Des œuvres de l'artiste plasticien Mor Faye dit Murf sont exposées à la Galerie nationale. Le vernissage s'est déroulé, vendredi 13 janvier, devant un parterre d'amateurs d'art venus (re) découvrir le travail de celui qui se définit comme un autodidacte pluridisciplinaire travaillant sur des questions environnementales et sociopolitiques.
Deux immenses portraits de Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, fondateur de la confrérie musulmane mouride, et de son fidèle disciple Cheikh Ibrahima Fall attirent le regard dès qu'on franchit le seuil de la Galerie nationale. Ces œuvres de 2 mètres, qui côtoient d'autres de moindre envergure, font partie de l'exposition de Mor Faye dit Murf. Au total, le plasticien dévoile un travail de longue haleine réalisé avec la technique de l'acrylique sur toile, autour de l'interculturalité, son thème de prédilection. Les portraits de femmes dominent dans cette exposition dont le vernissage a eu lieu le vendredi 13 janvier.
Une forte dose de spiritualité se dégage des œuvres de Murf, un fervent disciple du mouridisme imprégné de la philosophie baye fall, une branche de la confrérie fondée par Cheikh Ahmadou Bamba vers la fin du 19ème siècle à Touba, au centre du Sénégal. La cérémonie du vernissage de l'exposition a d'ailleurs été rehaussée par la présence de Serigne Saliou Fall, petit-fils de Cheikh Ibrahima Fall et docteur en Economie. Drapé dans un boubou en " njakhass " (patchwork) et coiffé d'un bonnet noir et blanc, Mor Faye Murf était très fier de la présence de son guide spirituel. Ce dernier, en fin connaisseur, estime que la culture est le reflet de notre personnalité. Il a également insisté sur la dimension ésotérique de l'art qui doit être revalorisé et mieux promu.
Cette exposition est la continuité d'une thématique (l'interculturalité) sur laquelle le plasticien s'active depuis 2017, à l'issue d'une résidence en Suède. Son travail, selon des critiques, apporte un début de solution aux frustrations subies par de nombreuses femmes à travers le monde.
DOCTRINE MOURIDE ET PHILOSOPHIE BAYE FALL
Aux Etats-Unis, une juriste afro-américaine, Kimberlé Williams Crenshaw, a même inventé le concept d'intersectionnalité qui définit les différentes formes de discrimination que des personnes peuvent subir simultanément en raison de leurs origines ou de leur appartenance sociale. " J'ai incorporé ce concept dans mon travail car j'essaie toujours d'apporter ce qui est positif à travers le dialogue, le brassage culturel ou la complémentarité. Pour moi, toutes les cultures se complètent et nous devons prendre ce qui est positif chez les autres afin de créer un équilibre ", nous explique Murf. Son analyse consiste à comprendre ce qui pousse les humains à adopter des comportements asociaux. Ainsi, tout son argumentaire plastique a pour objectif de transformer les énergies négatives en énergies positives. " Nous avons besoin d'un monde de paix et de bonheur et la base de tout cela c'est la femme car elle donne naissance, éduque et s'occupe du foyer ", poursuit-il.
Dans sa logique, Mor Faye Murf estime que la frustration d'une femme a des conséquences sur l'évolution sociétale du monde. L'harmonie familiale, selon lui, dépend du bonheur au foyer qui a des répercussions sur les enfants. Il se considère comme membre à part entière d'un monde globalisé, d'un village planétaire où il n'y a pas de limites. " Ce sont les hommes qui ont donné des noms aux pays et aux continents, mais la Terre est la même pour tous les êtres humains. Il faut avoir une vision globale de l'humanité et apporter des solutions aux problèmes qui se posent à nous ", analyse-t-il.
Cette philosophie, il la tire du " baye fallisme ", une doctrine du mouridisme qui se reflète dans sa démarche esthétique. Une façon de vivre et de se comporter qui fait d'ailleurs le succès de cette confrérie au sein de la société sénégalaise et à travers le monde. " Son fondateur, Cheikh Ahmadou Bamba, a mené toute sa vie et gagné son combat non violent contre les colons français grâce à la foi. Il n'a jamais sollicité l'aide de qui que ce soit, ni utilisé des armes et pourtant il est sorti victorieux de toutes ses batailles ", explique-t-il.
CONNEXION AVEC ALLAH
Une foi qui, selon Murf, est une connexion avec Allah. D'ailleurs, un des poèmes du Cheikh intitulé " Midadi " (dans lequel se trouve le fameux Salimto) est tiré d'un verset du Saint Coran qui dit ceci : " Quiconque obéit au Messager (le Prophète Mohamed, Paix et Salut sur Lui), obéit à Allah ". Cette obéissance s'appuie sur l'amour, la paix et le travail, trois principes déterminants dans la philosophie mouride. " La notion du travail y est tellement importante que lorsque quelqu'un meurt on dit : " Dafa wathie liguey ", ce qui signifie littéralement qu'il a achevé son travail sur terre.
Pour les mourides, tant que tu es sur cette terre, tu ne dois cesser de travailler. C'est pourquoi on parle de mystique du travail dans la philosophie mouride ", poursuit l'artiste plasticien. Lui, se retrouve bien dans ce concept car considérant que les humains sont de passage dans un monde où leur durée de vie est tellement éphémère et limitée dans le temps et l'espace. Il leur faut donc avoir des valeurs et laisser des empreintes positives sur cette terre et non pas être obnubilés, en permanence, par l'économie et la recherche des biens matériels. "
Quand l'homme résout des questions économiques, il crée très souvent des problèmes sociaux et, à mon avis, il faut un équilibre car la base de notre vie c'est le social avec de l'amour, de la paix, de l'harmonie, etc. Si l'homme parvient à réussir tout cela, il n'aura plus de temps à consacrer aux futilités qui retardent notre évolution vers l'idéal ", argumente Mor Faye.
De sa ville de Pikine, dans la banlieue de Dakar, où il a vu le jour en 1964, Murf s'est lancé à la conquête du monde depuis quelques années. Dans ses peintures, sculptures et installations, il met l'accent sur des thématiques environnementales, sociopolitiques, ainsi que sur les mutations socioculturelles, la migration, l'intégration, entre autres.
Ce comptable de formation devenu peintre par amour de l'art et du Beau, a exposé dans de nombreux pays : France, Suède, Bangladesh, Gambie, Nigeria, Norvège, Italie, Hongrie, etc. Il est le président du Cercle panafricain des artistes, dirige l'Association Art-Education-Environnement et est à l'origine de nombreux projets, ateliers, conférences et expositions, aussi bien au Sénégal qu'à l'étranger.