Sénégal: Ourossogui vendeuses ambulantes - Silence, on nous enceinte dans les ateliers

28 Janvier 2023

Les temps sont devenus très durs dans la partie Nord-Est du pays avec l'impact négatif de la pandémie sur l'économie locale. Une crise qui n'épargne pas les femmes, devenues cheffes de famille avec la démission des maris. Elles sont des veuves, des mères célibataires ou divorcées fréquentant les garages d'ateliers et les gares routières pour gagner leur pain quotidien en vendant bissap, eau, bananes et autres denrées. Cette immixtion dans le milieu des hommes est le plus souvent ponctuée de terribles mésaventures. Sud Quotidien retrace en couleurs la vie brisée de ces braves dames. Entre aventures sans lendemain, viols et brimades, elles subissent la dure loi des machos en silence, prisonnières de leur situation vulnérable.

Il est 15 heures 08 ! Sous un impitoyable soleil, une dame en habit traditionnel, bien moulue dans une taille basse mettant en évidence ses remarquables atours, débarque dans l'atelier mécanique, faisant face à la gare routière de Ourossogui. Une grosse glacière à la main, elle se dirigea au milieu des mécaniciens d'un pas plein de grâce, puis se tourna vers un homme fumant une cigarette à l'écart du groupe. Après un bref salamalec, elle s'agrippa sur le col de celui-ci et lui lança dans un sourire rempli de non-dits. "Fayma sama khaliss" et l'autre, sans broncher, la fixait du regard. Elle a voulu plonger sa main dans la poche du mécanicien, qui s'y opposa avec toujours le sourire. Ils se connaissent assez bien !

Native de Tambacounda, elle est vendeuse à Ourossogui depuis bientôt 5 ans. "C'est en 2018 que j'ai commencé à faire ce travail de petit commerce. C'est devenu mon travail maintenant, je l'ai adopté car, c'est avec mes maigres bénéfices que je satisfais mes besoins sans tendre la main. Je paie le loyer et ma nourriture et celle de ma petite fille sans l'aide de personne. Je n'ai pas de famille ici", nous confie-t-elle.

En effet, ce petit commerce qu'elle fait lui rapporte au quotidien entre 3500 et 5000 francs. Ses recettes, c'est entre 13 et 16h qu'elle les réalise. " Ce travail n'est pas si fastidieux qu'on peut l'imaginer, il demande juste un peu d'organisation. Le matin, je suis occupée à préparer mes jus et à m'occuper de ma fille. C'est exactement à 13h que je quitte ma maison pour faire le tour des ateliers. Je connais l'heure du repas et je fais tout pour être là au bon moment. Et dans un seul atelier, il est facile de vendre plus de 10 bouteilles de 100f. Mais pour cela, il faut être moins sur la défensive, il faut savoir rigoler avec eux pour les faire acheter. En résumé, il faut être de commerce facile si tu veux élargir ta clientèle. Et c'est malheureusement là où surgissent souvent les problèmes." Elle laissa sortir cette dernière phrase avec beaucoup d'hésitation. La tête légèrement baissée, le sourire subitement effacé de son visage, elle continue. "C'est nous qui voulons qu'ils achètent nos jus, ils savent que nous avons besoin de cet argent parfois ils nous font des propositions indécentes. On refuse bien entendu mais on ne peut pas se disputer avec eux pour autant parce que ce sont des clients. Alors, ils nous tapotent les fesses et parfois ils nous tripotent quand ils nous coincent à l'intérieur des ateliers. Même si ça te fait mal, tu évites de réagir pour ne pas perdre le client. C'est comme ça. On n'a pas trop le choix " philosopha-t-elle.

En réalité, la fille qu'elle élève toute seule est un enfant naturel. Elle l'a eue avec un chauffeur d'un bus Dakar-Fouta. Cet homme après son forfait n'a plus donné suite à leur relation. "Avoir un enfant hors du mariage, c'est ma destinée. Ça m'est arrivé car ça devait m'arriver. Mais je sais que je ne suis pas une femme de mœurs légères. J'ai été emportée par mon amour et voilà", précise-t-elle.

