Une semaine après le tragique accident ayant occasionné 42 morts, une équipe du " Soleil " est retournée à Sikilo (Kaffrine), sur les lieux de la catastrophe, devenus un sanctuaire. Il s'y joue un chapitre chargé d'émotion pour tous les passants empruntant la route nationale 1.
Impossible qu'il ait un survivant ! C'est la première pensée qui traverse l'esprit, une fois, à Sikilo, sur les lieux du tragique accident. La scène apocalyptique est encore perceptible sur la route nationale. Une semaine après le frontal choc impliquant deux bus de transport de voyageurs. Tout porte à croire que le drame vient juste de se produire.
Des débris de verres éparpillés, de la ferraille, des vêtements déchiquetés, des sièges volatilisés, divers objets. Et des taches de sang noircies, mais visibles sur le bitume. Témoin de ce bilan macabre enregistré, l'un des deux véhicules est complètement détruit. " J'imagine ce qu'ont vécu les passagers. Ce fut certainement l'horreur ", lance une dame trouvée sur place, profondément touchée, les yeux pleins de larmes. Sa camarade, également sous le choc, renchérit : " comment tout cela a-t-il pu arriver " ? Elles se sont imposé cet arrêt pour se recueillir et prier pour les victimes.
" En réalité, aucun véhicule ne traverse désormais Sikilo sans s'arrêter sur le site de l'accident ayant occasionné le décès de 42 personnes " renseigne Modou Ndao, habitant du village. Et la trentaine de minutes passées sur place, confirme notre interlocuteur. Sur les lieux du drame, bus, camions, " 7 " places et véhicules particuliers, tous s'immobilisent quelques minutes. Le tout sous le signe du recueillement et des effusions. Donnant lieu à un chapitre haut en émotions. " Cet accident dépasse l'entendement. Il y a des choses que l'on ne peut expliquer de façon rationnelle ", dit Pathé Seck, chauffeur d'un bus stationné juste à côté. Il s'explique difficilement la tragédie. " J'ai fait trente ans dans le milieu, mais c'est la première fois que je vois un choc aussi brutal ", résume-t-il, le malaise perceptible sur son visage.
" Rendons grâce à Allah (Swt). Tous les passagers pouvaient périr dans cet accident ", tempère Rokhaya Thioune, terrifiée par le nombre de victimes et l'ampleur des dégâts. " Le bilan pouvait être plus lourd ", soutient-elle, au milieu du chaos, s'accrochant à l'épaule de sa fille, Anta. Toutes les deux en pleurs. L'image est insoutenable. Les voitures passent et repassent. Le même rituel. Arrêt, recueillement, prières et solidarité envers les victimes, les blessés et leurs familles. Sur la chaussée, quatre jeunes, l'air perdu. Trois filles et un garçonnet. Ils habitent Sikilo et commencent à s'habituer à ces images douloureuses de gens en pleurs, venus de tous les coins du Sénégal en soutien aux victimes.
" C'est à la fois dur et incompréhensible. Notre village est devenu tristement célèbre ", chuchote Daba, relevant que son père est l'un des premiers à arriver sur les lieux de l'accident. " Quand je l'ai vu à son retour à la maison, j'ai compris que quelque chose de terrible s'était passée. Son visage a subitement changé. Et il faisait des va-et-vient incessants entre la route et la maison ", se souvient-elle, réalisant " réellement " la catastrophe, le lendemain, une fois sur les lieux. " La foule était immense. Pompiers, gendarmes, journalistes. Tous étaient là. C'était incroyable. Je me souviendrai à vie de cette nuit du samedi 7 au dimanche 8 janvier 2023 ".
Un semblant de normalité
Sikilo reste en deuil. Sur place, la tristesse est grande. La douleur immense. Les pleurs constants. L'atmosphère pesante s'est emparée de tout le village. Et " aucun semblant de normalité " ne fera oublier ce qui s'est passé. " Il faut dire que le tragique accident n'a épargné personne. Petits et grands, hommes et femmes, tous sont affectés. Et il faudra véritablement du temps pour tourner cette page douloureuse de notre histoire ", lance un quinquagénaire qui nous reçoit devant sa demeure. C'est également le sentiment du chef de village. Alimou Diaby n'arrive pas à arrêter de repenser aux " horribles images " de l'accident. " Je suis encore sous le choc. Il sera difficile d'effacer ces images de ma mémoire ", insiste M. Diaby.
