Afrique du Nord: Fipadoc - "Achewiq", le chant et le courage des femmes kabyles en Algérie

interview

" Avec le chant Achewiq, les femmes kabyles peuvent tout dire ", explique la jeune réalisatrice Elina Kastler. Programmé au Festival international du film documentaire (Fipadoc) à Biarritz, son film " Achewig - le chant des femmes courage " est imprégné par sa propre vie, la transmission de ses ancêtres en Algérie et la beauté d'un chant millénaire. Entretien.

RFI: Invitée dans la section Jeune création du Fipadoc, vous montrez Achewiq - le chant des femmes courage. Qui sont ces femmes courage?

Elina Kastler: Les femmes courage, ce sont des femmes kabyles. La Kabylie est une région en Algérie qui est habitée par des Berbères. Et les femmes que j'ai filmées viennent d'un village qui s'appelle Sahel.

Vous êtes née en 1996, aux Lilas, en France. D'où vient votre intérêt pour le chant de ces femmes kabyles?

Ma mère est kabyle, mais elle est née en France. En revanche, mes grands-parents sont nés en Kabylie et ne parlent pas français. Quand j'ai découvert ce chant, j'étais très émue, parce que cela me rappelait ma grand-mère qui n'est plus là aujourd'hui. Alors j'ai décidé de faire ce travail pour représenter la femme kabyle sous un angle qui est très peu exploité. Je montre une femme forte surmontant ses peines et qui - grâce au chant traditionnel et ancestral Achewiq - peut raconter son récit et ses histoires. Le chant, pour moi, est un moyen de renouer avec ma grand-mère et l'histoire d'Algérie qui, malheureusement, a été assez difficile dans ma famille.

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Vous avez dédié votre film à votre mère. Quand a-t-elle chanté ou évoqué auprès de vous pour la première fois ce chant ancestral Acheviq?

C'est très marrant, parce que j'ai découvert ce chant un peu par hasard, en regardant sur YouTube des vidéos de femmes qui chantaient en Kabylie. Ce chant m'a énormément ému et profondément touché. J'ai alors décidé de faire un film dessus. Je me suis dit : c'est génial, un chant kabyle chanté par des femmes. J'ai parlé à ma mère et j'ai découvert que ma mère ignorait que ce chant s'appelait " Achewiq ". Elle s'est juste souvenue que sa mère chantait énormément, dans la cuisine, dans la maison... À ce moment-là, ma mère a réalisé qu'elle partageait ce chant avec des femmes kabyles, qu'il s'agissait d'un chant kabyle traditionnel, ancestral, a cappella, exclusivement féminin. Grâce à ce projet de film, j'ai pu renouer avec l'histoire de ma grand-mère. Et ma mère a pu aussi raconter des choses de la Kabylie.

À travers de ce chant, avez-vous touché un point difficile de votre famille?

Plutôt que de parler d'un point faible, je dirais que j'ai touché à un point émouvant, au travers du regard de ma mère sur le chant et de ce que sa mère aussi évoquait dans ces chants. Quand je suis partie en Kabylie, j'ai rencontré ces femmes... Nous sommes devenues un peu comme une famille. C'est là où j'ai senti que c'est la terre de mes ancêtres, en découvrant par moi-même le quotidien de ces femmes, en vivant avec elles. Parce que, pour ce film, j'ai vécu avec ces femmes. J'ai ainsi renoué avec cette histoire, comme si ces femmes étaient devenues mes grands-mères.

Dans le film, les femmes vivent une situation très difficile, des incendies ont brûlé les oliviers et ravagé leurs terres. De ce fait, les paroles des chants sont aussi très graves: "Oh, ma vie, tu m'as épuisé(e) par les malheurs. Les souffrances m'ont détruit(e)... " Quelle place occupe aujourd'hui l'Achewiq chez ces femmes en Kabylie?

Aujourd'hui, ce chant a une place très importante pour les femmes. Avant de faire le film, j'ai interviewé beaucoup de femmes kabyles, en France comme en Algérie. Ce qui est sorti de (tous les témoignages de) ces femmes qui chantaient ou qui avaient leur mère ou leur grand-mère qui chantaient, c'était toujours le sentiment d'extérioriser leurs souffrances. Et de les sublimer grâce au chant. Pour la femme kabyle, chanter lui permet d'expédier ses souffrances, de les conter, de les extérioriser, d'avoir ce terrain, ce lieu de sécurité où elle peut se permettre de dire tout ce qu'elle veut, au travers du chant. En Kabylie, lorsque la femme chante, elle est respectée, même si elle peut parfois dire des choses qui ne correspondent pas à la société traditionnelle. Dans le cadre du chant, on l'autorise à dire tout ce qu'elle veut. Donc, cela devient vraiment très important pour les femmes de chanter.

Votre film porte sur ce chant Achewiq chanté par les femmes, aussi seules les femmes sont-elles visibles à l'écran. Même dans les chants, les hommes apparaissent soit en étant ivres ou absents. Quel est le rapport des hommes au chant Achewiq?

Mon choix de faire un film où il n'y a que des femmes, il vient du chant lui-même, puisque le chant Achewiq est un chant exclusivement féminin, qui était réservé aux femmes. Aujourd'hui, certains hommes ont repris ce chant. Par exemple, Idir a fait des chants Achewiq, mais à la base, l'Achewiq est chanté uniquement par les femmes. Pour moi, il était important de rendre hommage à ce chant en faisant un film où il n'y a que des femmes. Bien que, dans le village où j'ai filmé, il y a aussi des hommes. Mais, la communauté féminine de Sahel, ce village où j'ai été pour filmer, elle est très forte et ce n'était pas difficile d'être uniquement entre femmes. Je n'ai pas forcément caché les hommes. Dans le quotidien, on était entre femmes.

Ce chant est-il toujours pratiqué dans le quotidien ou avez-vous plutôt essayé de faire une recherche ethnomusicologique pour garder des traces d'un patrimoine en danger?

Au début, dans ma démarche, il y avait cette envie de préserver ce patrimoine culturel et historique qu'est le chant Achewiq. Au fur et à mesure, je me suis rendu compte que les femmes chantaient dans leur quotidien. Cela pouvait se perdre de temps en temps. Ce sont souvent les femmes âgées qui chantent. On peut avoir un rapport de transmission parfois plus complexe, mais je n'ai pas dû chercher beaucoup ou longtemps avant de trouver énormément de femmes qui chantaient. Je me suis rendue compte que ce chant fait toujours partie du quotidien.

Quelles étaient les réactions des femmes du village quand vous vous êtes intéressée à leur chant Achewiq?

J'ai été extrêmement bien accueillie. Je pense que la générosité de ces femmes se ressent dans le film. Quand elles ont su que je venais, elles ont chanté beaucoup. Elles étaient très heureuses de découvrir quelqu'un allait mettre en lumière ces chants. Et j'ai décidé de rester avec elles pour vivre dans leur quotidien. Pas forcément pour montrer quelque chose d'exceptionnel, comme par exemple les fêtes qu'elles ont organisées pour moi, où elles se sont bien habillées, m'ont fait des chants et beaucoup d'autres choses. J'ai décidé de rester très longtemps et de plutôt filmer leur quotidien et leur vie, parce que c'est ça qui m'intéressait. Je voulais montrer comment ce quotidien-là peut être magique et très beau.

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