Sénégal: Cercles Mégalithiques de Wanar (Kaffrine) - 21 monuments sépulcraux gardiens de la mémoire

30 Janvier 2023

Un patrimoine historique. Dans le contexte de la 11ème édition du Festival des arts et cultures (Fesnac) qui se tient dans la région de Kaffrine, le Centre d'interprétation de Wanar a été inauguré.

Le fait, au-delà du simple événement festif, conforte le thème du festival qui interroge la question patrimoniale cette année. Les 21 cercles mégalithiques qui font cet espace rappellent ou enseignent une mémoire, une gloire, une civilisation et une histoire qui entendent construire longtemps encore les consciences.

Wanar est une bourgade qui semble perdue au milieu de nulle part dans les confins sénégambiens. Le chemin de latérite cahoteux pour s'y rendre est des plus pénibles. Après une heure de route secouante, on découvre une steppe au milieu presque asphyxiant. Les petites bourrasques de poussière provoquent des toux sèches et des visages trop passablement maquillés de ceux qui viennent de descendre des voitures.

Au loin, on ne voit que des buissons, du bétail errant, des arbustes et des arbres à dimensions variables. Seul le Centre d'interprétation de Wanar adoucit cet espace rustique et d'une sèche chaleur d'harmattan. Ce site du patrimoine mondial est justement aujourd'hui la vedette. Ce vendredi matin, les autorités du département de la Culture, le Ministre Pr Aliou Sow en tête, viennent l'inaugurer.

Le site est délimité par une clôture de mur haut de moins de deux mètres. Dans le périmètre, les cercles mégalithiques font le spectacle mieux que l'orchestre de percussions qui assurent le show. C'est en tout 21 monuments sépulcraux mégalithiques. Ils sont inscrits depuis 2006 sur la Liste du Patrimoine de l'Unesco et ont gagné leur notoriété mondiale.

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Mais dans ce village, la mémoire de ces " pierres " s'est égarée depuis bien longtemps, au cours des siècles ou millénaires. En atteste le témoignage de l'octogénaire El Hadj Daouda Cissé. Assis à l'ombre, loin du brouhaha des femmes qui attendent de l'eau potable pour démarrer la cuisine, il décortique tranquillement ses arachides devant ce ballet humain inhabituel.

" Jangu meu français. Ba ma xamee lii sax yàggul (du wolof, je ne suis pas instruit et ce n'est que récemment que j'ai su de quoi il s'agit) ", sourit innocemment le vieil homme. Il raconte que, tout jeune garçon, des " Toubabs " (Blancs) venaient sur le site. Pour ses camarades et lui, à cette époque, c'était une simple aire de jeux. Mais ces Blancs coiffés de casques venaient leur offrir des pièces de monnaie et leur demandaient de creuser. " Quand nous atteignions une certaine profondeur, ils nous demandaient d'arrêter et de nous éloigner. Quelques fois, nous les voyions exhumer des objets et s'en aller. C'est tout ce que nous en savions. Nos pères et nos grands-parents ne nous en parlaient presque jamais ", nous confie le vieux, qui dit être le grand frère du maire de la localité et se réjouir que la chaîne d'ignorance soit ainsi maintenant brisée.

El Hadj Daouda Sène affirme que les riverains, en ce temps, étaient simplement préoccupés par leurs activités champêtres et pastorales. De plus, dit-il, leur foi musulmane leur " dictait " de s'éloigner de ce qu'il pensait " haram ". Mais il considère qu'après qu'on leur ait expliqué la vérité de l'histoire, ils peuvent être plus tolérants.

" Nous espérons aussi que les villages qui sont ici vont pouvoir bénéficier de toutes les retombées que ce site pourrait générer. Maintenant que nous avons cela ici, il est temps que les autorités nous dotent d'infrastructures modernes. Vous avez dû galérer avec l'état de la route en venant. Nous n'avons pas d'électricité et le forage qui est ici a été réalisé par le Président Abdoulaye Wade. Nous avons longtemps été marginalisés et j'espère que le site va nous désenclaver ", prie le notable.