Des séances de lecture du Coran ont été organisées à l'initiative de l'imam. Une manière de prier pour les victimes et pour que " plus jamais ça " à Sikilo. Le village s'efforce donc de passer à autre chose. La vie reprend peu à peu son cours normal. Les femmes s'adonnent aux activités postrécolte. Les moins jeunes à la cueillette de jujube, principal fruit de la zone en cette période de l'année. Tous vaquent tranquillement à leurs occupations. Ainsi pour dire que Sikilo s'engage silencieusement, mais résolument sur la voie du post accident tragique qui l'a projeté à la face du monde.
MAMADOU DIALLO, UN DES BLESSÉS TROUVÉ CHEZ LUI À MANDA DOUANE
" C'est sans doute Dieu qui avait ses mains au-dessus de moi "
Blessé de l'accident de Sikilo et fraichement sorti de l'hôpital, Thierno Sellou (Mamadou Diallo à l'état civil) nous a ouvert les portes de sa maison, sise au village de Manda Douane. Pour partager " l'horreur " qu'il a vécue cette nuit du samedi 7 au dimanche 8 janvier 2023.
C'est un père de famille " totalement guéri " qui nous reçoit chez lui à Manda Douane, village carrefour situé dans la commune de Sinthiang Koundara, département de Vélingara. Et les premiers mots de Thierno Sellou sont d'abord et avant tout adressés au corps médical de Kaffrine, ensuite aux autorités locales et au Chef de l'État Macky Sall. " La mobilisation des secours a été impressionnante. Les villages environnants, le corps médical, les pompiers et d'autres bonnes volontés. Tout ce monde était là pour nous aider.
Et puis il y a eu le ballet des Ministres, le tout couronné par la visite du Président Macky Sall ", magnifie Thierno Sellou, assis au milieu des siens à son domicile de Manda Douane. La maison ne désemplit plus. Depuis l'annonce de son retour. Les gens viennent de partout pour s'enquérir de son état de santé et lui témoigner leur solidarité. " Certains se sont même déplacés jusqu'à Kaffrine pour me voir. Une marque d'affection et une solidarité agissante. Tout cela a été réconfortant et nous ne le dirons jamais assez ", indique Thierno Sellou qui restera, toutefois, " marqué à jamais " par ce qu'il a subi cette nuit du samedi 7 au dimanche 8 janvier 2023. " C'était l'horreur. Impossible de vous dire réellement ce qui s'est passé ", dit-il, s'empressant d'ajouter : " On a tous compris qu'un pneu a éclaté. La peur s'est installée. Puis l'angoisse. Ensuite, les cris de détresse. Enfin la catastrophe. Et tout est allé trop vite ", se rappelle Thierno Sellou qui s'est " réveillé au milieu des cadavres.
" Comment ? Je ne saurai le dire. C'est sans doute Dieu qui avait ses mains au-dessus de moi ". Il décrit une scène apocalyptique. " Il y avait des corps déchiquetés. Certains étaient coincés. D'autres, complètement défigurés. Je n'en reviens toujours pas. C'était horrible ", soutient, encore sous le choc, Thierno Sellou qui prie pour " ne plus revivre une telle tragédie ". " En repensant à tout ça, à la violence du choc, aux terribles et insoutenables images, je réalise que les survivants que nous sommes, devons plus que jamais rendre grâce à Allah. On pouvait tous périr dans cet accident. C'est un miracle si je suis là aujourd'hui à vous parler ", ajoute-t-il.
DR MBAYE THIAM, MÉDECIN-CHEF DE RÉGION DE KAFFRINE
" 12 blessés encore hospitalisés, mais en bonne voie de rétablissement "
Le tragique accident de Sikilo, commune de Kahi, arrondissement de Gniby, département de Kaffrine, avait fait en tout 101 blessés. Seule une dizaine avait nécessité une prise en charge hors de la région. Tout le reste était admis sur place, bénéficiant d'une bonne prise en charge à l'hôpital régional Thierno Birahim Ndao et dans les autres structures sanitaires de la capitale du Ndoucoumane. Et à la date du 17 janvier 2023, seuls 12 blessés sont encore hospitalisés, a fait savoir Dr Mbaye Thiam, médecin-chef de région de Kaffrine. " 12 sont hospitalisés, mais en bonne voie de rétablissement ", informe-t-il.
