Pour gagner leur vie, des femmes ont décidé d'exercer le métier de charbonnier, bravant la fumée, la chaleur et bien d'autres difficultés.
Dans le quartier Zone, à l'entrée nord de la ville de Danané, la fumée s'élève à perte de vue. C'est ici qu'est fabriquée une bonne partie du charbon de bois qui alimente les foyers des habitants de la ville. Zone est une immense fourmilière. Toute la journée, des coups de machette résonnent. Tandis que des camions font de nombreuses allées et venues pour ravitailler les charbonniers en résidus de bois rejetés par la société forestière voisine Thanry.
Dans une atmosphère surchauffée, dame Diomandé Moné, pieds nus sur un sol chaud, verse de l'eau sur un four incandescent. Elle a le visage couvert de poussière noire et transpirent à grosses gouttes. Avec un arrosoir, elle continue d'éteindre une brèche ouverte dans le four. Elle ne semble pas sentir la forte chaleur et la fumée l'empêche de respirer normalement. " Je n'ai pas le choix, c'est ici que je gagne mon pain ", dit-elle. Et d'ajouter qu'elle exerce ce métier depuis cinq ans.
Comme elle, des centaines de femmes de tous âges (entre 5 et 60 ans) viennent chaque jour à la Zone, bravant le soleil et le feu pour gagner leur vie. N'ayant pas de ressources pour s'adonner à des activités rémunératrices, Diomandé Moné travaille ainsi depuis 2015. " J'avais du mal à rassembler les morceaux de bois et à être en contact permanent avec le feu. Avec l'expérience, j'arrive, avec l'aide des autres femmes, à m'en sortir ", confie-t-elle le regard fatigué mais souriante. Elle arrive chaque jour sur le chantier à 8 heures au plus tard pour en repartir au coucher du soleil.
Une de ses collègues, Wakeleu Nadège, âgée d'une trentaine d'années, défie le feu depuis dix ans. Il n'y a pas d'heure fixe pour commencer le travail, explique-t-elle. Arrivée ce vendredi matin à 8 heures, elle dit être venue tard. " Je voulais faire le commerce, mais je n'avais aucun sou pour commencer ", raconte-t-elle.
Bien que le travail soit harassant, il rapporte peu. Le manque de moyens pour acheter le bois fait que beaucoup de charbonniers travaillent la plupart du temps pour de grands exploitants. Leur tâche consiste à couvrir de sciure de gros tas de morceaux de bois, à éteindre le feu, à trier des résidus de bois ou à remplir des sacs vides. Tokpa Glao Julien, en classe de 6e au lycée moderne de Danané, a choisi de remplir les sacs de charbon à ses heures perdues.
Selon cet élève de 11 ans, un sac rempli lui rapporte 50 FCfa. Pour faire face à ses besoins, il remplit jusqu'à 20 sacs par jour. Avec l'argent obtenu, il achète de la nourriture et quelques fournitures ou documents exigés par les professeurs.
Pour couvrir un four de deux mètres de haut, il faut fonctionner en petits groupes de travail. Dié Adeline travaille avec cinq autres femmes. Ensemble, elles se partageront 3 000 FCfa une fois que le propriétaire du four aura vendu " le diamant noir ". Celles qui ont la tâche d'éteindre le feu doivent, elles, parcourir de longues distances pour chercher de l'eau. Elles gagnent 4 000 FCfa par four pour souvent six à sept heures de travail. 4 000 FCfa, c'est l'équivalent de huit barriques d'eau. Une barrique coûte 500.
Mme Gue Edwige a plus de chance que les autres, elle produit du charbon de bois. Mais elle est confrontée, depuis un moment, à un manque de bois. " Notre activité dépend de la bonne santé de la société Thanry. Nous demandons aux autorités de nous aider, comme elles l'ont fait pour les autres secteurs grâce aux emprunts. Le coût du chargement de résidus de bois varie en fonction de la qualité du bois. La première qualité est à 40 000 FCfa et la seconde à 20 000 ", dit-elle.
