Le Rwanda devrait respecter la liberté d'expression, libérer les détenus, abroger la disposition abusive du Code pénal
La condamnation d'un homme politique rwandais de l'opposition pour avoir prétendument terni l'image du pays est un exemple de l'utilisation abusive de longue date du système judiciaire pour étouffer la liberté d'expression et d'association, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.
Le 16 décembre 2022, la chambre de la Haute Cour de Rwamagana a condamné Théophile Ntirutwa, membre du parti d'opposition non enregistré Dalfa-Umurinzi, à sept ans de prison pour avoir répandu " des informations fausses ou des propagandes nuisibles avec l'intention de provoquer une opinion internationale hostile à l'État rwandais ". Cette infraction pénale est incompatible avec les obligations régionales et internationales du Rwanda en matière de droits humains, notamment en ce qui concerne la liberté d'expression.
" La condamnation d'un énième opposant politique pour avoir prétendument cherché à susciter l'hostilité contre le Rwanda témoigne du prix élevé à payer lorsqu'on s'implique dans la politique au Rwanda ", a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l'Afrique centrale à Human Rights Watch. " C'est d'autant plus surprenant que le Rwanda préside actuellement le Commonwealth, qui se présente comme un champion de l'état de droit et de la bonne gouvernance ".
Ntirutwa a été arrêté le 11 mai 2020 à la suite d'un violent incident dans sa boutique située dans le district de Rwamagana, au cours duquel un homme a été poignardé à mort. Le 18 mai, Ntirutwa et trois autres personnes qui se trouvaient dans son magasin au moment de l'incident ont été accusés de formation d'une association criminelle, meurtre, vol et, dans le cas de Ntirutwa, d'incitation au soulèvement et de " répandre des informations fausses ou des propagandes nuisibles avec l'intention de provoquer une opinion internationale hostile à l'État rwandais ". Ntirutwa et ses trois co-accusés ont passé plus de deux ans et demi en détention provisoire.
Le 16 décembre 2022, Ntirutwa a été acquitté de tous les chefs d'accusation, à l'exception de la diffusion de fausses informations dans l'intention de créer une opinion hostile à l'égard du Rwanda à l'étranger. Ntirutwa a été condamné sur la base d'appels téléphoniques qu'il a passés à la dirigeante de son parti, Victoire Ingabire, et à un journaliste, durant lesquels il a déclaré que l'incident était une tentative d'assassinat menée par des policiers et des militaires armés contre lui. Selon Théophile Ntirutwa, l'homme décédé dans le magasin, Théoneste Bapfakurera, a été confondu avec lui en raison de la similitude de leurs prénoms. Les trois co-accusés de Ntirutwa, Frodouard Hakizimana, Francine Mukantwari et Jean Bosco Rudasingwa, ont été acquittés.
Même si ses allégations étaient fausses, sa condamnation et sa lourde peine violent le droit relatif aux droits humains, a déclaré Human Rights Watch. Partager de fausses informations ne constitue pas en soi un motif légitime pour criminaliser la liberté d'expression. Le gouvernement rwandais utilise régulièrement cette disposition du Code pénal pour poursuivre les membres de l'opposition, les critiques, et même les réfugiés qui ont manifesté contre les réductions de rations alimentaires. Le Rwanda devrait immédiatement abroger cette disposition et réviser le Code pénal conformément aux normes internationales et régionales en matière de droits humains.
Ces dernières années, plusieurs membres de Dalfa-Umurinzi - anciennement les Forces Démocratiques Unifiées (FDU-Inkingi) - ont déclaré qu'ils avaient été détenus au secret, battus et interrogés sur leur appartenance au parti.
Le procès de 10 personnes en lien avec " Ingabire Day ", un événement prévu le 14 octobre 2021 par Dalfa-Umurinzi pour discuter, entre autres, de la répression politique au Rwanda, est en cours. Neuf accusés sont des membres du parti, tandis que le dixième est Théoneste Nsengimana, un journaliste qui avait prévu de couvrir l'événement. Nsengimana et huit des membres du parti sont détenus à la prison de Mageragere, à Kigali ; une autre est dans la clandestinité.
L'accusation soutient qu'une discussion visant à distribuer des textes dénonçant des meurtres, des enlèvements et des passages à tabac constituait une tentative de renversement du gouvernement, et demande des peines de prison à vie pour huit des accusés.
C'est la deuxième fois que Ntirutwa doit faire face à des poursuites. Il a été arrêté en septembre 2017 et a fait l'objet d'une disparition forcée pendant 17 jours, ce qui signifie que les autorités n'ont reconnu ni sa détention, ni le lieu où il se trouvait, avant qu'il soit transféré en prison.
Il a été jugé avec dix autres personnes, et, le 23 janvier 2020, sept co-accusés membres du parti d'Ingabire ont été reconnus coupables, entre autres, de complicité de formation ou de participation à une force armée irrégulière, et condamnés à des peines allant de sept à dix ans de prison. L'un d'eux était Boniface Twagirimana, chef adjoint du parti, qui a " disparu " de sa cellule de prison à Mpanga, dans le sud du Rwanda, en octobre 2018. Il a été jugé et condamné par contumace et il reste introuvable.
Ntirutwa, et deux autres personnes - Venant Abayisenga et Léonille Gasengayire - ont été acquittés et libérés. Ils ont ensuite donné des interviews filmées à des chaînes YouTube locales, alléguant de mauvais traitements et d'actes de torture en détention provisoire. Abayisenga a été porté disparu en juin 2020 et il reste introuvable.
En 2019, trois membres des FDU-Inkingi ont été portés disparus ou retrouvés morts dans des circonstances mystérieuses. En mars 2016, Illuminée Iragena, une autre activiste politique et membre des FDU-Inkingi, a été portée disparue, et serait toujours en détention non reconnue par le gouvernement.
" À l'approche des élections présidentielles de 2024, le gouvernement rwandais devrait immédiatement libérer les activistes de la société civile, les journalistes et les figures de l'opposition emprisonnés pour avoir exercé leurs droits fondamentaux, " a déclaré Lewis Mudge. " Le gouvernement devrait respecter et protéger leur droit à la liberté d'expression : une condition préalable nécessaire à un environnement propice à des élections libres et équitables. "