Madagascar: Pêche thonière - Une filière discrète mais prospère

Les entreprises (pêche, conserverie... ) opérant dans la filière thon, jouent souvent la carte de la discrétion. Mais elles n'évoluent pas moins sur un créneau qui reste florissant.

Madagascar a connu ses premiers débuts dans la pêche thonière dans la première moitié des années 1970, avec le lancement des activités de deux sociétés. La première, la Kaigai Gyogyo Kabushiki Kaisha (KGKK), a entrepris une campagne de prospection à la canne dans la zone comprise entre Nosy Be, les Comores et les iles Aldabra. Les trois canneurs ayant participé à cette campagne ont débarqué quelque 4 000 tonnes de thon. Les résultats assez encourageants de cette opération ont motivé la création de la Compagnie Malgache Nippone de Pêcherie (Comanip) qui exploitait neuf canneurs. En 1974, cette société a pu réaliser des captures de l'ordre de 11 000 tonnes. Ces expériences ont montré l'existence de la ressource et le potentiel de la filière thon dans la Grande île.

Fort de ces enseignements, conscient de l'évolution des pêches mondiales, surtout depuis l'instauration des Zones économiques exclusives par la nouvelle Convention du droit de la mer, Madagascar a saisi l'opportunité pour progresser dans l'exploitation thonière. Aussi, divers accords de pêche ont-ils été conclus et une conserverie de thon créée à Antsiranana. Sur le plan régional, la coopération se trouve renforcée par la mise en œuvre du Projet régional thonier dans le cadre de la Commission de l'océan Indien (COI). Mais comme Madagascar ne maitrise pas encore la filière thon en général, du fait de la difficulté de commercialiser les produits en raison du coût élevé et du caractère sophistiqué des investissements, il a été jugé prudent de ne pas investir seul dans cette activité, mais plutôt de prioriser la coopération avec l'étranger. La conclusion des accords de pêche illustre cette politique.

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L'approche attribution de licences aussi bien à des senneurs qu'à des palangriers a été choisie pour permettre de tirer profit de la ressource thonière, en profitant au maximum du temps de passage limité des thons dans nos eaux (les espèces ciblées par les bateaux senneurs ne sont présentes à des quantités intéressantes dans les eaux malgaches, qu'environ trois mois dans l'année). Il existe un impact direct et d'autres avantages assez conséquents (transbordement de thons, réparation des thoniers à la Secren, ravitaillement, etc.) découlant des différents accords passés.

La présence simultanée des senneurs et des palangriers dans les eaux malgaches est complémentaire en ce sens que les zones de pêche sont différentes. Généralement, au nord (au large de Nosy Be plus précisément) pour les senneurs et plus au Sud, pour les palangriers. En ce qui concerne particulièrement les thoniers senneurs, du fait du passage limité dans le temps des thons, les bateaux titulaires de licence n'y viennent pêcher que quelques mois dans l'année. Mais c'est assez pour atteindre les objectifs de pêche fixés. Pour les palangriers, on peut dire que leurs licences sont exploitées pleinement toute l'année car les bateaux travaillent généralement dix mois dans l'année dans les eaux malgaches. Selon les observateurs, la filière thon demeure une activité prospère.

Antsiranana, une base thonière

Les thoniers senneurs européens ont commencé à fréquenter le port d'Antsiranana vers le milieu des années 1980. Cette partie de la Grande ile offre la possibilité de transborder facilement le thon, d'effectuer les réparations au chantier naval, de se ravitailler en sel, en gasoil ou en d'autres produits locaux, de relayer les équipages. Le port du Nord est surtout fréquenté par les navires thoniers de mars à juin, et la pêche s'effectue dans le canal de Mozambique. La position privilégiée d'Antsiranana comme site portuaire exceptionnel (situé dans une baie bien abritée) se trouve confortée par l'existence de la conserverie de thon " Pêche et Froid de l'Océan Indien " (PFOI) qui fonctionne depuis la fin des années 1990.

