Afrique de l'Ouest: Fipadoc - "Le Réveil des Éléphants", dans l'œil du rugby en Côte d'Ivoire

interview

Le grand Festival international du film documentaire (Fipadoc), à Biarritz, présente cette année " Dans la mêlée ", une passionnante sélection spéciale sur le rugby. Le Réveil des Éléphants, l'un des cinq films sélectionnés, nous plonge dans les défis humains et sportifs des joueurs de l'équipe ivoirienne. Les réalisateurs Franck Guérin et François Bordes nous font vivre des moments de grâce dans la vie de ces sportifs pas comme les autres. Entretien.

RFI: Certains définissent le rugby comme un sport de brut joué par des gentlemen. Quelle est en Côte d'Ivoire la définition donnée au rugby?

François Bordes: En Côte d'Ivoire, il y a une histoire particulière autour du rugby. Elle est liée à l'accident tragique du joueur étoile Max Brito en 1995 [l'ancien ailier du XV de Côte d'Ivoire est décédé le 19 décembre 2022, à l'âge de 54, NDLR]. À l'époque, la Côte d'Ivoire était le premier pays africain d'avoir réussi à participer à une Coupe du monde du rugby. C'est à cette occasion-là que les Ivoiriens découvraient le rugby et leur équipe. Mais, au même moment, cet accident a jeté un voile sur le rugby, car ensuite, les familles avaient peur d'envoyer leurs enfants dans les écoles de rugby. Pendant des années, le rugby semblait un peu endormi en Côte d'Ivoire.

Dans votre documentaire, c'est justement ce Max Brito, paralysé depuis que sa colonne vertébrale a été fracturée lors de cet accident, qui joue un grand rôle dans LeRéveil des Éléphants. Qu'est-ce qu'il incarne aujourd'hui pour le rugby en Côte d'Ivoire?

Ce qu'on voit dans le film, c'était une initiative de quelques anciens joueurs internationaux qui avaient joué avec l'équipe nationale ivoirienne. On leur avait donné comme mission de réveiller le rugby en Côte d'Ivoire. Ils se sont dit qu'il faut forcément mettre Max Brito dans la boucle. C'est ce qu'ils ont fait. Au début, Max Brito était un peu sur sa réserve, parce qu'il se sentait très loin des terrains. Au départ, il est venu participer un peu malgré lui. Puis, il s'est pris au jeu. Et il n'imaginait surtout pas ce regard de la jeune génération sur lui et ce qu'il pouvait leur apporter. Petit à petit, il a compris qu'il pouvait, du fait de son histoire, avoir un rôle important à jouer. Et il a pris toute sa place.

La première partie du film est consacrée à la sélection de l'équipe nationale de la Côte d'Ivoire contre la Namibie, en 2021. Nous assistons, entre autres choses, à la difficulté et à la particularité de former une équipe nationale avec des joueurs venus de la Côte d'Ivoire, mais encore plus de la France, d'autres sont des joueurs européens nés en Côte d'Ivoire. Avez-vous eu le sentiment d'avoir filmé la genèse d'une nouvelle "nation" du rugby en Côte d'Ivoire?

Cela serait un grand mot d'avoir filmé la genèse d'une nouvelle " nation " du rugby. Franck Guérin et moi, ce qui nous a motivés, c'est qu'il s'agissait d'une aventure très particulière. C'était une compétition où tout le monde pensait qu'ils n'avaient aucune chance. Pour certains joueurs, ils ne connaissaient pas du tout ou très peu ce pays. Ils sont là, parce qu'ils ont un grand-père ou une grand-mère originaire de la Côte d'Ivoire, donc ils sont sélectionnables. Et malgré le fait qu'ils n'ont aucune chance de gagner, ils ont tous envie d'y aller. C'est ce paradoxe qui nous a fascinés. Cette envie énorme de déplacer des montagnes pour participer à la Coupe du monde.

