Ile Maurice: Mohini Bali - "La GEF vise à transformer les relations inégales de pouvoir entre hommes et femmes"

interview

Faire toute la population comprendre ce qu'est réellement le genre et sensibiliser les jeunes garçons et les hommes pour qu'ils s'engagent en faveur de l'égalité du genre, ce sont, dans les grandes lignes, la mission de la Gender Equality Foundation, pensée et enregistrée, il y a peu, par Mohini Bali, ancienne Head of Gender Unit à la retraite. Pour l'express, elle en parle.

Vous vous êtes retirée l'an dernier en tant que Head of Gender Unit au ministère de l'Egalité des Genres. Quel est votre bilan ?

Je me suis jointe au ministère en 1991 en tant que Coordinator de la Women's Unit. Après 16 ans, j'ai été promue Head of Gender Unit. L'appellation du ministère a changé avec le temps. À mes débuts, c'était le ministère des Droits de la femme. Puis en 2010, c'est devenu le ministère de l'Egalité des genres. Pendant 31 ans, j'ai œuvré avec passion, sincérité et honnêteté pour l'autonomisation des femmes et l'égalité du genre.

Si je dois faire mon bilan, je dirai que je me suis engagée à fond sur le terrain à Maurice comme à Rodrigues pour informer les femmes à propos de leurs droits et les aider à être autonomes financièrement. Mon travail de sensibilisation, en compagnie des Field Workers, s'est effectué dans les centres de femmes. Celles-ci, très dynamiques, venaient principalement d'organisations féminines et nous mettions l'accent sur l'importance de leur autonomisation.

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J'ai aussi eu l'occasion de participer à des conférences nationales, régionales et internationales, qui ont contribué à me former en matière des droits de la femme et de l'égalité du genre, notamment celles de la Communauté de développement de l'Afrique australe, du Marché Commun de l'Afrique australe et orientale, du Commonwealth et en particulier la quatrième conférence des femmes à Beijing, qui a été un tournant dans ma carrière car sa plateforme d'action a été un outil de travail important, qui nous a permis de brasser plus large et de travailler sur les 12 thématiques cruciales.

J'ai également eu l'occasion de me concentrer sur des projets spécifiques de développement communautaire et de féminisation de la pauvreté avec I'International Fund for Agricultural Development. Ce qui m'a permis d'aller aux quatre coins de l'île pour travailler avec les démunies. Certaines ne l'ont pas oublié. Lorsque je les croise, elles se disent reconnaissantes d'avoir été accompagnées pour se sortir de la pauvreté.

Par rapport à l'égalité du genre, qui est un des Objectifs de développement durable, nous nous sommes concentrés sur la violence à l'égard des femmes et leur plus grande participation dans les instances de décision. J'ai contribué à l'introduction de la Protection from Domestic Violence Act, loi votée en 1997. Maurice a d'ailleurs été un des premiers pays de la région à promulguer une telle législation. Aujourd'hui, du fait que la violence ait pris plusieurs formes et qu'elle a quitté la sphère intime, il est temps que l'on revoie cette loi et qu'on la remplace par une Gender Based Violence Act.

J'avais ardemment souhaité que l'on introduise le Gender Equality Bill dont l'ébauche est prête depuis trois ans. Malheureusement, sa présentation ne dépend pas des fonctionnaires mais des décideurs, qui ont estimé qu'il faut, au préalable, des consultations élargies. Ce Gender Equality Bill reste, pour moi, quelque chose d'inachevé, même si j'ai le sentiment du devoir accompli.

À part la présentation du Gender Equality Bill, qu'est-ce qui reste à faire pour les femmes ?

Beaucoup a été réalisé depuis la mise sur pied du ministère, il y a 40 ans, et les femmes ont évolué positivement. Mais il faut revoir l'approche de la violence envers les femmes et pas uniquement en matière de lois. Il faut introduire des politiques bien ciblées avec notamment des thérapies en continu pour les agresseurs, de même que des sessions de gestion de la colère. C'est avant tout une question de changement de mentalités et la sensibilisation doit commencer très tôt auprès de très jeunes garçons.