MAMADY KÉBÉ, PSYCHOLOGUE CONSEILLER AU MSAS
" Tout blessé physique est en réalité un blessé psychologique "
Le psychologue Conseiller, Mamady Kébé, fait partie de l'équipe pluridisciplinaire (psychiatres, psychologues, médecins, infirmiers, secouristes) déployée à Sikilo par le Ministère de la Santé et de l'Action sociale après le tragique accident enregistré dans ce village. Il revient, dans cet entretien, sur la pertinence et les objectifs de cette mission.
Vous faites partie de l'équipe de psychiatres et de psychologues qui étaient partis à Sikilo, dès la survenue de l'accident. Pouvez-vous revenir sur l'importance de ces déplacements ?
Ce déplacent entre dans le cadre normal des choses. L'accident s'est soldé par un bilan lourd, 42 morts, 101 blessés légers et graves. Notre équipe pluridisciplinaire composée de psychiatres, de psychologues, de médecins, d'infirmiers et de secouristes était donc sur le terrain avec une double mission : renforcer l'équipe médicale de la région de Kaffrine et assurer une prise en charge psychologique des victimes. Tout blessé physique est en réalité un blessé psychologique qui mérite un suivi spécifique. Je dois préciser que ce suivi psychologique est à vocation préventive par rapport à des troubles susceptibles de se produire ultérieurement. Plus que nécessaire, cette descente sur le terrain était fondamentale. D'abord nous avons apporté soutien moral et réconfort aux blessés. Nous leur avons aussi permis de lier leur vécu à l'accident en leur permettant de donner un nom à ce qui s'est réellement passé. C'est à la suite de cette première intervention appelée " déchoquage " qu'un débriefing émotionnel est fait.
Quels sont précisément les cas présentés à vous sur le terrain ?
Dans un accident tragique comme celui enregistré à Sikilo, les réactions des personnes diffèrent. Il y a des victimes directes, indirectes, secondaires et tertiaires. Et chacune des victimes (blessé) requiert une prise en charge spécifique. Nous avons fait les différentes salles d'hospitalisons, à la rencontre des blessés, pour échanger avec eux, s'enquérir de leur situation et leur apporter un soutien psychologique adéquat.
Il y avait des blessés qui devaient être amputés. Il fallait les gérer, les prendre en charge psychologiquement, les aider à accepter cette nouvelle situation et les préparer à ce changement qui va intervenir dans leur vie. Il y avait aussi des blessés qui avaient perdu un membre proche. C'est le cas d'une dame qui avait perdu sa maman et son bébé de trois mois. Et elle ne le savait pas. D'autres étaient séparés de leurs enfants qui étaient pris en charge ailleurs. Tous présentaient dans cette " phase immédiate ", un état de stress aigu avec des symptômes psychiques et neurovégétatifs.
Que reste-t-il à faire après cette phase post-immédiate ?
C'est simple. Suivant un timing bien déterminé, nous repartirons sur le terrain, dans un mois, pour une réévaluation psychologique. Le but est de faire le point. Certains blessés vont réussir à normaliser l'évènement. Les autres, chez qui il reste encore des stigmates de l'accident, vont à nouveau bénéficier d'une prise en charge. Ils bénéficieront d'un suivi et d'un accompagnement approprié. Le débriefing qui sera justement pratiqué a pour fonction de réduire les symptômes du stress et de prévenir les effets différés néfastes du traumatisme.
Sakal dans la région de Louga vient d'enregistrer un autre accident tragique. Allez-vous reproduire le même dispositif de prise en charge ?
Exactement. Le même schéma sera reproduit. Avec les mêmes objectifs. Il faut dire que contrairement à Kaffrine, Louga a un psychiatre et a le privilège d'avoir un dispositif complet de prise en charge psychologique des blessés. La région dispose sa " propre télé " régionale. Et cela facilitera les interventions. Toujours est-il que la Divion santé mentale et tout le Ministère sont mobilisés pour apporter un renfort en cas de besoins.