Dans le film, vous vous arrêtez aussi sur des histoires personnelles et sportives de quelques joueurs: il y a Oscar, "la force tranquille", Elias, fier de son "envie" et sa "rigueur", Evrard Dion Oulai, un colosse hors normes et joueur impressionnant, ou Issa Bassono, la fierté de tout un quartier pauvre d'Abidjan dont il est issu. Un autre jongle entre sa passion, le rugby, et le prêche à l'église le soir: "Si Jésus avait choisi un sport, cela aurait été le rugby, un sport complet". Pour vous, qui est le héros dans votre film?

Le héros, c'est l'équipe. Nous voulions montrer la diversité des parcours et des personnalités. On tenait qu'il y ait des joueurs qui évoluaient localement en Côte d'Ivoire, certains qui venaient de France et découvraient ce pays. Nous avons mélangé les profils. C'est l'équipe, le héros de cette histoire.

Le fil rouge du film est la préparation pour le match de qualification contre la Namibie pour la Coupe du monde 2023. La Namibie est à l'époque considérée comme la meilleure équipe du continent africain. Pour les Éléphants, y avait-il un avant et un après le match?

Depuis ce match, la suite des qualifications pour la Coupe du monde s'est mal passée. Après le tournage, ils sont perdus le match suivant et leur parcours pour la Coupe du monde s'est arrêté là. Après, le capitaine Bakary Meité, une personne charismatique et importante, a arrêté sa carrière de joueur, mais souhaite prendre toute sa part en tant qu'entraineur, coach ou encadrant... En tout cas, il y a l'envie et la volonté auprès des anciens joueurs pour faire rayonner cette équipe.

Comment les joueurs ont-ils réagi par rapport au film?

Ils ont vu le film avant l'autre match de qualification. Malheureusement, cela ne leur a pas porté chance, mais ils étaient très émus et très touchés par le documentaire. Se voir sur un écran et dans une histoire qui montre à la fois la folie de cette aventure et l'héroïsme qui en sort, je pense que cela les a touchés.

Quand on regarde les listes des films en compétitions dans les grands festivals de cinéma comme Cannes, Venise, Berlin ou à la cérémonie des Oscars, on constate qu'il n'y a jamais des films ayant comme thème le sport ou les sportifs. Comment expliquez-vous cela?

Je pense que la grosse difficulté, ce sont les sports d'équipe. Parler d'un sport d'équipe, que ce soit en fiction ou en documentaire, c'est très dur. C'est compliqué de s'attacher à une équipe entièrement. C'est plus facile de faire un film qui parle du sport quand c'est un sport individuel où l'on s'attache à une star ou à une personnalité. Pour un sport d'équipe, c'est plus dur.

Pour vous, c'était dur de tourner Le Réveil des Éléphants ?

Le tournage était très agréable. Sur ce genre de documentaire, ce sont les évènements qui décident et nous, on filme et on filme... Ensuite, le film se fabrique surtout au montage. Et le montage était difficile. Justement, parce que c'est un sport d'équipe et l'enjeu est de réussir à faire exister tout le monde. On s'est rendu compte que dès qu'on sort du domaine sportif, dès que la compétition s'éloigne un peu dans la narration, le spectateur décroche... C'est un peu la frustration de ce genre de film, parce qu'il y a beaucoup d'à côté : le joueur qui ne connait pas forcément ce pays, des joueurs qui ne sont pas retournés au pays de leurs grands-parents, cette espèce d'alchimie qu'il faut trouver pour constituer une équipe... Ce sont des sujets très intéressants, mais qu'on peut à peine effleurer, parce que dès qu'on s'éloigne du domaine de l'enjeu apparent qui est cette compétition, on perd le spectateur.

À l'image, les joueurs dansent et chantent beaucoup. Est-ce que cela vous a inspiré pour le tournage et le montage du film?

Bien sûr. Pour moi, c'était une découverte. Cela fait tellement partie de l'identité de cette équipe, qu'il fallait que ce soit au moins aussi présent que ce l'est. Et dans la réalité, ça danse et chante encore plus que dans le film [rires].

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