Le professeur Gorgui Ciss évoque, dans cette interview, les perspectives qui s'offrent au Parti socialiste (Ps). Cette formation politique est disposée à exploiter, selon le Secrétaire national en Charge de la Cellule Internationale du Ps, des pistes de redynamisation qui peuvent passer par des retrouvailles de la famille socialiste.
En perspective de la présidentielle de 2024, le Chef de l'État, Macky Sall, a confié au Secrétaire générale (Sg) de l'Alliance des forces de progrès (Afp), Moustapha Niasse, la mission de restructurer, en profondeur, la coalition présidentielle " Benno bokk yaakaar " (Bby). Cela intervient à un moment où des alliés ont exigé une mutation organisationnelle et fonctionnelle de l'instance. Quelle est votre appréciation ?
Vous savez, toute coalition politique est à l'image des partis qui la composent. En ce sens, elle vit et vibre aux rythmes des moments importants et décisifs de son déploiement stratégique. Elle a aussi une certaine durée de vie, car elle répond inéluctablement aux lois de la realpolitik.
Il n'est donc pas surprenant qu'à la veille d'une nouvelle année électorale et au sortir de deux échéances qui ont révélé ce que plusieurs observateurs décrivent comme des faiblesses et divisions internes, le Président Macky Sall, Président de la Conférence des leaders de Bby, sente la nécessité ou le besoin de restructuration de notre coalition qui, il faut le rappeler, bat tous les records de longévité en termes d'alliance politique et stratégique. Cela traduit, quelque part, une certaine solidité et une pleine vitalité, malgré toutes ces légitimes exigences de mutation organisationnelle et fonctionnelle auxquelles votre question fait allusion.
Je souscris pleinement à cette volonté et à ce courage politique du Président Macky Sall pour avoir compris qu'il arrive des moments où les coalitions ou les familles politiques ont besoin de se redonner un nouveau souffle, non pas pour se désagréger, mais pour se redéployer encore dans le temps et en fonction de leur agenda politique propre. Nous devons juste nous assurer, en toute lucidité, que cette réflexion stratégique au sein de notre coalition répond aux enjeux et défis de l'heure, en fonction de la marche de notre pays vers la croissance et le progrès, le tout, dans une vision concertée et partagée par les acteurs qui composent Bby.
Quelles sont les perspectives qui se dessinent, à votre avis, pour Bby si l'on sait qu'au Parti socialiste (Ps), des cadres s'insurgent, depuis le décès de leur Secrétaire général, feu Ousmane Tanor Dieng, contre son maintien dans ce cadre unitaire ?
Vous savez, toute décision stratégique prise par une formation politique porte en elle-même des aspects appréciés positivement et ce que d'autres peuvent librement percevoir comme des limites. Et c'est cela la vitalité du débat démocratique interne qui s'exerce dans tous les partis. Le Ps, au regard de son histoire et de sa trajectoire dans la vie et la construction de l'État-nation au Sénégal, ne saurait échapper à ce type de débat.
Parler des perspectives qui se dessineraient pour Bby peut ressembler à un exercice de divination pour lequel, moi, je ne suis pas très doué. Ce qui est important et qu'il faille retenir, en cet instant précis, c'est que le Ps est et demeure un parti connu à travers ses instances et organes compétents. Nous sommes un parti structuré, un parti d'organisation et de méthode. Nous devons rester ce parti qui fonctionne et parle toujours conformément à ses statuts et à son règlement intérieur.
Comment le Ps compte-t-il aborder la présidentielle de 2024 ?
Nous sommes membres fondateurs de Bby et totalement comptables du bilan de la majorité présidentielle. En conséquence, une candidature du Ps ne peut s'envisager qu'au sein de Bby. C'est un propos clair et qui correspond tout à fait à ma conviction militante et politique, à un an de la prochaine présidentielle. Ceux qui dénient la possibilité que le Chef de l'État soit en lice pour la Présidentielle de 2024, devraient revenir à plus de sérénité dans leurs propos. En effet, la candidature de Macky Sall, en vue d'un nouveau mandat, relève de sa libre responsabilité. Lui-même ne s'est pas encore officiellement prononcé sur cette question précise. Toutefois, si sa candidature était portée, de manière consensuelle par la majorité présidentielle, nous nous y engagerions solidairement. Dès cet instant, et après une validation par le Conseil constitutionnel, l'arbitrage devrait, comme en 2012, sous Abdoulaye Wade, être laissé au peuple souverain à travers les élections libres, démocratiques et transparentes.
