Les observateurs de la scène politique ivoirienne n'ont pas eu besoin de sortir le périscope pour voir Pascal Affi N'guessan arriver à pas feutrés dans la mouvance présidentielle, depuis que la coalition politique à la "sauce gombo" anti-Ouattara dont il était le porte-parole, a été démolie par le parti au pouvoir, au lendemain de la victoire controversée de l'actuel président ivoirien, lors de la présidentielle de 2020.
Arrêté à bord d'un véhicule banalisé à Akoupé en novembre 2020 alors qu'il faisait route vers sa ville natale de Bongouanou, le président du Front populaire ivoirien (FPI) est devenu presqu'un panégyriste d'Alassane Ouattara après sa sortie de l'univers carcéral deux mois plus tard, suscitant la colère de ses anciens compagnons socialistes qui lui reprochent d'agir comme une abeille qui butine de fleur en fleur, et les quolibets de ses anciens camarades de l'éphémère Conseil national de la Transition qui demandaient ironiquement à ce que son nom soit inscrit dans le livre des records Guinness de trapéziste et de retournement de veste selon les circonstances.
Pourtant, au cours de la tumultueuse décennie 2000, les militants de son parti alors au pouvoir, ne trouvaient pas assez de mots pour saluer la constance, l'exemplaire rectitude et l'admirable noblesse d'âme de ce pilier parmi les piliers du Front populaire ivoirien, qui a payé de sa liberté, le prix de sa fidélité à Laurent Gbagbo, au lendemain de la chute de ce dernier. Assigné à résidence dès le 13 avril 2011, puis arrêté le 22 du même mois avant d'être transféré dans le pénitencier de la lointaine ville de Bouna, il en est revenu deux ans plus tard beaucoup plus conciliant avec le président Ouattara, alors que les autres cadres de son parti étaient toujours soit embastillés, soit en exil.
C'est la soupe à la grimace du côté de Laurent Gbagbo
Il n'en fallait pas davantage pour faire du désormais président du FPI, la cible à abattre à l'intérieur même de sa famille politique, certains caciques pro-Gbagbo estimant que cet homme qui excellait dans la satire et s'attaquait violemment à Ouattara, faisait de l'aplaventrisme à la "Père Daloa", pour être dans les grâces du nouveau régime.
Depuis lors, ses propres camarades de parti et ses partenaires de l'opposition ont, sur les réseaux sociaux, à visage découvert ou avec des avatars intraçables, décidé de le lyncher sans pitié pour son "usurpation" du titre de président du FPI avec la bénédiction du pouvoir en place, pour son fantochisme, sa versatilité et à cause du caractère éphémère de ses amitiés politiques.
Dans une telle situation, il est quasiment impossible, pour Affi N'guessan, d'exister politiquement dans cette jungle ivoirienne où les alliances se font et se défont à la vitesse de la lumière, surtout depuis le retour inattendu de son ancien mentor, Laurent Gbagbo, qui a décidé de l'affaiblir davantage en créant son propre parti et en lui laissant la " coquille vide " du FPI.
Conscient des dures réalités que vivent les hommes politiques évincés du pouvoir, de la haine viscérale que lui vouent les autres membres de l'opposition et du poids plume de son propre parti, Affi N'guessan a, au nom du ventre, de l'amertume et du réalisme politique, annoncé samedi dernier sa future alliance avec le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) d'Alassane Ouattara, dans la perspective des élections législatives et présidentielle.
De toute évidence, il a beaucoup appris auprès de Laurent Dona Fologo, de regrettée mémoire, qui répondait à ceux qui disaient de lui qu'il ne mettait son linge que là où brillait le soleil, qu'il faut être idiot pour espérer faire sécher son linge en l'exposant sous la pluie. C'est dommage que des hommes politiques censés proposer des programmes de développement à leurs concitoyens, en viennent à privilégier leurs intérêts personnels.
Mais c'est malheureusement comme cela que ça se passe en Côte d'Ivoire comme ailleurs en Afrique, la scène politique étant considérée comme un terrain de compromis et de compromissions. L'annonce du président du FPI de s'accoquiner avec le RHDP, pourrait d'ailleurs être suivie d'autres plus surprenantes encore, comme celles à ne pas écarter de l'ancienne première dame, Simone Gbagbo, et de l'ex-tribun du FPI, Charles Blé Goudé, pour le malheur de l'opposition et de la démocratie en Côte d'Ivoire, d'autant qu'avec un tel attelage, Alassane Ouattara, au lieu de s'esquinter dans une campagne électorale au résultat connu d'avance, pourrait aller se prélasser à Kong en 2025, en attendant la proclamation de la victoire certaine du candidat de son parti si ce n'est lui-même, malgré les vitupérations de ses adversaires politiques.
En attendant que ce partenariat gagnant-gagnant soit acté, c'est sans doute la soupe à la grimace du côté de Laurent Gbagbo et de ses inconditionnels qui voient déjà se profiler un mariage de raison qui pourrait être fatal à leur rêve de revanche en 2025, quatorze ans après avoir perdu, dans les urnes et par les armes, le pouvoir qu'ils avaient conquis une dizaine d'années plus tôt, à la surprise générale.