Dans la région Diana, la pêche thonière et la filière thon contribuent à 35 % de l'apport économique selon les résultats d'étude de l'Observatoire économique de la pêche et de l'aquaculture (OEPA). Cependant, les capacités de la capitale du Nord ont des limites. L'infrastructure d'accueil est insuffisante. Le quai du port, qui n'est que de 300 m, est utilisé sans relâche par les navires marchands, par la flotte thonière européenne et les cargos frigorifiques. Et l'infrastructure fait face à la concurrence, notamment de Mombassa (Kenya) et de Victoria (Seychelles). Cette congestion portuaire est perçue comme un facteur qui n'encourage pas le développement de la filière dans cette région.

L'usine de conserves de thon de la PFOI a commencé ses activités avec un réparti entre des groupes français (66,66%) et malgaches (33,34 %), dont la province d'Antsiranana. Aujourd'hui, elle est contrôlée par Thunnus Overseas Group (TOG). L'unité produit du thon en boîte et de la farine de poisson. Sa capacité peut atteindre 50 000 tonnes par an. Elle dispose de trois

unités : la confection de boites vides (300 000 boites/jour), la fabrique de farine de poisson (5 t/heure), la chaine de fabrique de conserves. Elle possède son propre

équipement qui fournit l'énergie électrique en cas de panne et quatre chambres froides situées dans l'enceinte du port. La PFOI évolue en tant qu'entreprise franche. Ses intrants entrent en admission temporaire, ses importations sont exonérées de taxes.

Nouvel accord avec l'Union Européenne

L'idée, qui a germé il y plusieurs années, de créer une société nationale de pêche thonière n'a, quant à elle, pas été concrétisée en raison de la complexité d'une telle entreprise. Mais même si la ressource existe, elle n'est pas permanente. La forme de l'exploitation, les investissements, la commercialisation des produits sont également autant de facteurs à considérer. Selon

certains observateurs, la filière a aussi besoin d'être mieux contrôlée et les statistiques de capture doivent être plus facilement vérifiables. Concernant le dernier accord de pêche signé avec l'Union Européenne, plusieurs tours de négociations ont été nécessaires pour parvenir à un consensus. Le dernier accord ayant expiré il y a quatre ans. Les deux parties ont pu trouver finalement un terrain d'entente sur les nouvelles conditions. Après les accords signés avec les Japonais en juillet dernier, pour la pêche au thon, est donc venu le tour des Européens.

Le ministère de la Pêche et de l'économie bleue, qui affirme qu'il tient compte des aspirations des acteurs de la société civile, a soutenu que la partie malgache a exigé avec succès une compensation financière équitable pour les thons capturés dans ses eaux territoriales. La révision du droit d'accès pour les armateurs européens a été ainsi officialisée dans le nouvel accord. Le prix à payer sur une tonne de thons capturée passera à 220 euros si cela était de 142 euros auparavant. Les redevances encaissées par la Grande île passeront à 40% si c'était 36% par le passé.

Plus de transparence Le nombre de bateaux de pêche européens autorisés à opérer dans les eaux malgaches devront être réduit de 25 à 30% et la quantité de produits autorisés à la capture ne doit pas dépasser 14 000 tonnes par an. Toujours selon le ministère, le droit d'accès payé à Madagascar est le deuxième droit d'accès le plus élevé dans l'océan Indien. Il est de 231 euros par tonne pour Maurice et de 191 euros par tonne pour les Seychelles. Constat est fait cependant que le gap entre la compensation financière de Madagascar et les bénéfices des entreprises privées dans le secteur reste important. Dans le cadre de la finalisation de ce nouvel accord de pêche, une délégation de l'Union Européenne s'est déplacée à Madagascar au cours du dernier quadrimestre de l'année passée. Les points relatifs aux contrôleurs de pêche, aux pêcheurs malgaches, à la taxe pour l'environnement ou encore aux différents appuis à l'économie bleue ont été discutés. Pour rappel, le premier accord de pêche entre Madagascar et l'Union Européenne date de 1986. Le dernier accord a été signé en 2014 et arrivé à échéance en 2018.

