Sénégal: Magatte Wade, Maire de Mékhé - Un technocrate au parcours atypique

Magatte Wade, Maire de Mékhé
23 Janvier 2023

Quitter le confort de la Banque africaine de développement (Bad), avec tous les privilèges, pour venir se mettre au service de Ngaye Mékhé, il n'y a que Magatte Wade pour le faire. Porté par l'amour de son terroir qui lui a tout donné, le fils prodige est revenu pour contribuer à son développement. L'ancien chef de la communication et des relations extérieures du groupe de la Bad qui n'a pu résister à l'appel de Mékhé est élu maire en 2014 puis en janvier 2022. Une belle récompense pour un engagement citoyen d'un technocratique au parcours atypique.

À l'appel de Mékhé, terre qui l'a vu naître et grandir, Magatte Wade n'a pu résister. Après plus de trois décennies d'expatriation, l'ancien chef de la communication et des relations extérieures du groupe de la Banque africaine de développement (Bad) a jugé meilleur de revenir au bercail, pour contribuer à son développement. Un retour motivé par un devoir d'améliorer les conditions de vie de ses concitoyens. " Je n'ai jamais oublié que je venais de Ngaye. J'avais toujours en tête que je suis de Mékhé et j'ai toujours nourri l'ambition de développer ma ville ", confesse le technocrate, dont le parcours académique force le respect.

Après l'obtention de son baccalauréat, Magatte Wade voulait faire du journalisme à Lille, mais n'avait pas de bourse. " On m'a dit que pour être journaliste, il fallait faire Lettres modernes. Je suis par la suite allé à l'université où j'ai décroché une maîtrise. Ensuite, je suis parti en Côte d'Ivoire pour poursuivre mes études où j'ai fait un Dea de sémiotique textuelle, une thèse sur l'énonciation, avant de travailler sur la subjectivité langagière et le style oral dans les récits épiques wolofs ", explique-t-il.

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Des propositions pour aller aux États-Unis comme chargé de cours, Magatte Wade en a eues. Mais le Docteur ès Lettres a préféré rester en Côte d'Ivoire où il a fait des études au Cercom d'Abidjan. Il a ensuite fait de la finance aux Hec Montréal, à Cranfield aux États-Unis, puis un Master en Gestion des entreprises à Robert Kennedy Collège.

Carrière professionnelle dense

Magatte Wade s'est retrouvé à la Bad, au service Communication. Il est devenu Secrétaire général de l'Association des institutions africaines de financement du développement (Aiafd) logée au sein de cet organisme continental. " Je me suis vu propulsé au sommet, avec comme mission de construire le siège de l'Aiafd, de le sortir de la Bad et de l'autonomiser. J'avais un mandat que j'ai réussi en sortant l'Aiafd de la Bad après avoir construit un siège au quartier 2 plateaux. J'ai signé un accord de siège ; le même que la Bad a paraphé avec le gouvernement ivoirien ".

Sa mission terminée, Magatte Wade avait compris que s'il restait et conservait son fauteuil, il allait " devenir un magnat ". Il a préféré retourner à la Bad. Il lui fut signifié que le poste qu'il occupait n'existait pas. " Ils ne voulaient pas me confier le poste de chargé de communication, parce que trop petit par rapport aux privilèges. Mais il fallait que je sacrifie quelque chose. Ils ont tout fait pour me dissuader. J'ai postulé et fait l'entretien ". Trois mois après son retour, Magatte Wade devient le chef de la communication par intérim. Il était chargé de gérer les conflits avec la Côte d'Ivoire. En 2003, avec la rébellion des Forces nouvelles à Abidjan, il a géré la communication du transfert de la Banque à Tunis.

En 33 ans d'expatriation, Magatte Wade qui a été responsable de la communication de la Bad a travaillé avec trois présidents : Babacar Ndiaye, Omar Kabbaj et Donald Kaberuka. Et son cursus lui a permis de travailler avec les plus grands médias du monde.

L'appel de Mékhé

L'envie de rentrer au pays lui est venue après le Groupe consultatif de Paris pour la mobilisation des fonds pour financer la relance de l'économie nationale. " J'ai été à Paris avec la délégation de la Bad. Macky Sall et son Gouvernement ont défendu le projet et c'était convaincant. Plus tard, au cours d'une visite à Tunis, j'ai demandé au Président Macky Sall si le Pse serait mis en œuvre comme il l'avait exposé. Il m'avait assuré que ça se ferait exactement comme ça. J'avais confiance ".

Avec la seconde alternance survenue en 2012 et la transition générationnelle politique qui s'en est suivie, Magatte Wade a fait une lecture et a décidé de rentrer au pays. C'était son pari citoyen. " Il y avait un bon plan au Sénégal. C'était donc le moment de rentrer. Il me restait quatre ans pour aller à la retraite. Quand j'ai demandé à partir, le président a refusé, me demandant de prendre une disponibilité, mais je savais que si je le faisais, je ne serais pas maire, car j'étais trop engagé pour reculer ", renseigne Magatte Wade qui voulait revenir pour l'essor de son terroir qui ne pouvait se faire sans de la politique. " Les gens ne comprenaient pas le développement. Chaque fois, je donnais des projets et programmes aux maires qui ne les exécutaient pas car croyant que je lorgnais leur fauteuil ", rappelle Magatte Wade.

