One Health ou l'approche " une seule santé " est presque méconnue des populations, mais son apport en vue d'améliorer les résultats en matière de santé publique est immense. Dans cette interview, Dr Nadège Minougou, vétérinaire, spécialiste en santé animale au secrétariat technique One Health du Burkina, nous donne davantage d'éclairages sur son objectif, importance et surtout sa contribution dans la lutte contre les épidémies et les maladies émergentes.
Sidwaya(S) : Qu'est-ce que l'approche One Health ?
Nadège Minougou (N.M.) : L'approche One Health ou encore "une seule santé" est un mécanisme de collaboration multisectorielle qui vise à renforcer les capacités des différents secteurs de la santé humaine, animale et de l'environnement pour une collaboration dans la prévention, la détection et la réponse efficace aux problèmes de santé publique à l'interface de ces secteurs.
S : Quel est le lien entre la santé humaine, animale et l'environnement ?
N. M. : L'Homme vit dans un environnement et il vit avec des animaux. Donc, ces trois sont en étroite collaboration tous les jours. Il y a des maladies qui sont communes à l'Homme, à l'environnement ou encore à l'animal. Et on appelle zoonose par exemple toutes ces maladies qui se transmettent des hommes aux animaux et vice-versa. On estime à 75% les maladies zoonotiques.
Dans des situations, par exemple, de charbons bactéridiens (anthrax), de rage... il ne suffit pas seulement de prendre en charge les Hommes qui sont atteints, mais aussi de voir s'il y a des animaux qui étaient malades et ont été abattus et consommés, de voir s'il y a des animaux qui sont morts dans des champs et que ces champs deviennent " maudits " c'est-à-dire pollués à tel enseigne qu'on ne peut plus les utiliser.
S : Quels sont les avantages de cette approche ?
N. M. : Cette approche est importante. Elle est d'abord économique. Par ce qu'on gagne en travaillant ensemble, aussi, on va plus vite et plus loin. Cette approche permet un partage de données. Et, ce partage de données permet que l'information soit en même temps partagée à tous et d'anticiper certaine survenue de situation de santé publique. Par exemple, quelqu'un qui prend de la viande à l'abattoir qui consomme et devient malade, si rapidement on sait d'où cela vient, on peut canaliser le problème ou retrouver toutes les personnes qui ont consommé ou ont été en contact avec cette viande.
Donc, c'est vraiment bénéfique cette approche et il faudrait l'inculquer. Nous sommes en train de plaider pour que dans les écoles de formation les apprenants aient une notion de base sur cette approche One Health. De nos jours, nous n'avons pas encore atteint un niveau optimal de collaboration multisectorielle dans cette approche. Du coup, la réactivité face à une situation multisectorielle est très lente.
S : Alors quels sont les enjeux et objectifs de One Health ?
N. M. : One Health vise à prévenir d'abord les situations de santé publique, détecter ces situations quand elles arrivent et aussi pour la riposte dans ce cas de situation de santé publique. Et, l'objectif c'est de travailler ensemble pour que l'Homme se porte bien dans son environnement. Ainsi, nous pouvons réellement intervenir rapidement, prévenir ces situations et disposer de cadres de concertations multisectoriels.
S : Qu'en est-il aujourd'hui de la réalisation de ces objectifs ?
N. M. : Ces objectifs sont en cours de réalisation parce que le Burkina, à l'instar de plusieurs pays de la CEDEAO, a mis en place la plateforme nationale de coordination "une seule santé". Et cette plateforme est multisectorielle avec un conseil national présidé par le Premier ministre, un comité technique de pilotage qui est placé sous la responsabilité actuelle du ministre en charge de l'environnement et un secrétariat technique dirigé par un secrétaire.
Un exemple concret d'action déjà en cours, c'est la plateforme électronique "une seule santé", qui est actuellement en phase test au niveau de la région du Centre-Ouest, du Plateau central, de la Boucle du Mouhoun et du Centre-Sud. Cette plateforme électronique a pour but d'aller jusqu'au niveau communautaire pour permettre que toute situation d'évènement inhabituel ou de santé publique soit notifiée à l'autorité compétente et que directement au niveau de la plateforme ce soit enregistré pour une réponse rapide.
S : Quelle est la pertinence de cette approche en Afrique ?
N. M. : En Afrique, il y a encore du travail à faire pour tout ce qui est de la collaboration multisectorielle. Cette approche va permettre de minimiser certains défis adaptatifs comme " de tirer la couverture sur soi " et permettre à chacun d'être au même niveau d'information, permettre des missions conjointes afin que chacun gère ce qu'il a à gérer et qu'ensemble on résolve le problème.
En cas de situation à l'interface Homme-Animal-Environnement, il est fortement recommandé, par exemple, des investigations conjointes : équipe comportant au moins un médecin, un vétérinaire et un environnementaliste. Je pense que cette approche va nous aider au niveau de l'Afrique en générale et au Burkina de façon spécifique.