Feu Ousmane Tanor Dieng avait proposé des retrouvailles de la famille socialiste ; son souhait ne s'est pas encore matérialisé. Qu'est-ce qu'il y a lieu de retenir à votre avis ?
Je vous remercie de faire allusion à ce vœu de notre regretté camarade et Sg, le Président Ousmane Tanor Dieng (paix à son âme). Au-delà même de ce que l'on peut considérer véritablement comme un devoir mémoriel, les retrouvailles de la famille socialiste s'avèrent nécessaires, voire inéluctables. En plus des impératifs de recomposition politique, les idéologies et les courants de pensée ont sans doute besoin de souffle nouveau.
Pour reprendre le nouvel élan cher au sein du Ps, il nous faut nous retrouver autour de l'essentiel qui se résumerait en notre commune identité socialiste sénégalaise, enrichie par l'ouverture aux partis de la Gauche. Je suis totalement ouvert et favorable à de telles retrouvailles de la famille socialiste, car, au-delà d'une nécessité politique et stratégique, ces retrouvailles constituent un impératif social et historique pour refonder le Ps et lui tracer de nouveaux sillons en vue de reprendre sa place dans le cœur des nombreux Sénégalais, militants et sympathisants, qui restent fondamentalement attachés au riche héritage que nous devons continuer d'incarner. Et dans cette perspective, tous les socialistes et tous ceux qui se réclament de cette identité politique fondatrice de l'État du Sénégal et de ses Institutions ont le devoir fraternel de se retrouver entre camarades membres d'une seule et même famille politique.
Dakar a abrité, en octobre dernier, la réunion du Comité Afrique de l'Internationale socialiste (Is), quelles sont les décisions majeures qui ont été prises lors de cette rencontre ?
Il est important de rappeler que dans l'agenda de cette importante rencontre à laquelle de nombreux partis et délégations politiques ont pris part, le Comité Afrique avait choisi de se pencher sur les défis actuels de la démocratie et de ses institutions, la prévention des conflits, la résolution des crises et la sécurisation de la paix, les efforts conjoints pour sauvegarder et renforcer la social-démocratie dans la région.
La réunion de Dakar a également constitué une tribune pour entendre les rapports des partis membres du Comité Afrique sur la situation nationale dans leurs pays respectifs. Ce rappel étant fait, il convient aussi de préciser que cette réunion se tenait à la veille du 26e Congrès de l'Internationale socialiste (Is) qui devait avoir lieu à Madrid en novembre dernier. Dakar a donc permis de passer en revue les processus démocratiques en Afrique avec les crises particulières et les enjeux observables à l'échelle de tout le continent.
Il s'agit notamment du terrorisme, des coups d'État militaires, du non-respect des règles et des fondamentaux démocratiques, de la question centrale de la parité dans nos institutions étatiques, au sein de nos Partis et à l'Is elle-même, de la pauvreté, de la place de la jeunesse africaine, des questions environnementales, des échanges commerciaux dans le continent, des problèmes de l'éducation et de la santé dans nos politiques publiques. Les travaux et discussions ont abouti à des décisions majeures portées par une résolution qui, enrichie par les avis de toutes les délégations présentes, a permis de fédérer tout le Comité Afrique en vue du Congrès de Madrid autour de ce qu'il est convenu de retenir désormais comme " la Déclaration de Dakar ".
C'est donc cette résolution dite "Déclaration de Dakar" (à la rédaction de laquelle, le Ps du Sénégal a efficacement contribué) qui a été la communication du Comité Afrique lors du Congrès de l'Is tenu, en novembre 2022, à Madrid, en Espagne. Le succès et l'importance de la réunion du Comité Afrique à Dakar, dans notre pays, nous ont aussi valu l'honneur d'être reçus par Son Excellence, Monsieur le Président de la République, Macky Sall, Président en exercice de l'Union africaine, dont les idées sur les problèmes majeurs et les préoccupations du continent ont positivement enrichi la " Déclaration de Dakar ".