Tunisie: Cours particuliers / Un phénomène répandu et loin de fléchir - Faut-il payer pour réussir ?

22 Janvier 2023
analyse

La banalisation de l'apprentissage en classe pousse de nombreux parents d'élèves à passer à la caisse pour compenser une qualité d'enseignement érodée depuis au moins une décennie.

A l'instar des citoyens désemparés face à la pénurie et la vente conditionnée, les parents d'élèves le sont tout autant durant le parcours scolaire de leurs protégés au fur et à mesure que le niveau de scolarité monte.

Alors, la demande des cours particuliers augmente, elle aussi, et en flèche. Rien ne l'arrête comme on y a cru à tort par le passé en 2015 avec les vaines promesses de l'ancien ministre de l'Education, Néji Jalloul, d'y mettre fin, bien au contraire.

Avec la cherté de la vie et l'inflation, les anciens enseignants, les instituteurs qui ont du temps libre, les étudiants et bien d'autres mettent le grappin sur ce bon filon pour encaisser vite et être payé rubis sur ongle. Car les parents n'ont pas ou plus le choix, à défaut de se risquer à l'échec en fin d'année ou se confronter aux notes moyennes de leurs enfants.

Des cours tous azimuts

Riadh B, la cinquantaine, père d'un garçon de 14 ans inscrit en 9e année de base dans une école publique au Lac, raconte comment il se démène pour trouver une formule astucieuse afin de lui prodiguer des cours de soutien scolaire à raison de 4 séances de 2 heures par semaine dans un groupe de 8 collégiens. Et le montant de 250 dinars par mois n'est pas pour lui déplaire tant qu'il est en paix en fin de journée ! Parce que d'autres prennent des sommes exorbitantes, soit 30 à 40 dinars la séance individuelle. A chacun sa recette.

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Faouzia, assistante administrative et mère d'un candidat au bac, met le paquet pour que son jeune homme réussisse. "Je mets l'équivalent de mon salaire et bien plus encore grâce aux cours que je dispense aux plus petits pour y parvenir. Je ne peux pas lui enseigner les mathématiques et les sciences physiques dans les meilleures conditions de réussite. Je suis obligée alors de jongler, mais, Dieu soit loué, je m'en sors à bon compte au final". D'autres parents, qui n'ont pas les moyens de placer leurs enfants dans le privé, sont obligés de passer par la case des cours particuliers. Car même des parents dont les enfants sont inscrits dans le système privé sont acculés à le faire vu l'incertitude autour de la qualité de l'enseignement et des assimilations.

On nage en eaux troubles dans l'éducation et on n'est pas près de changer malgré les mesures de l'Etat pour accompagner et développer l'école numérique et bien plus encore. Rares sont les élèves qui ne bénéficient pas de cours dans des maisons transformées en centres d'enseignement ou à domicile. Seuls ceux qui étudient selon les systèmes privilégiés comme l'américain, l'anglais ou le français sont dispensés de ce matraquage en règle. Car il fut un temps où tous les élèves rejoignaient à pied leur institut ou se contentaient d'étudier seuls sans être assistés en permanence, à la maison.

Une époque révolue

Durant les années 1960-70, pour obtenir le certificat d'études primaires, les élèves ne pouvaient compter que sur eux-mêmes et non pas sur leurs parents ni sur les cours particuliers encore inconnus ou inexistants.

Un enseignant septuagénaire à la retraite a posté un statut sur les réseaux sociaux récemment qui raconte leur méthode d'alors pour réussir : "On devait venir à bout de la hantise de tous les écoliers, à savoir les mathématiques". Calcul, algèbre et géométrie ou arithmétique sont la panacée pour chaque élève brillant. "Grâce à nos instituteurs et à ce livre, nous n'avions aucun problème avec les fractions, les intervalles et les calculs de temps. Les décamètres, les hectolitres, les hectares, les ares et les centiares n'avaient aucun secret pour nous. De même que les robinets qui fuient. Nous n'avions aucune difficulté à déterminer l'heure exacte d'arrivée d'un train parti à telle heure d'une gare A, à une vitesse donnée, à une gare B distante de tant de kilomètres. Les plus âgés d'entre nous avaient 12 ans, nous allions à pied à l'école depuis le premier jour, qu'il vente ou qu'il neige. Avec un lourd cartable, hérité du frère aîné, accroché au dos, et un morceau de pain et une barre de chocolat en guise de casse-croûte, pour passer la journée", termine-t-il avec fierté. Toutefois, s'agissant de la lourdeur des sacs. Il faut croire que c'est toujours d'actualité et ne pas s'en réjouir.

Les ministres qui se sont succédé depuis la Révolution ont déclaré la guerre aux cours particuliers, sans résultat. Le décret ministériel interdisant les cours particuliers n'est pas efficace devant l'absence de mécanismes pour l'appliquer. On ose espérer que l'amélioration progressive de l'enseignement public sera le début de la fin de ce phénomène et sonnera le glas de cette pratique sans lendemain et qui n'a pas d'avenir... Un fléau difficile à cerner et à contrecarrer.

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