Le Ministre appelle à une transmission d'un héritage des ancêtres

Le Ministre de la Culture et du Patrimoine historique justifie le projet par le besoin vital de ne pas laisser l'histoire orpheline. " Les croyances autour des mégalithes occupaient un statut à part en Sénégambie du fait des pratiques qu'elles révèlent et de l'importance des témoins légués à la postérité. Le devoir de mémoire nous oblige à veiller à la transmission d'un héritage que des mains anonymes et expertes ont modelé dans la pierre, afin qu'il traverse le temps ", note Pr Aliou Sow. Le Ministre a rappelé l'engagement de son département, à travers la Direction du Patrimoine culturel, à favoriser le respect absolu du contexte patrimonial en maintenant ces mégalithes dans leur cadre originel.

" Cette mise en valeur contribue à élaborer une intelligibilité inédite de notre passé en se détournant ici de la muséification intra-muros qui dénature, dans bien des cas, notre patrimoine historique et lui fait perdre son essence. (... ) Est-il besoin de rappeler que les mégalithes de Wanar sont des plus distingués et stylés avec la possibilité de posséder seize pierres bifides (en forme de V) ? Il faut y regarder de près pour en pénétrer le langage de ce patrimoine historique ", fait observer le Ministre de la Culture. L'autorité affirme par ailleurs que la découverte du patrimoine culturel et historique participe indéniablement au développement du tourisme culturel au Sénégal, et donc à son économie. Sur ce point, il s'est satisfait de l'implication importante du Ministère du Tourisme dans la réalisation de ce centre. M. O. KAMARA

Les phases historiques du site mégalithique

Le Centre d'interprétation de Wanar est un petit bâtiment muséal qui explique les particularités des cercles mégalithiques du site. Il rend compte de la configuration des 21 cercles mégalithiques de ce typique cimetière. À travers des kakémonos illustrés, on expose les phases d'établissement de ce patrimoine et des recherches menées sur le site. Derrière des boîtes vitrées, on voit aussi des poteries, des perles en or ou en cornaline, et ses restes humains.

Ces objets ont été exhumés des tombeaux. L'histoire du site a connu des phases qui ont conduit à ce patrimoine aujourd'hui célébré et toujours grandement mystérieux. C'est un regroupement de populations qui ont été enterrées dans ce curieux nécropole. Il y a eu trois phases successives. La première est la phase de mise en dépôt des morts (période d'enterrement).

On situe l'enterrement des morts sur le site de Wanar du 7ème millénaire jusqu'au 11ème siècle. La deuxième est la phase de monumentalisation des lieux, où commence la construction des cercles en pierre. Cette période va du 11ème au 13ème siècle. Enfin, vient la phase de pratique commémorative qui est effectuée par les personnes vivantes et donc descendantes des enterrés. Elles venaient faire des offrandes, comme des poteries faîtières disposées aux alentours du cercle. Les poteries étaient très rarement ensevelies avec les défunts. Ce sont ces entre autres objets qui ont permis de rendre hommage aux ancêtres, et cette phase s'est déroulée entre le 15ème et le 16ème siècle. Mais les perles en or et celles en cornaline étaient souvent enterrées en association avec les morts.

La période de fouilles

Les études sur le site de Wanar ont réellement commencé en 2008, avec l'Institut fondamental d'Afrique noire de l'Ucad et l'Université de Rennes 1 (France). Les fouilles ont continué sur une décennie. Ces dix ans d'études ont permis de fouiller six monuments (cercles) sur les 21 que compte Wanar. " Nous avons jugé, au vu de notre pratique archéologique, que la fouille de ces cercles serait plus intéressante.

Et d'ailleurs, ça nous a donné les objets exposés ici. Mais enfin, on trouve les mêmes objets dans les autres monuments, mais l'idéal reste d'avoir un échantillon représentatif et permettant d'imaginer les modes d'inhumation ", dit Dr Matar Ndiaye, archéologue et chargé de recherches titulaire à l'Ifan-Ucad. Il assure par ailleurs le commissariat des installations du Centre d'interprétation de Wanar. M. O. KAMARA

Leur découverte et la part du mythe

Les sites mégalithiques ont été découverts vers 1890 par la mission coloniale. " Ils n'étaient pas des archéologues, mais avaient aussitôt vu les particularités. Ils avaient jugé leur trouvaille intrigante et ont interrogé les populations sur leurs liens avec ces sites. Les populations donnaient en ce moment plusieurs versions ", soutient Dr Matar Ndiaye. Selon le chercheur, une partie de ces populations estimait que ces pierres représentaient des femmes pétrifiées ; c'est-à-dire qui avaient commis l'adultère et qui ont été transformées en pierre avec la honte.

