproche à l'entourage du président Saïed de faire la même chose.

Il serait peut-être difficile de parler d'une mainmise sur le pouvoir d'un clan structuré autour de Kaïs Saïed. En fait, ce qui caractérise le cercle qui entoure le président de la République, c'est son opacité, puisque le président n'a pas officiellement de parti, contrairement à Ben Ali.

Alors, mis à part le cercle des activistes, des comités de soutien - dont on peut aujourd'hui observer la division - et le cercle des idéologues, certains observateurs font état aussi d'une influence du cercle familial. On parle également d'influence ou de pression qui sont exercées par des éléments liés au système politique post-révolution.

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