La deuxième génération des missionnaires protestants de la London Missionary Society opère un retournement radical d'attitude concernant leur mission, en valorisant les récits emmagasinés et transmis par les masses paysannes. Françoise Raison l'explique par une prise de conscience commune face au changement religieux et social sur les Hauts-Plateaux qui pousse à consigner pour l'histoire ce qui va se perdre (Le travail missionnaire sur les formes de la culture orale à Madagascar entre 1820 et 1886, lire précédente Note).
L'Antananarivo Annual, à propos de Malagasy Customs, écrit : " Nombre de ces coutumes tombent rapidement en désuétude et ne seront bientôt plus que matière à histoires. " Et Dahle précise dans sa propre préface de son Specimens of malagasy folklore : " Mon but a été simplement de (les) préserver de l'oubli. " En effet, des changements religieux font disparaitre tous les rituels, danses et hymnes adressés aux sampy. Le Fandroana subit des modifications. De même, la circoncision en 1869, après la conversion de Ranavalona II au protestantisme.
Le père Callet note ces amputations avec " une certaine mélancolie " dans une lettre adressée à la province de Toulouse en 1869.
" La souveraine n'a pas paru, pas de chasse au rat. Pas de vache rouge et blanche, ni de vache malaza sacrifiée. Pas de canon pour annoncer ces jours. Pas de danse homérique. Pas de bœufs distribués au peuple par Sa Majesté, ce qui a fait un grand vide. La reine n'a pas percé et lié les citrouilles. Les vieux Malgaches ont dit : Ce n'est pas comme autrefois. Il y avait peu d'élan, (les Grands) montraient de l'hésitation par suite du froid de la reine. La fête n'avait plus les proportions antiques et un secret pressentiment faisait que c'était la dernière circoncision. "
D'après l'auteure de l'étude, si les craintes de suppression ne s'avèrent pas justifiées, la privatisation de la cérémonie engendre, de toute évidence, une perte de sens très rapide. D'après elle, d'une manière générale, on assiste à une scission entre le contenu culturel des contes, des chansons d'autrefois et de la vie sociale merina, du moins telle qu'elle évolue en ville " et, ce qui est capital, au niveau de la Cour ".
Françoise Raison rappelle que les combats de diamanga et de daka accompagnent les plus durs épisodes de la rivalité entre Ramboasalama et Rakoton-dRadama. Les lalao ou jeux collectifs avec chants sont honorés par Rasoherina à la tête de la Cour. En 1863, Stagg note dans son Journal qu'il a entendu une délégation de Sakalava et de Betsileo saluer la reine d'un " Andriamanitra ianao ".
Une rupture " d'apparence définitive " s'instaure avec la conversion de Ranavalona II. Dans les recueils qui s'amorcent avec Kabary Malagasy, puis Fomba Malagasy, remarque Françoise Raison, apparait une deuxième fonction de l'écriture très différente de celle qu'exalte la première génération missionnaire qui présente le livre " comme lieu de vérité, lieu où se dit la Parole de Dieu ". Ainsi, affirme-t-elle, " l'écriture ici ne dit plus la présence, mais suggère la distance, elle implique la mort de ce qu'elle désigne ".
Continuant son explication, elle souligne que les formules rituelles n'y sont plus destinées à l'actualisation et à l'advenue du réel, elles perdent leur efficacité.
Toutefois, l'auteure de l'étude estime qu'en dépit des opinions divergentes des missionnaires, sur la rapide disparition de tout un bagage culturel, il faut prendre en compte
" d'autres réflexions moins hâtives, moins officielles et plus dubitatives " qu'ils livrent aux archives. Car pour l'auteure, leur constatation quant à l'effacement des traditions, concerne la vie de la capitale et le niveau cérémoniel lié au " Fanjakana ambony ". L'influence de celui-ci sur la population, l'effet de mimétisme évident lors des mouvements de conversion généralisée de 1869 et 1870, sont-ils suffisants pour que la campagne emboite le pas à la ville et trouve dans l'école un nouveau point d'ancrage culturel, s'interroge-t-elle.
Les missionnaires hésitent à se prononcer sur ce point et, parmi eux, Cousins est, dans ses lettres à la LMS, l'un des plus prudents concernant la profondeur de la coupure ainsi marquée. Dans Fomba Malagasy, il est écrit :
" Il ne faudrait pas dans la révélation des anciennes coutumes malgaches avoir ici l'intention de les ressusciter afin de leur redonner vie ou afin de les donner en exemple à suivre aux générations actuelles... , mais de les conserver à distance ".