C'est la partie mythologique. " Mais pour la partie anthropologique, sociologique et même ethnoarchéologique, on n'est pas encore arrivé à avoir une interprétation cohérente, surtout chez les populations. Il y a le facteur religieux qui fait blocage en effet. Ces inhumations ne répondent ni aux rites musulmans ni à ceux chrétiens. Dans ces cercles, on était enterré avec des objets, parfois avec des animaux vivants, et ensuite en masse et en position debout ", poursuit Dr Ndiaye.

Patrimoine mondial de l'Unesco depuis 2006

Ce site de Wanar a été inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco en 2006. Cette inscription ne lui est pas exclusive. Elle procède d'un partenariat entre le Sénégal et la Gambie. Ces cercles mégalithiques sont une preuve de gémellité culturelle entre les deux peuples. On retrouve les mêmes déclinaisons, les mêmes formes et les procédés sur les sites qui se trouvent de part et d'autre.

Ce qui a conduit les ministres de la Culture du Sénégal et de la Gambie, à travers la Direction du Patrimoine culturel, à introduire le dossier pour la classification de ces plus grands sites mégalithiques de Sénégambie (de Sine Ngayène avec 56 monuments, de Wanar avec 21 monuments, de Kër Bathie avec 11 monuments et de Wasso avec 9 monuments) dans le patrimoine mondial. On répertorie environ 30 000 monuments en Sénégambie. " Mais l'Unesco a bien fait de cibler ces sites en raison des plus grandes recherches scientifiques qui y ont été menées.

Ces sites ont cette particularité de regorger des vestiges scientifiques qui ont permis une reconstitution globale de cette période importante de notre civilisation, avant même l'Égypte. Ces sites prouvent la véracité de connaissances techniques de nos ancêtres qui avaient réussi ces architectures et ces chantiers immenses dans leur dimension et leur ingéniosité ", s'enorgueillit l'archéologie Dr Matar Ndiaye.

PR HAMADY BOCOUM, ARCHÉOLOGUE

" Une société qui ne respecte pas ses ancêtres est une société condamnée "

Pr Hamady Bocoum, archéologue, avait débuté les travaux qui ont abouti à l'instauration de ce site du patrimoine mondial de Wanar en tant qu'ancien Directeur du Patrimoine culturel. Dans cet entretien, il revient sur la symbolique et les spécificités des cercles mégalithiques.

Quelles sont les caractéristiques de ces cercles mégalithiques ?

Ces cercles mégalithiques étaient des tombeaux pour l'essentiel. Les défunts étaient en général inhumés en position debout. Les personnes décédées étaient gardées quelque part avant que des cérémonies rituelles d'ancestralisation ne viennent acter l'inhumation des restes humains. Ces personnes ne sont pas mortes en même temps et il ne s'agissait pas de sacrifices humains comme il a été parfois supposé. Les personnes étaient souvent enterrées ensemble et il n'y avait pas qu'un seul enterrement mais des cycles d'enterrements dans chaque cercle.

À Sine Ngayène, il y a un cercle qui a fonctionné durant six siècles. On peut aussi penser que ce sont des lignages ou des clans qui avaient chacun leur cercle. C'est comme des caveaux. C'était souvent une partie du corps (crâne ou os longs, par exemple), mais pas la totalité du corps qui est enterré. Il y a des cas où on a connu des inhumations individuelles, mais généralement dans ces cercles, ce sont des inhumations secondaires et collectives. On pense d'ailleurs que certains cercles ont été montés après les inhumations.

Quid de l'ingéniosité et de l'architecture de leurs constructeurs.

