Dans cette interview, le nouveau Directeur Afrique de l'Ouest de la Société financière internationale (Sfi), filiale de la Banque mondiale chargée du secteur privé, aborde les défis auxquels le continent est confronté, notamment en matière de création d'emplois. Olivier Buyoya revient également sur les programmes et initiatives de la Sfi pour la souveraineté alimentaire, la transformation des produits agricoles, etc.
Vous venez d'être nommé Directeur Afrique de l'Ouest de la Sfi. Quelle est votre feuille de route ?
Ma feuille de route est relativement simple. Depuis que le Directeur général de la Sfi, Makhtar Diop, a pris les rênes de l'institut, nous avons défini une nouvelle approche et des priorités. Mon mandat, c'est de pouvoir en dérouler l'approche et les priorités en Afrique de l'Ouest. Aujourd'hui, nos pays sont confrontés à des situations sociales et économiques difficiles.
À peine sorti de la crise sanitaire, on subit de plein fouet les impacts de la guerre en Ukraine. Le peu de reprise qu'on avait commencé à entrevoir, essentiellement sur l'année 2022, a été fortement perturbée par les conséquences de ce conflit. Le rôle de la Sfi en Afrique de l'Ouest, c'est vraiment d'aider nos États à faire du secteur privé un moteur de la croissance à travers la création d'emplois grâce notamment aux investissements dans le secteur agricole.
L'autre secteur stratégique, c'est celui du logement. Le défi consiste à faire en sorte que l'on puisse résoudre les problèmes d'accès à un logement décent dans nos pays où l'urbanisation est en constante hausse. En résolvant ce défi, on contribue à créer des emplois. Le troisième volet, c'est la problématique centrale de l'accès au financement pour les Pme-Pmi.
Pour avoir cela, il faut avoir l'accès à l'information, évoluer dans un écosystème où les différends commerciaux sont réglés d'une façon rapide et juste. La problématique de l'accès au financement appelle aussi à des interventions ciblées sur l'écosystème des affaires. En résumé, notre objectif principal est de faire en sorte que, via le secteur privé, qu'on puisse créer des emplois pour les millions de jeunes sur le marché du travail.
Il est beaucoup question d'entreprenariat ? Que prévoit la Sfi pour accompagner les jeunes africains dans ce domaine ?
Nous n'avons pas de programme spécifique parce que nous pensons qu'il faut aborder ces défis de la promotion de l'entreprenariat par plusieurs angles. Les actions que nous menons dans plusieurs secteurs, les investissements que nous apportons pour les acteurs économiques dans les pays de la sous-région visent à soutenir l'emploi. Alors, quand vous parlez de l'entreprenariat, c'est la même notion que le soutien et la promotion des Pme.
Les défis rencontrés par les entrepreneurs c'est l'accès au marché et aux financements. Nous essayons de travailler par nos interventions spécifiques dans chaque secteur, à adresser et à résoudre ces défis. Maintenant, nous avons des solutions spécifiques. Par exemple, quand nous intervenons dans le secteur financier, en mettant en place des lignes de financement ou de garanties dédiées aux Pme-Pmi avec les banques commerciales de la place ou les sociétés de microfinance et quand nous finançons des fonds d'investissement dédiés aux entreprises qui investissent en Afrique de l'Ouest.
Nous avons fait un certain nombre d'opérations récemment. L'objectif visé, c'est de pouvoir apporter des ressources financières via des intermédiaires aux entrepreneurs. Donc, quand nous faisons la promotion du contenu local dans les projets d'envergure d'infrastructures, nous travaillons avec ces promoteurs pour qu'ils puissent y avoir des politiques incitatives, d'intégration de Pme locales dans leurs programmes.
Nous le faisons dans le secteur minier et dans le secteur agricole avec de grands groupes agricoles qui ont pris conscience de l'importance d'intégrer les Pme-Pmi, les coopératives locales dans leurs chaînes de valeurs en leur assurant le marché, en achetant les produits et services de ces entreprises. Cela contribue directement au développement de l'entreprenariat.
L'un des enseignements de la Covid-19 c'est qu'il faut promouvoir la souveraineté alimentaire. Comment la Sfi peut-elle contribuer à cet objectif ?