Non loin de cet atelier, à près de 100 mètres, une femme au visage brûlé par une dépigmentation à outrance, vend des sachets d'eau dans un atelier de tôlerie. Elle a préféré ne pas décliner son identité. Derrière son sourire facile se cache une âme dévastée. Elle a été violée, soutient-elle, en plein jour dans un atelier, mais elle n'avait pas osé porter plainte. "Pour vous dire vrai, nous sommes des proies pour ces hommes que nous fréquentons, ils sont tous des pervers. La seule chose qu'ils veulent c'est de coucher avec nous. Moi, mon histoire de viol m'a fragilisée davantage. Ils soutiennent tous que j'étais consentante. Aujourd'hui, que j'ai un enfant, ils veulent tous abuser de moi, chacun à son tour veut essayer avec moi. Je ne peux pas les fuir car, ce sont mes clients, je fais preuve de diplomatie pour m'en sortir. Je me tiens à distance quand je leur parle sinon, ils vont me tripoter et ça risque de déborder", dit-elle. Et au beau milieu de notre entretien, un homme surgit derrière elle et la ceintura, elle se débat en vain. Il a fallu qu'elle supplie l'ouvrier en tenue pour que celui-ci la laisse continuer son entretien. "Tu vois, ce sont tous des bandits", lâche-t-il sans une once de gène.

Du côté des ouvriers le discours victimisant des vendeuses est balayé d'un revers de main. "Ces vendeuses pour la plupart sont des filles de joies, ce commerce n'est juste qu'un prétexte pour s'adonner à leur prostitution déguisée. Ce sont elles qui nous font des propositions, elles nous disent clairement que si nous voulons coucher avec elles, il faudra qu'on leur paye un tissu ou qu'on leur achète un portable. Alors si la personne est intéressée, elle s'exécute pour avoir une partie de jambes en l'air. Nous nous connaissons", nous explique Moussa, un mécanicien trentenaire.

A peine 16 ans et déjà initiée à la sexualité

Dans cette jungle des hommes prédateurs, de jeunes filles à peine entrées dans l'adolescence s'y aventurent aussi. Mais, les pratiques sont les mêmes. Elles sont aussi victimes de caresses inopinées et de mains baladeuses sur des parties "intimes". Seulement, ce sont, cette fois ci, l'œuvre de jeunes apprentis. Mama est un garçon âgé d'environ 16 ans, il est apprenti mécanicien depuis 5ans, il connait tous les secrets et toutes les pratiques dans son atelier, mais ce sujet est tabou pour lui. Après plusieurs refus, il finit par nous confier que les jeunes filles sont aussi victimes d'attouchements mais cela ne s'est jamais produit dans son atelier. "Les filles qui fréquentent les ateliers s'exposent à toutes sortes de dangers. Elles sont très tôt initiées au monde de la sexualité. Des adultes leur disent des mots qu'elles ne devraient pas entendre au vu de leur jeune âge, elles ont l'habitude d'entendre ces genres de phrases obscènes. Il y a certaines grandes personnes, je suis sûr que s'ils se retrouvaient seuls avec ces petites filles, ils n'hésiteront pas à assouvir leur libido. C'est cruel mais c'est la réalité dans les ateliers", dit-il.

Ces agressions sexuelles dont sont victimes les femmes vendeuses mettent Anta dans tous ses états. Elle est vendeuse de crème glace, mais jamais elle n'a accepté que les hommes lui tiennent un langage déplacé.

"Jamais, ils oseront faire un geste pour toucher une partie de mon corps. Je leur ai fait comprendre que je ne suis pas une prostituée mais une vendeuse. Ces hommes ne sont pas fous, ils savent à quels types de femmes, ils font leurs propositions obscènes. Je vends et ils achètent, ça s'arrête là. Je n'autorise personne à aller au-delà. Ils l'ont compris et je suis assez tranquille quand je mets mon pied dans leur atelier", soutient-elle avec toute l'expression corporelle nécessaire pour persuader de la véracité de ses dires.

Mais pour Massamba, la quarantaine bien révolue, c'est impossible pour ces dames d'être intransigeantes avec les hommes qu'elles fréquentent au quotidien. "Je ne pourrais pas te dire que toutes les vendeuses qui viennent se donnent aux hommes, mais je peux vous assurer que la plupart utilisent ce commerce juste pour se faire des clients la nuit. Mais une femme avec un fort caractère ne peut pas être vendeuse dans notre milieu parce que si elle fait la difficile, personne n'achètera son jus et c'est elle qui subira les conséquences. Je dirai même que le fait d'accepter de se faire tripoter est quelque part le prix à payer pour être acceptée dans le milieu. En tous cas, moi, ma femme ne fera jamais de commerce dans les ateliers. Mes filles aussi seront bien loin de ce milieu. Parce que ce que j'ai vu, heurte le peu de morale qui me reste", avoua l'homme originaire de Kaolack et déjà père de deux enfants naturels à Ourossogui.

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