C'est une histoire bizarre et intéressante entre l'Iran et l'île Maurice. Deux territoires très lointains qui ne se connaissaient pas avant, se sont retrouvés par une coïncidence à l'époque, et par la décision d'un pays tiers. D'après ce que j'ai lu dans les livres d'histoires, en 1941, Reza Shah Pahlavi (1878-1944), le roi d'Iran, soucieux de prendre son indépendance vis-à-vis de la Grande-Bretagne, se rapproche économiquement de l'Allemagne au point que celle-ci devînt son premier partenaire commercial.
Ce rapprochement inquiète les Britanniques d'autant plus, qu'entre-temps, en 1933, l'Allemagne est devenue nazie. Quand la Seconde Guerre mondiale (1939-1941) éclate, les Britanniques demandent à Reza Shah d'expulser les Allemands de son pays, et de se servir de territoire iranien pour faire passer des armements, ce qu'ayant déclaré la neutralité le 3 juillet 1941, il refuse.
Ce qui pousse la Grande-Bretagne et l'Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS) à l'invasion de l'Iran le 25 août 1941. Il était aussi prévu que les troupes alliées pénètrent dans la capitale iranienne. Donc Reza Shah voit là la manifestation que son heure a sonné ; qu'il est forcé d'abdiquer le pouvoir en faveur de son fils Mohammad Reza (1919-1980), en septembre suivant, et être envoyé en exil par les Britanniques.
Dans ce cadre, un bateau anglais le conduisait de Bandar Abas, dans le sud de l'Iran, vers Bombay mais, défendu de débarquer, il a dû rester cinq jours au large. Ensuite, il devait se rendre en Amérique Latine, où les Britanniques ont consenti à le laisser aller mais, alors qu'il est en pleine mer, il apprend que la destination a changé, et il est forcé d'aller finalement à l'île Maurice sous la colonie anglaise. Ainsi, malgré son opposition aux Anglais, on l'amenait à Maurice et plus précisément au Château Val Ory à Moka, au centre de l'île, accompagné par ses proches et ses serviteurs. Ainsi, le nom de l'île Maurice est entré dans l'encyclopédie historique de l'Iran, et les deux pays ont commencé à se connaître.
Le roi iranien
Reza Shah était un homme très fort et très orgueilleux dans son pays. Une fois déchu et déshonoré par les Anglais, il n'a pas pu s'adapter à une petite vie dans cette demeure. Très gêné de sa circonstance, le roi demanda, le 24 octobre 1941, une audience auprès de sir B. Clifford, le gouverneur de l'île, pendant laquelle il demanda son transfert dans un lieu plus confortable. C'est pourquoi, après seulement six mois, il fut transféré de l'île Maurice à Durban premièrement, et ensuite à Johannesburg en Afrique du Sud, toujours par les Anglais.
Son entourage racontait qu'il était très triste durant tout son exil, sans sourire, abattu et trop amaigri, même abandonné par sa famille. Lors de tous ses derniers moments, il s'enfermait dans la maison, ne goûtant à aucune distraction, pestant contre ses ennemis, surtout les Britanniques. Puis, son état cardiaque commença petit à petit à se détériorer.
Le 25 juillet 1944, il reçoit un disque en provenance de Téhéran, sur lequel le message de son fils, Mohammad Reza Shah, est enregistré. Il sort de chez lui, se rend à un studio d'enregistrement, où il enregistre lui-même un disque sur lequel il insiste auprès de son fils de ne plus jamais accorder sa confiance aux Anglais. Voici, en quelques mots, le testament de Reza Shah à son fils. Le lendemain, il est découvert inanimé par son majordome Izadi, qui venait le réveiller. Un médecin est appelé pour dire que l'ancien empereur, Reza Shah Pahlavi, est mort d'un arrêt cardiaque pendant son sommeil. Après sa mort, son corps est transféré au Caire en Égypte où il est enterré provisoirement, puis transféré en Iran en avril 1950.
Le sort du Château Val-Ory
Personnellement, je ne sais pas ce qui se passait au Château Val-Ory après le transfert du roi à Johannesburg. S'il était toujours à la disposition de la famille royale ou non. Mais, en 1972, Mohammad Reza Shah (son fils) l'a officiellement fait acheter par un notaire. Depuis lors, c'est la propriété du gouvernement iranien soumise aux dispositions de la Convention de Vienne de 1961.