Il quittera finalement son poste en mars 2014. Il disposait d'un carnet d'adresses internationales très dense et l'expérience des institutions qu'il comptait mettre au service de sa ville. " Toute personne qui m'a connu au cours de ma carrière et qui ne sait pas que je suis de Mékhé, ne m'a pas connu. Je me suis investi pour la construction de la ville et du pays. J'avais créé un fonds de développement communautaire à Mékhé pour aider les femmes les plus pauvres ", fait-il savoir. Avec ses nobles ambitions, Magatte Wade faisait peur à ses adversaires qui ont essayé de le diaboliser en disant qu'il n'était pas de l'Apr. Or, précise-t-il, en 2012, il avait flirté avec le parti et avait déjà acheté la carte des cadres républicains ; tout le contraire de ceux qui ont tenté de le discréditer, se souvient-il.

Une reconversion unique

En 2014, Magatte Wade, haut cadre de la Bad, devient maire de la commune de Mékhé, carrefour historique du noyau industriel sénégalais depuis 1911. Une reconversion unique dans l'histoire de l'institution bancaire. Magatte qui avait conquis le cœur des Mékhois, met fin au règne de Ass Diagne. " Je n'ai même pas eu le temps de faire campagne. Je suis rentré en mars et les élections se sont tenues en juin ", indique-t-il. Une surprise ? Non, estime Magatte Wade. Ses adversaires, dit-il, l'ont sous-estimé. " Ils n'avaient jamais pensé que je quitterais le confort de la Bad. C'était ça leur seule erreur ", indique-t-il.

Depuis, Magatte Wade gère sa cité. Après un premier mandat de 7 ans, Magatte Wade a été réélu en janvier dernier. Et, selon lui, la modernisation de Mékhé, malgré tous les efforts consentis, n'est pas encore complète. " Je veux que tous les jeunes puissent rester ici, et avoir un emploi décent, soit être employé ou avoir une entreprise ", indique-t-il.

Dans le domaine de l'artisanat, Mékhé, selon son maire, deviendra un cluster industriel du cuir avec une usine de cordonnerie. " Nous avons une usine qui fabrique des boucles et des accessoires. Nous avons également créé une tannerie moderne au chrome, une entité structurante qui va traiter le chrome et régénérer l'eau pour les forages ", note-t-il.

" Nous allons lancer ce cluster industriel dans le cadre d'un grand projet intercommunal qui s'appelle la " Zone économique industrielle spéciale du Cayor ", qui va travailler avec 11 communes ; ce qui nous permettra d'avoir une zone économique désagrégée ", ajoute-t-il. Ainsi, précise Magatte Wade, " nous allons faire en sorte que chaque village reste là où il est, que les paysans continuent à cultiver les terres et dans chaque commune, on met une usine ".

À en croire le maire de Mékhé, la zone sera dotée d'une usine qui fait du tapioca, de l'amidon et de l'attiéké. " Il y a de l'igname à Méouane, Pire et Taïba Ndiaye. On va amener des variétés d'igname. Nous aurons également une usine qui fait du thé de bissap à Darou Khoudoss et Méouane, parce que la seule usine qui fait de l'infusion de bissap se trouve au Soudan. À Mérina Dakhar, nous allons faire tout ce qui est transformation de céréales. L'Uemoa a mis 1,2 milliard de FCfa dans le développement de l'agro-industrie.

Les jeunes de Mérina Dakhar vont ainsi avoir du travail ", se réjouit-il. Un agropole sera installé à Koul, qui détient la nappe maraîchère la plus dense du Sénégal, pour renforcer la culture des Niayes, dans la corne du Cayor. Une usine d'engrais et une minoterie seront installées à Mbayenne, Thilmakha, Pékesse et Dinguiraye. Un port sec est aussi prévu, avec la nouvelle route qui sera construite entre Fatick et la mer.

Valoriser le " made in Mékhé "

Faire de Mékhé la capitale de la mode sénégalaise fait aussi partie des ambitions du maire. " Dans trois ans, nous lancerons la chaussure de Mékhé, la sandale de plage, le soulier de football ou le ballon de Mékhé. C'est un autre grand rêve ", indique-t-il. De même, avec l'ambition du Sénégal de se positionner comme la capitale de la mode africaine, Mékhé ne veut pas être en reste. Elle veut être la capitale de la mode sénégalaise. " Je veux hisser Mékhé au sommet mondial, pour que n'importe quel étranger qui vient au Sénégal s'y rende. Mékhé est capable de faire partie des grands hubs touristiques et de développement ", renseigne le maire.

Selon Magatte Wade, la commune suscite un intérêt particulier. Sa ville, informe-t-il, sera jumelée à celle d'Aiud, en Roumanie, puis avec celle de Saint-Dié-des-Vosges, grâce à l'appui du gouvernement français, selon M. Wade. " Ils nous ont donné 740 millions de FCfa pour la gestion des ordures ", indique-t-il. Sans compter la ville de Littonia, en Géorgie, dont les autorités se sont déplacées pour découvrir Mékhé et travailler avec Fongad Invest.

Avec le projet de la Bad de construire le centre le plus grand, le plus innovant, le plus moderne en matière de peaux et cuirs en Afrique à Mékhé, pour un coût global de 1,350 milliard de FCfa, le rêve est permis. Près de dix ans après avoir quitté la Bad, Magatte Wade ne regrette rien du tout. " J'oublie même que j'ai une fois travaillé à la Bad ", note-t-il. Aujourd'hui, son plus grand rêve, c'est de moderniser Mékhé. " J'ai un travail à faire que je n'ai pas encore terminé et je veux bien le finir avant de partir ".

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