Hier, le colloque de deux jours pour le 11ème Festival des arts et cultures (Fesnac) sous le thème général " Patrimoine, créativité et entrepreneuriat " s'est clôturé avec le panel sur la problématique des " Ancrages territorial, socio-économique et politique " qui agit sur l'entreprise culturelle.
KAFFRINE - L'homme agit de quelque part, en fonction de ses habitudes culturelles. L'assertion a inspiré le comité scientifique de la onzième édition du Fesnac pour le panel qui interroge le thème " Entreprise culturelle : Ancrages territorial, socio-économique et politique ". Cette conférence clôturait, hier, la série de quatre panels qui composent, depuis lundi, le colloque " Patrimoine, créativité et entrepreneuriat ".
Le bal a été ouvert par l'intervention plurielle de l'ingénieure en développement territorial, Eyumane Baoulé Assengoné. La fondatrice de " Bâ-tisseurs " fait d'emblée projeter un extrait de quatre minutes d'un film documentaire qu'elle a elle-même réalisé et intitulé " Soutou, le sacré de la femme ".
Ce film, poétique autant par son propos que son esthétique visuelle, relaie le discours d'une femme qui raconte son terroir, " sa " mangrove. C'est au village de Baboukane, dans les îles du Saloum, chez les Sérères niominkas. La femme, comme un rituel et une affirmation de son ancrage, dit d'abord son ascendance matrilinéaire sur plusieurs générations.
Ensuite, la dame fait le distinguo entre les identités propres et le régime institutionnel imposé par les définitions politiques. Elle explique les rites et habitudes culturelles qui préviennent les dangers conjoncturels, comme en période de soudure, pour assurer une quelque autosuffisance. Avec la salinisation qui menace la mangrove, les femmes empruntent les rites de leurs aïeules pour assurer la transition écologique et prévenir les lendemains probablement incertains.
" Nous sommes souvent schizophrènes, à cheval entre les rigueurs de la modernité et la sève de nos traditions. On en oublie qu'il faut que la nature vive pour que l'Homme vive ", commentera Eyumane Baoulé Assengoné à la fin de la projection. Soutou, c'est le bois sacré des femmes de Baboukane. Dans ces villages niominkas, il est fait une analogie entre la fertilité de la femme et celle de la terre. La cosmologie sérère, caractérisée en soi par la femme d'où son caractère matrilinéaire, nourrit la nature mais ne la détruit pas.
Si la panéliste évoque le fait, c'est pour affirmer qu'on s'appuie toujours sur nos imaginaires pour construire notre subsistance, notre économie. Et donc, il suffirait qu'on dépouille l'Adn culturel de nos activités quotidiennes pour en menacer grandement la rentabilité ou l'efficacité. À partir de là, le défi devient d'être amenés à constater " Comment renouer avec nous-mêmes peut être salutaire ", et donc de réfléchir sur " Comment élaborer une économie circulaire, mais qui existait déjà avec nos cultures ".
L'administrateur civil à la retraite Birame Owens Ndiaye, comme pour conforter la première intervenante, a soutenu que " le développement global, national n'est possible que par la somme de la croissance des économies locales ". À ce titre, il pense primordial que les collectivités territoriales s'approprient le principe et les enjeux culturels de leurs terroirs. L'expert en politique de décentralisation considère que les territoires doivent s'affirmer comme des espaces de développement, de bonne gouvernance, de mobilisation de ressources et doivent agréger les cultures et intelligences locales pour espérer un essor.
Mais que font les collectivités locales de la culture ? Birame Owens Ndiaye évoque une lamentable statistique pour répondre : " On est à peu près à 600 collectivités territoriales. Si seulement la moitié avait élaboré et développé des politiques territoriales, nous n'en serions pas à nous lamenter présentement. Mais la vérité est que très peu s'en intéressent. La culture est mise en marge ". Pour inverser cette fâcheuse tendance, l'administrateur civil suggère au ministère chargé de la Culture de travailler sur des guides pour orienter les collectivités à partir de ces outils de connaissances et de compréhension. C'est ensuite qu'on devra, selon lui, parler de mécanismes de financement.
Cependant, Birame O. Ndiaye relève avec un brin de regret le fait que la culture, au niveau général de l'Etat, soit pourvue d'un budget somme toute dérisoire. Ceci renseigne, de son avis, sur la perception culturelle qui n'est pas défaillante qu'au niveau local. Ainsi donc, l'Etat qui doit porter l'économie de tout le pays et est garant du patrimoine culturel est le premier à se méprendre sur la question.
L'économiste Babacar Diouf, lui, a parlé de l'entreprenariat culturel sous le prisme des industries culturelles. Il a exposé sur les moyens pour la culture d'être un vecteur de croissance. Pour le président du Réseau des acteurs culturels du Sénégal (Racs), il s'agit d'intégrer la dimension technique des activités culturelles. Il fait observer que la contribution de la culture dans la richesse nationale n'est pas toujours bien déterminée. Ce, même si dans les années 1980, la culture a joué un rôle d'amortisseur social au plus fort du contexte des politiques d'ajustement structurel.
Babacar Diouf considère que la pratique culturelle classique s'adapte difficilement à la réalité économique. Au Sénégal, la notion même d'entreprenariat culturel reste problématique. " Si son acception juridique est recevable, sa valeur sociale et économique reste moins évidente. Les écueils de l'entreprenariat culturel sont la difficulté d'identifier l'apport de la culture dans l'industrie, le déficit de compétences dans la chaine de financement, les préjugés ancrés culturellement dans le terroir, la méconnaissance de la culture et de ses potentiels par les investisseurs, entre autres ", a résumé Magueye Touré, co-rapporteur général du colloque, qui reprenait le propos du panéliste.
Le débat a conduit l'ancien Directeur des Manufactures sénégalaises des arts décoratifs, Sidy Seck, à partager l'idée que " l'Afrique des indépendances a commis l'erreur d'avoir parlé économie au moment où elle devait plutôt parler de culture ". Le Ministre de la Culture et du Patrimoine historique, Pr Aliou Sow, a assuré en substance que la donne sera désormais revue.
Le ministre s'engage à suivre les actes du colloque
Le Ministre de la Culture et du Patrimoine historique, président la cérémonie de clôture du colloque, au Fesnac, a promis de faire " bon usage des actes du colloque ". Pr Aliou Sow a dit accorder une attention toute particulière aux intéressantes contributions qui ont rythmé ces deux jours d'échanges intellectuels. " Les actes feront l'objet d'un traitement rigoureux ", a-t-il insisté. L'autorité s'engage à appuyer les travaux et à s'appuyer essentiellement sur les panélistes pour produire la Revue panafricaine qu'il a en projet. Pr Aliou Sow a considéré qu'il est maintenant impératif de revisiter nos modèles et de les adapter aux enjeux.
Pour ce faire, il suggère que les sachants prennent la parole. " Il faut que les intellectuels se prononcent et mènent la réflexion. C'est primordial. Voilà pourquoi j'accorde une importance singulière à ces rencontres où les intellectuels font preuve de générosité et de disponibilité, or cet exercice est cher payé hors du pays ", a partagé le Ministre. Pr Aliou Sow, dans l'esprit du sujet, a défendu le partage des réflexions et, mieux, la digitalisation du patrimoine. " Il faut oser occuper les réseaux sociaux, car c'est le haut-lieu de la chirurgie sociale où on agresse, coupe, découpe, éventre, suture, réconcilie, rétablit, chante et danse ", déchiffre le Ministre.