L'ancienne demeure de Reza Shah est gérée par le ministère iranien des Affaires étrangères, via notre ambassade à Madagascar. Il est d'une superficie d'environ 4 hectares (un terrain et un ancien bâtiment en béton armé de trois étages). Construit en 1913, par l'architecte Pierre Josephe Aristide Régnard (1866-1922), il était le seul bâtiment entièrement fait de béton. Ce sera plus exactement Val-Ory II, car l'immeuble actuel remplace une première maison coloniale, en bois, couverte de bardeaux, construite vers 1860 par les Bourgault de Coudray.
Il est bon de préciser que le Château Val-Ory a sa réplique, à Floréal, sous le nom de Brossard, construit par le même architecte, acheté par la Libye en 1981, qui servait son ambassade jusqu'à janvier 1984, et fermé maintenant.
N'oublions pas que Val-Ory a reçu, pendant la guerre 1939-45, un autre exilé, en la personne de l'ancien Premier ministre yougoslave, Milan Stoyadinovitch (1888-1961), qui était en exil forcé d'avril 1941 à avril 1948.
Le château a passé des années de non-exploitation, parce que les conditions régissant les relations entre nos deux pays ne nous permettaient pas d'en faire un bon usage. Les gouvernements précédents à Maurice n'ont pas prêté l'attention nécessaire aux relations avec l'Iran, et chaque fois que nous avons décidé de faire un pas, nous n'avons pas reçu de réponse appropriée.
N'oublions pas de mentionner que le Château Val-Ory a été remis au nouveau gouvernement en phase de rénovation, lors de la Révolution iranienne du 11 février 1979. Je pense que c'était la société ZAC Associates qui faisait les travaux. Certainement, s'il avait été remis en bon état, la situation aurait été différente.
Bien sûr, personnellement, en tant que diplomate de carrière, je suis vraiment désolé que les deux pays n'aient pas pu utiliser ce trésor au cours de ces quatre dernières décennies pour renforcer leur coopération.
Mais, maintenant que les bonnes conditions sont réunies, j'ai déployé toutes mes forces pour corriger les erreurs du passé. Les évolutions récentes des relations entre les deux pays au cours de ces derniers mois ne nous permettent pas de nous comporter comme auparavant, par rapport au sort de ce château.
Lorsque les relations entre les deux pays étaient à un niveau très bas, on estimait que l'existence de cette propriété dans une zone très éloignée et sans exploitation, n'était pas justifiée. Pour cette raison, certains de nos collègues au ministère des Affaires étrangères ont soulevé la question de sa vente afin d'éviter des dépenses inutiles. Mais, fort heureusement, ce projet a rencontré des oppositions immédiates, même au sein dudit ministère, et a été rapidement annulé et classé. Il faut même signaler qu'à un moment donné, le gouvernement mauricien voulait l'acheter. Maintenant, je peux dire qu'en Iran plus personne ne pense à le vendre, et l'option de la vente n'est plus d'actualité. Et, par la suite, on cherche à présenter un plan adéquat pour son utilisation optimale, et nous travaillons dans ce sens.
L'utilisation envisageable du château
La vision du gouvernement mauricien concernant les relations avec l'Iran est considérée comme très importante pour déterminer le statut et le sort futur du Château Val-Ory, et le type d'utilisation. Après la visite de la délégation mauricienne à Téhéran, au mois d'août 2022, de très bonnes conditions ont été créées dans les deux pays pour porter une attention particulière envers ce château. Après cette visite, mes collègues au ministère des Affaires étrangères ont cherché à savoir quel type d'exploitation devrait être fait, compte tenu de l'évolution des relations bilatérales, qui serait la plus complète et la plus importante.
Il faut préciser qu'à l'heure actuelle, la préoccupation majeure de nos deux gouvernements n'est que l'utilisation optimale et raisonnable de ce château afin d'approfondir leurs relations amicales et historiques. À cette fin, à mon avis, en tant que responsable actuel et direct des relations bilatérales, la meilleure option est de transformer le château en une ambassade, et que Maurice installe une représentation diplomatique à Téhéran. Quoi qu'il advienne, le Château Val-Ory jouera un rôle important dans l'avenir de nos relations.
