Niamey — Depuis les années 1990, le Niger est une importante zone de transit pour les migrations de l'Afrique occidentale et centrale vers la Libye et l'Algérie et, dans certains cas, vers l'Europe. Tous doivent affronter le désert avant d'atteindre leur destination dans les pays d'Afrique du Nord ou avant d'affronter la Méditerranée pour tenter de rejoindre l'Europe. Le drame dans le drame, ce sont les expulsions vers le Niger par les États frontaliers. Par exemple, de janvier à mai 2022, l'Algérie a renvoyé 14 196 migrants au Niger.
Le père Mauro Armanino, missionnaire de la Société des Missions Africaines (SMA) basée à Niamey, a recueilli quelques témoignages de migrants qui ont échoué dans leur tentative d'émigrer pour trouver une vie meilleure et qui sont maintenant au Niger en attendant de rentrer chez eux.
" Cécé, qui était carreleur dans sa Guinée natale, revient d'Algérie où il n'a jamais pu quitter le chantier où il avait enfin trouvé un emploi précaire. Il dit qu'il était parfois payé moins que ce qu'il aurait dû être. Cela ne valait pas la peine de rester plus longtemps et il a donc choisi de rentrer chez lui pour retrouver le même emploi que celui qu'il avait quitté l'année précédente. Un va-et-vient par étapes qui retrace les géographies politiques, les frontières imaginaires, les expulsions, les déportations, les renvois ciblés et les destins défaits. Le sentiment de honte pour ce qui a été investi en termes de temps, d'argent, d'énergie, de rêves et de regrets se mêle à l'amer soulagement d'être, malgré tout, encore en vie. Ce n'est pas rien en ces temps où les mers, les déserts et surtout l'utilisation des frontières ne sont que des systèmes sophistiqués d'élimination de points.
Ils arrivent le lendemain mais sont en ville, disent-ils, depuis deux semaines. Tous deux sont originaires du Liberia et sont partis ensemble au Soudan avec le secret espoir de rejoindre, via l'Egypte, l'Europe. Maurice est allé à l'université et a enseigné tandis qu'Amos s'est établi comme technicien informatique. Seul le Soudan connaît une situation tragique en raison de la résistance à la dictature militaire. Il leur est inutile et impossible de rester plus longtemps au Soudan et ils survivent ici en dormant où ils peuvent comme invités du Grand Marché de Niamey. Ils attendent de retrouver le pays qui les a abandonnés après leur avoir fait miroiter un président et une paix sans pain ni imagination. Ils sentent le voyage et les aventures qui ne sont jamais mortes car ils rentrent au Liberia avec quelques années de plus et quelques déserts de plus à raconter à ceux qu'ils ont laissés chez eux.
Ils vivent, avec James, ses quatre enfants et leur mère, sous une tente précaire qui les protège de rien. Comme de nouveaux "naufragés du développement", comme les appelait il y a quelques années leur ami économiste Serge Latouche. Les surhommes d'un modèle de société qui non seulement crée mais a besoin de naufragés comme eux. Utile pour tenir l'équipage du navire à distance, de peur qu'il ne se mutine à cause de l'absence de terre à l'horizon.
Au lieu de cela, Alfred jure qu'il n'est jamais passé par là, qu'il est revenu d'Algérie, qu'il a d'abord été traqué puis déporté là-bas. Qu'il avait perdu son bagage volé à la station de bus et que c'était pour cela qu'il n'avait pas de papiers ! Rien dans son histoire, avouera-t-il le lendemain, ne correspondait à la vérité et pourtant c'était sa seule histoire à l'époque. Lui et d'autres noms sont les artistes d'un monde que, peut-être, seul le sable peut revenir créer avec un sourire de complicité".