Il faut aussi faire avancer la question des femmes dans les instances de décision, tout comme il faut s'occuper de la féminisation de la pauvreté postCovid-19 et le rôle de la femme dans le changement climatique. Mais avant toute chose, M. Tout le Monde doit comprendre ce que signifie réellement le genre. Il y a encore une grande méconnaissance à ce sujet. Pour beaucoup, le genre c'est les femmes. Ma priorité est de faire toute la population comprendre ce qu'est le genre.

"Toute traversée, même si elle est longue, commence par un premier pas."

Comment y parviendrez-vous maintenant que vous êtes à la retraite ?

Même si je suis retraitée, je ne compte pas rester les bras croisés. Après mûres réflexions, je me suis dit qu'avec ma longue expérience et ma connaissance du terrain, il fallait que je m'active. J'ai donc décidé de mettre sur pied une Gender Equality Foundation. Cette fondation est déjà enregistrée et comprend cinq membres, deux femmes, deux hommes bien actifs dans le domaine, et moi la fondatrice. Elle sera lancée prochainement.

Quels sont les objectifs de cette GEF ?

Sa mission principale est de transformer les relations inégales de pouvoir entre hommes et femmes. Ses autres objectifs sont de réunir les organisations et les individus militant pour l'égalité du genre, de s'assurer que les droits de la femme soient protégés et que les filles et les garçons puissent s'épanouir, évoluer sans discrimination et jouir de leurs droits fondamentaux.

Comment allez-vous procéder ?

Nous allons sensibiliser la population sur le fait que le patriarcat est une question systémique au cœur des inégalités entre hommes et femmes et que cela nécessite de remettre en question les normes, les croyances et les questions de cultures, qui restent des obstacles et perpétuent les inégalités. Nous entrerons en partenariat avec toutes les parties concernées pour effectuer des plaidoyers et la promotion de l'égalité du genre. L'accent sera sur la transformation de la masculinité et l'engagement des hommes et des garçons comme alliés. Je rappelle que la plateforme d'action de Beijing avait précisé qu'il faut travailler avec les hommes car ils font partie de la solution. Nous identifierons des champions du genre chez les hommes et nous allons exploiter le potentiel de la jeunesse comme catalyseur pour l'égalité du genre.

Avez-vous déjà un plan d'action de prêt ?

Nous planchons sur un plan d'action qui comprendra cinq axes : (1) nous mènerons des campagnes de sensibilisation auprès de toutes les couches sociales pour que tout le monde comprenne ce qu'est le genre, (2) Nous allons aussi assurer la formation par le biais d'institutions académiques, de la presse et des réseaux sociaux à tous ceux intéressés par le sujet, (3) Nous ferons des plaidoyers auprès des politiques et des bailleurs de fonds (4) nous mettrons au point des projets avec d'autres organisations (5) nous ferons une levée de fonds pour mener à bien toutes ces activités.

Quelles sont vos attentes pour la GEF ?

J'attends vraiment un changement de mentalités et une plus grande participation des hommes pour réaliser l'égalité du genre. Nous devons intensifier nos actions pour qu'il y ait une prise de conscience nationale significative concernant les inégalités entre hommes et femmes et leur impact sur la société. Le ministère concerné ne pourra pas tout faire seul. Nous devons avoir une attitude de fonceurs (Can-do attitude) et inciter la population à se débarrasser de ses attitudes discriminatoires, de ses partis-pris et de ses stéréotypes.

N'est-ce pas utopique que de croire que ces changements arriveront en un battement de cil ?

(Rires). Avant que je ne m'engage, des personnes bien intentionnées m'ont mise en garde en me disant que la tâche était colossale, que je m'engageais sur un terrain glissant, que mon projet était trop ambitieux. C'est vrai que plusieurs rapports dont des Nations Unies et du World Economic Forum disent que pour changer les mentalités, cela prendra au moins deux siècles. Ce sera le cas si l'on continue à avancer comme des escargots. Or, il faut foncer. Quand je m'engage, je le fais avec passion et conviction. La violence et le patriarcat sont des questions systémiques et nous devons revoir et réparer le système, pas les hommes et les femmes. Je sais que ce sera une longue traversée. Mais toute traversée, même si elle est longue, commence par un premier pas.

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