Deux journalistes renommés, Catherine Graciet et Éric Laurent, étaient jugés, lundi 16 janvier, pour chantage contre le royaume du Maroc. En 2015, alors qu'ils préparent un nouveau livre qui s'annonce explosif, ils acceptent une transaction financière en échange de leur silence. Reste à savoir qui fut en réalité le maître chanteur.
Ces 9 heures d'audience auront montré qu'il y a bien eu un pacte corrupteur scellé le 27 août 2015 dans un palace parisien. De l'aveu même d'Éric Laurent à l'audience, cette affaire aura été " un naufrage ". " J'ai plongé dans cette offre marocaine et je le déplore ", reconnaît également sa consœur, Catherine Graciet, 48 ans, autrice de livres sur le Maghreb et la Libye. Affaibli par deux AVC, muni d'une canne, le journaliste de 75 ans est l'ombre de lui-même à la barre. " Oui, je reconnais une transaction financière ", mais ce n'est en rien une " infraction pénale ", se défend l'ancien reporter de Radio France et auteur de nombreux ouvrages. Déjà auteurs en 2012 d'un ouvrage sur Mohammed VI, Le roi prédateur, les deux journalistes avaient signé un contrat avec Le Seuil pour un second tome sur le même sujet.
" Un naufrage "
" Mais c'est un naufrage aussi pour la partie civile ", enchaîne Éric Laurent, car à l'été 2015, celui qui allait devenir l'actuel ministre français de la Justice, Éric Dupond-Moretti, alors l'un des avocats en France du roi du Maroc, dénonce un racket de leur part.
Un chantage, abondent aujourd'hui les nouveaux avocats du royaume et ex-associés d'Éric Dupond-Moretti, Antoine Vey et Ralph Boussier. Pour preuve, disent-ils, deux enveloppes avec 40 000 euros pour chacun des deux journalistes. Une somme remise après plusieurs rencontres par un personnage clé pourtant absent lundi : Me Hicham Naciri. L'avocat du roi est missionné par son secrétaire particulier. Dans un palace parisien, fin août 2015, sur un bout de papier, tous trois signent un protocole d'accord : les deux journalistes s'engagent à renoncer à tout livre ou information contre le roi et le royaume du Maroc en contrepartie de deux millions d'euros.
Preuves fabriquées et enregistrements effacés
Ce pacte, aucun des prévenus ne le conteste. Car leurs échanges sont enregistrés par la police française saisie par le Maroc qui a déposé plainte quelques semaines plus tôt et qui les interpelle en flagrant délit dans le hall de l'hôtel. " Imaginez que nous n'ayons pas eu les trois enregistrements, qu'on n'ait pas eu les 80 000 euros et la reconnaissance écrite et manuscrite des deux prévenus, là cela aurait été compliqué, souligne Ralph Boussier, avocat du royaume. Si on avait voulu négocier, on n'aurait jamais déposé plainte, il faut être lucide et logique. "
Mais pourquoi alors Hicham Naciri efface-t-il les premiers audios de son iPhone quand un seul Airdrop suffisait pour transférer les fichiers, interrogent les avocats des deux journalistes qui dénoncent la fabrication de preuves, l'absence de commission rogatoire au Maroc, sans nier la faute morale des deux journalistes, comme le reconnaît l'un de leurs avocats, Éric Moutet. " La faute déontologique, l'acceptation scabreusse d'une somme d'argent contre une non-publication, c'est quelque chose qu'ils ont toujours reconnu. Il n'y a pas de difficulté là-dessus, plaide-t-il. Mais entre une faute professionnelle devant la commission de la carte de presse et un chantage devant un tribunal correctionnel, il y a un gap. "
Une peine d'un an de prison avec sursis et 15 000 euros d'amende ont été requis pour chacun d'entre eux. Délibéré attendu dans deux mois.