Les autorités indiquent, en outre, avoir surtout exigé de la part de l'UE une compensation financière qui tienne compte de la valeur des thons capturés, des coûts d'exploitation, des coûts de gestion et des charges de suivi, contrôle et surveillance. Selon les données disponibles, le prix de l'accès aux ressources représente moins de 5% des profits obtenus par les bateaux de pêche européens. Concernant les autres accords, notamment ceux réalisés avec les Asiatiques, la société civile estime que les responsables publics doivent toujours privilégier la transparence afin d'éviter les polémiques suscitées par les accords de pêche négociés avec des sociétés chinoises en 2018 ou encore le deal acté avec l'association japonaise des coopératives de thon Japan Tuna. En réponse, le ministère de la Pêche et de l'économie bleue a expliqué que tout est fait désormais, contrairement aux pratiques du passé, pour que les négociations et les accords soient réalisés avec transparence.

Filière thon

Protéger les petits pêcheurs

La Coalition pour des accords de pêche équitables (Cape) a tiré la sonnette d'alarme sur l'emprise grandissante des flottes étrangères, notamment d'origine asiatique, sur les ressources halieutiques de Madagascar, et les inquiétudes que cela génère parmi les petits pêcheurs malgaches depuis plusieurs années. Selon cette plateforme, ces derniers ne peuvent plus subvenir à leurs besoins à cause de l'accaparement de leurs ressources marines par les grandes entreprises d'exploitation de produits de pêche. " De grands chalutiers raclent les fonds sous-marins, certains sont des usines flottantes qui transforment sur place leur prise, pour une plus grande marge de retour sur investissement. Les pêcheurs doivent donc aller toujours plus loin dans l'eau pour espérer profiter de quelques produits marins. Mais avec des moyens plus que rudimentaires, comme les pirogues à balanciers, sans moteur, sans balise, sans radio ni gilets de sauvetage, leur sécurité est souvent menacée ", rapporte le Cape. Au-delà de la sécurité humaine, celle du monde animalier s'en retrouve également menacée, selon toujours cette plateforme qui rappelle que l'objectif de développement durable (ODD) pousse les États à garantir l'accès aux ressources marines et aux marchés pour la pêche artisanale. " Il est urgent d'agir pour relever les principaux défis afin que la pêche artisanale soit protégée et restaurée, et qu'elles continuent à contribuer aux économies, à la santé, à la culture et au bien-être ". Par ailleurs, selon l'Unité statistique thonière d'Antsiranana (Usta), les navires malgaches (ils sont moins de dix), peuvent seulement récolter 500 tonnes de thons par an contre plus de 1 000 tonnes par navire pour les bateaux étrangers. Ce faible taux est dû en premier lieu au manque d'investissement, mais également au manque de matériel. Ces quelques embarcations sont surtout des palangriers et appartiennent en partie à la société Refrigepêche-est et à la Société de Pêche de Sainte-Marie. Ils ont une taille inférieure à 25 m et peuvent déployer huit cents à mille trois cents hameçons circulaires par filage.

VERBATIM

Dr Etienne Bemanaja,

directeur général de la Pêche et de l'aquaculture

" La durée de l'accord de pêche avec l'Union Européenne ne devra pas dépasser quatre ans au lieu des six à huit ans comme auparavant. Madagascar est classé comme le deuxième pays ayant un tarif d'accès pour les captures de thons le plus élevé (220 euros) dans l'océan Indien. Outre l'accord avec l'UE, deux protocoles d'accord de pêche ont été signés par le ministère de la Pêche et de l'économie bleue. L'un avec la société Interatun Ltd, suivie de la délivrance de licence de pêche pour ses navires déjà opérationnels dans les eaux maritimes malgaches, tandis que l'autre a été signé avec la société Japan Tuna. Cela concerne la conduite d'une pêche commerciale des thons et espèces associées. "

Lovasoa Dresy, coordinateur de Programme chez WWF Madagascar

" Cinquante six enquêteurs à travers Madagascar ont été déjà formés à l'utilisation de la nouvelle technologie au service de la gestion de la pêche thonière à Madagascar. Une autre formation a aussi été programmée avec le soutien du WWF. Collectant les données de pêche sur terrain, ces enquêteurs enrichissent la base de données nationale. Des tablettes ont déjà été remises à l'Unité statistique thonière d'Antsiranana pour permettre à cette dernière d'étendre son champ d'action et à améliorer les connaissances scientifiques sur le thon à Madagascar. Avoir ces données et pouvoir les partager est un impératif pour notre pays ".

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