La plupart de ces pierres pèsent plusieurs tonnes. Les pierres lyres qu'on a au Musée des civilisations noires pèsent jusqu'à cinq ou six tonnes. Il a fallu creuser, transporter et installer. Le plus compliqué n'est pas de déplacer les pierres mais de les tailler avec autant d'exactitude. Il y avait certainement une corporation de tailleurs. Et comme on dit, la foi peut déplacer des montagnes. C'est donc une religiosité africaine acceptée car on a tendance à restreindre la foi dans les trois religions révélées mais ce n'est pas exact.

Toutes les pierres que vous voyez ici ont été taillées dans la cuirasse de latérite. Il y a une carrière près du site où on a extrait certaines. Elles ont été taillées, fabriquées et installées par les hommes sous forme de cercle. Ces cercles mégalithiques sont caractérisés par le fait que devant chaque cercle, il y a une pierre ou une série de trois pierres qu'on appelle pierre(s) frontale(s). Elle amène à penser une relation avec un culte solaire, mais pas que cela. Il est établi qu'elles sont toujours posées vers l'Est. Ce qui rend évidente sa relation avec le soleil. Tout récemment, une équipe de la Nasa est passée ici, avec le Sénégalais Maram Kaïré, pour prouver que cette orientation était systématique et que cette logique solaire oriente la construction des monuments.

La datation a-t-elle été faite ?

Sur ce site, on a très peu d'informations sur les dates. Mais c'est vers le 12ème siècle. Pour Sine Ngayène, on a des datations qui vont jusqu'au premier millénaire avant Jésus Christ. C'est un processus très long et qui s'achève assez brutalement à la fin du 15ème au début du 16ème siècle. Certains de ces cercles que vous voyez ici ont fonctionné deux ou trois siècles. L'arrêt de construction des espaces mégalithiques est très récent dans l'espace sénégambien.

Quelle est la part cultuelle dans ce patrimoine ?

Ce culte solaire est associé à une ancestralisation à cause de sa particularité. Ici, il faut distinguer l'ancestralisation au principe de canonisation ou de momification. Des rituels s'effectuaient ici. Les cérémonies se déroulaient entre la pierre frontale et le cercle. C'est là-bas qu'on a découvert beaucoup de poteries et des éléments liés aux cultes. Dans les inhumations, on a aussi trouvé des objets en or. Mais on trouve bien souvent aussi des lances qui sont généralement recourbées ; c'est-à-dire qu'elles ont été rendues inutiles avant de les mettre à côté des défunts.

Ces instruments ne pouvaient-ils pas quelque part renseigner sur la fonction ou le statut des défunts ?

Si on trouve quelqu'un avec des armes, on peut penser que c'était un guerrier ou une guerrière. À Sine Ngayène, on a trouvé deux inhumations primaires avec énormément de mobiliers, des bracelets en bronze de très bonne facture et beaucoup d'armes à côté. On peut penser à un dignitaire. Tout compte fait, il y a eu beaucoup de religiosité et beaucoup d'investissement.

Certains peuvent penser que cette méthode était destinée à des catégories de personnes, mais je pense que ces sociétés n'étaient pas très hiérarchisées. Il y a des cas de sociétés pas très hiérarchisées mais avec des rituels très importants. C'est le cas chez les Bedik, les Bassaris et même dans certains pays sérères où on enterre dans des " lòmb ". Parce que ces défunts étaient importants dans le lignage, et pas nécessairement des rois. L'ancestralisation est juste une forme d'accompagnement et peut-être aussi de protection de la société.

Quels sont les enseignements à tirer de ce patrimoine ?

Une société qui ne respecte pas ses ancêtres est une société condamnée. La cosmogonie africaine fonctionnait ainsi. Je pense qu'il faut mettre tout cela sur le compte de la foi et de l'importance de la famille. Même en ayant adopté les religions abrahamiques, c'est ce qui continue de faire la puissance de l'Afrique. Malgré tout le modernisme ambiant, nous réussissons encore à faire barrage à certaines formes d'individualisme et à préserver la famille. La sécurité sociale chez nous, ce n'est ni l'Ipres ni dans les maisons d'assurance, mais la famille et la communauté qui interviennent quand il y a problème.

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