Nous avons lancé très récemment une initiative, une plateforme pour la sécurité alimentaire au niveau mondial. L'idée est de pouvoir, dans le contexte actuel, réunir un certain nombre de leviers internes pour pouvoir adresser la problématique de la sécurité alimentaire dans nos pays d'intervention. L'objectif, c'est de pouvoir identifier des acteurs pour les soutenir rapidement avec différents instruments, afin qu'ils puissent augmenter leurs capacités à produire localement le riz, la volaille, le poisson.
On évoque également l'approvisionnement en intrants, parce qu'on a vu que les impacts les plus importants de la crise ukrainienne sont l'augmentation du prix des engrais. L'idée ici, c'est aussi de pouvoir utiliser la technologie, de regarder tout ce qui tourne autour de l'écosystème de production agricole dans nos pays afin de les aider à résister à ce type de choc. On est à la recherche de partenaires, d'entreprises locales, régionales ou internationales qui cherchent à augmenter les productions agricoles dans nos pays.
Il y a également des initiatives qui font la promotion du système irrigué. Nous voulons, autour de cette plateforme, fédérer les efforts et faire la jonction avec ce que nos collègues de la Banque mondiale et les autres partenaires sont en train de faire. Cette crise est aussi une opportunité. C'est pour cela qu'on parle de plateforme pour ainsi mettre ensemble les initiatives et aller de l'avant.
Le montant alloué à cette plateforme est de 6 milliards de dollars. C'est un début. Le plus important est de pouvoir enclencher et vraiment avoir des projets pilotes pour montrer que c'est possible.
Quid de la transformation des produits agricoles et de l'industrialisation ?
C'est effectivement un défi. Je pense que l'agriculture doit être considérée comme un tout. Il ne s'agit pas de regarder simplement la production mais aussi penser à la transformation ou aux exportations. Il faut vraiment avoir une approche chaîne de valeurs et mettre en place des interventions ciblées et coordonnées.
Si on prend l'anacarde par exemple, aujourd'hui, en Afrique de l'Ouest, la Côte d'Ivoire, le Sénégal et la Guinée-Bissau assurent environ 90% de la production mondiale. Le marché de la noix se trouve essentiellement en Europe et aux États-Unis pour le produit fini. Et c'est à cinq six heures de vol.
Donc très proche de l'Afrique, mais ce qu'on constate, c'est que la noix est transportée en Asie, essentiellement en Inde et au Vietnam, transformée sur place et ramenée dans nos marchés. Parce qu'on n'a pas pu développer une industrie de transformation de l'anacarde avec un processus relativement simple, comparativement à une raffinerie de pétrole ou autre.
L'industrie de transformation de la noix n'est pas très sophistiquée. Il y a un certain nombre de contraintes comme le financement, la disponibilité de la matière première. Pour l'anacarde, la saison est de trois à quatre mois, après il faut stocker. Ensuite, il y a le savoir-faire, l'accès à l'outil de production pour pouvoir l'utiliser, produire à des standards internationaux.
Aujourd'hui, si on se donne pour défi de transformer 100% de la noix qu'on produit en Afrique de l'Ouest, c'est tout à fait possible, c'est à notre portée. Ce n'est pas une question de technologie, de savoir-faire ou de financement, mais c'est une question d'approche, de mettre toutes ces problématiques ensemble.
Ces technologies peuvent être appliquées aussi dans le domaine de l'horticulture avec des filières telles que la tomate et l'oignon. Je pense que 80 à 90% de l'oignon consommé en Afrique de l'Ouest vient essentiellement des Pays-Bas alors que nous avons les terres arables, nous avons le marché car dans chaque famille, on consomme de l'oignon chaque jour. Donc, le marché est intégré.
Ce qui manque, c'est une approche intégrée, une prise de conscience des acteurs publics et privés de l'intérêt de travailler ensemble. Il faut des politiques cohérentes et incitatives. Quand on voit les différents plans nationaux, il n'y a pas un seul dans la sous-région qui n'inscrit pas l'agriculture et la transformation en priorité.
Donc, tous les ingrédients sont là et notre rôle, au niveau de la Sfi, est de pouvoir rapprocher les uns et les autres et de créer les opportunités quand elles ne sont pas visibles pour les uns et pour les autres.