Relations avec les voisins du château
Heureusement, j'ai de très bonnes relations avec les gens de l'entourage du château. Vous savez que nous avons beaucoup de voisins, car le domaine est vaste. À mon arrivée à Maurice, je suis allée leur rendre visite ; j'ai frappé à leur porte un à un et, en me présentant, je leur ai demandé si cette propriété a impliqué des dérangements durant ces années écoulées ? Bien sûr que les réactions ont été quelque peu différentes.
Mais, contrairement à ce que certains médias ont écrit tendancieusement, la quasi-totalité des voisins étaient satisfaits et personne n'avait soulevé un quelconque problème. Certains avaient également des suggestions pour mieux gérer les affaires du château. Un ou deux voisins ont demandé de couper les longues branches des arbres qui dépassent leur clôture. Un autre voisin avait coupé les branches supplémentaires des arbres, même s'il s'excusait de ne pas avoir pu nous en informer avant. Pourtant, l'avis d'un des voisins m'a beaucoup surpris quand il a dit : les moustiques et les termites du château viennent chez nous... Je lui ai répondu en plaisantant : comment savez-vous qu'ils viennent de notre côté ? Sur eux, est-il écrit "Made in Iran" ? Lorsqu'il s'est rendu compte que ses propos ne sont pas bien fondés, il a ri et s'est excusé. Dans ces échanges, j'ai été bien briefé sur la situation par les voisins.
Vous savez que Moka est une zone très verte, pleine d'herbe et d'arbres. Par conséquent, la présence de certains insectes et bêtes dans cette zone est inévitable. Comme je l'ai dit, la superficie de ce château est vaste, et il est naturel que l'herbe et les branches d'arbres poussent rapidement en raison de l'abondance des pluies. J'ai vu d'autres grands jardins et cours à Moka comme le Château Val-Ory.
Bien sûr que j'ai fait des efforts pour améliorer une certaine situation, et ces efforts seront poursuivis jusqu'à l'entière satisfaction de nos chers voisins. Dans l'Islam, de nombreuses recommandations ont été faites pour respecter les droits des voisins. C'est pourquoi nous ne voulons qu'aucun d'entre eux ne soit mécontent. Je suis même allé au conseil de district de Moka, et j'ai échangé avec le Chairman et ses collègues pour le bien-être de la population avoisinante.
Les notables de Moka ont formé un groupe Mokapav qui organise des réunions sur diverses questions de ce village. J'étais présent à l'une de ces réunions et j'ai exprimé mon point de vue. On a longtemps échangé à propos du Château Val-Ory et les activités y afférant.
Ces personnes ont déjà formé un groupe WhatsApp, et je suis également membre de ce groupe. Quand je ne suis pas à Maurice, je peux être au courant de ce qu'ils partagent.
L'avenir du Château Val-Ory
Je sais que le Château Val-Ory est un lieu historique et architectural important pour les Mauriciens. Aussi, qu'on le veuille ou non, les événements qui s'y sont déroulés constituent une partie de l'histoire contemporaine des Iraniens, et nous sommes heureux que cette partie de l'histoire de l'Iran soit située à l'île Maurice. À la suite de cette coïncidence heureuse, cette propriété est devenue le lieu où les deux nations, iranienne et mauricienne, sont reliées. Donc, ce château a une valeur historique pour nos deux nations, et peut être un bon prétexte pour qu'elles se rapprochent davantage. À cet égard, le château peut être utilisé comme un berceau pour approfondir des relations séculaires dans divers domaines, notamment culturels, en travaillant de concert avec le gouvernement et le peuple mauriciens.
Naturellement, compte tenu du développement des relations entre les deux pays ces derniers temps, surtout après la visite de la délégation mauricienne de haut rang à Téhéran, en août 2022, de bonnes conditions ont été créées pour accorder plus d'attention à ce château. Ce que l'on peut dire, c'est que le Château Val-Ory jouera un rôle important dans l'avenir des relations entre les deux pays. J'ai discuté avec diverses autorités mauriciennes à cet égard, et toutes ont salué l'attention portée à ce château pour qu'il devienne un lieu de fraternité et d'amitié grandissante entre les deux nations.
Réouverture au public
Beaucoup de gens veulent le visiter. Les Iraniens qui voyagent à Maurice le considèrent comme une partie de l'histoire de leur pays, tout comme les Mauriciens qui le considèrent comme un monument architectural. Actuellement, tous mes efforts sont déployés pour favoriser le minimum de conditions pour que toutes les parties intéressées puissent le visiter, et à tout moment. Personnellement, je suis désolé que cela n'ait pas été possible jusqu'à présent.