Difficiles conditions de travail
Sous des tentes de fortune faites de vieilles nattes ou de vieux plastiques soutenus par des morceaux de bois, les travailleuses peuvent, de temps en temps, s'accorder quelques instants de répit. Les revendeurs s'y reposent en attendant la mise en sac du charbon. Elles achètent les sacs à 3 000 ou 2 500 FCfa qu'elles revendent à 4 000, voire 5 000 FCfa, en fonction de la qualité.
Le soir venu, toutes les travailleuses retournent chez elles les muscles endoloris, des picotements aux yeux, la poitrine lourde. Quelques petits comprimés achetés à la pharmacie leur servent de remontants, disent certaines. Beaucoup d'entre elles achètent en réalité des médicaments dans la rue. Sur le site, une jeune fille d'environ 14 ans tient d'ailleurs dans un petit plat, quelques comprimés destinés à la vente et des bananes douces.
Malgré la fatigue, il faut bien reprendre le chemin du travail le lendemain. " La vie ne nous laisse pas le choix. Nous devons aider nos maris qui ont généralement eux-mêmes des problèmes pour joindre les deux bouts ", explique Dame Boga Amandine, mère de trois enfants.
Des enfants de cinq ans à peine, assis à côté de leurs parents ou souvent seuls, participent à la fabrication du charbon de bois sur le site. La petite Marie, en classe de Cm1, est venue prêter main-forte à sa maman. Les enfants Gueu aident leur mère en allant chercher l'eau dans la rivière. Les accidents de travail ne sont pas rares. Dame Boga Amandine montre une blessure : elle a marché sur une braise par mégarde. Ce n'est pas ce qui la décourage. Elle recommence le travail comme si rien de rien n'était.
L'hygiène n'est pas la chose la mieux partagée sur ce site. Il n'existe pas de vrais restaurants. Des restauratrices ambulantes proposent de la nourriture servie dans des sachets en plastique. En général, chacune se nourrit en achetant un plat de riz ou de haricot à 100 FCfa. L'essentiel, c'est de se remplir le ventre pour tenir face à la chaleur.
Après la crise post-électorale de 2010-2011, beaucoup de femmes de la région ont bénéficié d'activités génératrices de revenus. Celles du site de la Zone pensent qu'elles ont été oubliées. Elles souhaitent que les autorités, surtout le maire Ouattara Lacina, leur octroient des financements.
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Le charbon de bois, destructeur de la forêt
La production du charbon de bois est une activité gravement préjudiciable aux forêts ivoiriennes. A l'ouest, la faune et la flore souffrent des conséquences dommageables de la pratique de cette activité.
Essentiel pour les familles qui n'ont pas d'autres sources d'énergie, le charbon de bois sert à faire du feu pour la cuisine quotidienne, pour certains besoins domestiques et est parfois utilisé pour le petit commerce : vente de bananes ou d'épis de maïs braisés.
A Danané, dans l'ouest du pays, 90% de la population est totalement dépendante de cette source d'énergie. Et les conséquences de cette activité sur le couvert forestier de cette zone sont effrayantes.
Les forêts classées et villageoises souffrent du déboisement lié à la fabrication du charbon de bois et aux exploitations agricoles. Autour de la ville de Danané, il n'y a plus de grands arbres.
Il en est de même sur l'axe Danané-frontière guinéenne ou sur l'axe menant à Man ainsi que le long de la route qui conduit à Zouan-Hounien. Alors question : doit-on se passer du charbon de bois ?
Il faudra sûrement attendre longtemps avant que ce type de cuisine au bois disparaisse. Car, pour l'heure, il n'y a aucune énergie de substitution accessible pour le plus grand nombre de ménages, y compris dans les grandes villes, en raison du faible revenu des familles.