S : Concrètement, comment l'Afrique peut tirer des bénéfices de cette approche ?
N. M. : L'Afrique tire déjà des bénéfices de l'approche grâce à l'appui des partenaires technique et financier. Beaucoup de pays africains ont déjà des plateformes One Health. Et, ces plateformes ont des activités qui sont déjà bénéfiques pour les communautés. Au niveau communautaire, lorsque vous leur apprenez, par exemple, les types de viandes qu'il ne faut pas consommer, c'est d'abord une information et en même temps une sensibilisation pour cette communauté sur certaines maladies surtout des animaux méconnues.
Cela permet aussi de partager toutes ces informations dès la base parce qu'il y a un public en plus des techniciens. Et, nous essayons de rendre l'information accessible au maximum pour que l'individu lambda comprenne. A la longue, cela va nous permettre de lutter efficacement contre les maladies émergentes, les pandémies qui sont déjà présentes et d'autres situations de santé publique.
S : Alors comment optimiser sa mise en œuvre sur le continent ?
N. M. : Pour optimiser sa mise en œuvre, il faut un engagement politique d'abord. Il faut un engagement financier des Etats par ce que c'est toujours le défi. Et, il faut tout le temps des cadres de concertations pour que les acteurs comprennent réellement l'avantage de l'approche One Health. Dans d'autres pays, des études économiques ont été faites pour montrer la pertinence de l'approche. En Afrique, il reste à conduire des études d'évaluation et de comparer ce que les différents pays gagnent en allant vers cette collaboration multisectorielle.
S : Est-ce à dire que cette approche souffre d'un problème de financement au Burkina ?
N. M. : Relativement oui. De plus en plus, le pays s'engage. Depuis 2021, nous avons reçu des promesses de budget alloué au secrétariat technique One Health, par exemple. Mais, ce n'est toujours pas effectif. Du coup, nous sommes toujours limités dans nos activités et ne travaillons qu'avec l'appui des partenaires financiers.
S : L'approche One Health peut-elle permettre d'éviter les pandémies, épidémies... ?
N. M. : Bien sûr. Avec la COVID-19, par exemple, si les spécialistes de la santé animale avaient détecté rapidement la pathologie chez le pangolin, qu'on penserait serait à l'origine de la maladie et que l'information était partagée rapidement aux autres, on aurait limité la maladie certainement. Et, nous ne savons pas ce que demain nous réserve. Si demain, nous avons une pathologie de l'environnement, où, des animaux qui puissent affecter l'Homme, s'il y a cette collaboration, je pense qu'on limiterait les dégâts.
S : Quelles sont les perspectives et défis de cette approche ?
N. M. : Les perspectives, c'est inculquer cette approche dès la base, notamment dans les instituts et écoles de formation. Si nous arrivons au niveau des écoles primaires, des lycées, des écoles de formation à inculquer cette collaboration multisectorielle, aux uns et aux autres, sur le terrain, le travail sera facilité. La perspective aussi, c'est d'étendre tout ce qu'on a déjà mis sur place comme phase test, à l'échelle nationale.
Et pour cela, il faut des ressources financières disponibles à temps. Cette mise à échelle nécessite des moyens financiers importants et ne pourrait être financé exclusivement par les partenaires financiers non étatiques.
S : L'approche semble méconnue au Burkina, comment comptez-vous la rendre visible ?
N. M. : Effectivement, l'approche semble être méconnue du fait de toutes ces difficultés relevées précédemment. Puisque, nous n'avons pas encore commencé des conférences au niveau des écoles, des universités, etc. Au niveau de l'espace CEDEAO, les pays se rencontrent et on essaie de médiatiser pour que l'opinion publique puisse comprendre ce qui est déjà fait.
Beaucoup est fait, mais, il reste à faire pour que l'information puisse passer à tous les niveaux. Mais cela nécessite du personnel, des ressources financières, etc. Et, je pense que c'est une question de temps parce que c'est une approche assez nouvelle pour nos pays d'actualité et la plateforme est jeune. C'est une question de temps pour que l'information puisse être diffusée largement.
S : Votre appel pour que One Health puisse être bénéfique à tous les Burkinabè ?
N. M. : En janvier 2022, les différents ministres ont été conviés pour partager cette vision. C'est vraiment un appel à la compréhension de ce que nous faisons et également à un engagement réel. Le Conseil national est présidé par le Premier ministre. Il faut que les nouvelles autorités puissent poursuivre le même engagement que les anciennes, pour une meilleure continuité.
Donc, nous espérons que ce sera une continuité au niveau politique. Parce que nous avions un engagement du ministre de la Santé, des Ressources animales, de l'Environnement, de l'Agriculture, de la Recherche et du Premier ministre. C'est aussi espérer que nous comprenons tous que c'est important de travailler ensemble. Et, qu'avec cela, nous puissions gérer ensemble les problèmes de santé publique.