Une carte des zones inondables a été établie par le ministère des Infrastructures publiques en 2022 et une PNQ y a même été consacrée le 16 juin. Depuis, plus rien. On vous explique les raisons de ce silence.
Bobby Hurreeram avait déclaré que les informations sur les zones à risque sont dynamiques. Et pourquoi c'est dynamique? Tantôt, c'est la construction prochaine d'autres drains, tantôt c'est le changement climatique qui modifieront les données, avait expliqué le ministre des Infrastructures nationales. Pourquoi la carte qui a coûté Rs 70 millions ne peut-elle pas être rendue publique ? C'est selon. D'abord, c'est parce que le public ne saura l'interpréter, ensuite, c'est parce que le Conseil des ministres ne l'a pas encore approuvée, entre autres. Sept mois après, le Cabinet approuve toujours... Pourquoi y a-t-il 297 (ou 302) zones inondables ? Hurreeram donne six raisons, dont la construction de maisons près des rivières. Mais il ne dit pas, par démagogie ou pour ne blâmer personne sans doute, que la principale raison est l'existence de murs.
Vincent Florens, Associate Professor en écologie à l'université de Maurice, explique : "Les murs en pierres ou en briques, quand les pièces sont soudées avec du ciment, sont particulièrement imperméables et dévient l'eau qui ruisselle, surtout le long des routes asphaltées, vers la pente où l'eau s'accumule de plus en plus en fonction de la longueur des murs qu'elle rencontre sur son passage. Ainsi, la personne qui n'a pas de mur est pour ainsi dire 'punie' en recevant toute l'eau déviée chez elle... Donc, elle sera encouragée à ériger son mur aussi, déplaçant et aggravant le problème plus loin. De plus, l'eau s'accumulera si son passage est complètement bloqué par un mur et si elle n'a nulle part où ruisseler. Ce genre de situation peut vite devenir insoutenable, surtout si des storm drains ont été bloqués ou comblés."
L'express a consulté quelquesunes de ces cartes de zones inondables et il est clair comme l'eau de roche que l'eau s'accumule surtout là où des murs ont été construits. D'ailleurs, le ministre Hurreeram semblait lui-même convaincu, le 16 juin 2022, que tout le monde sait où l'eau est accumulée (à part dans les réservoirs) : "Everyone in here knows where water accumulates; c'est un secret de Polichinelle." Mais s'il faut construire des drains là où ça coince, même dans les cours privées, comme le serinent Bobby Hurreeram et Pravind Jugnauth, cela équivaudrait à couvrir toute l'île de drains. On comprend maintenant pourquoi on y a consacré un budget colossal de Rs 11,7 milliards. De quoi enrichir les petits contracteurs et copains...
À Curepipe, une zone rouge que nous avons pu identifier retient en effet l'eau qui tend alors à envahir les maisons. Témoignage d'un habitant : "Certes, j'ai construit ma maison en 1991 dans une zone humide où il pleut beaucoup. Cependant, je n'ai jamais eu de problème d'accumulation d'eau. Ce n'est qu'après que mes voisins ont retiré les haies de bambous nous séparant pour les remplacer par des murs que j'ai commencé à avoir de graves problèmes d'inondation et d'humidité." On le constate également ailleurs à Curepipe où ces "nouveaux riches" érigent des murs parfois recouverts de pierres taillées ou même de carrelages, tous très coûteux, pour remplacer les haies vives. Et font ensuite les frais d'accumulation d'eau quand ce n'est pas l'humidité perpétuelle, même à l'intérieur de la maison, durant les périodes de pluie. Des cours barricadées de murs se transforment en de véritables piscines lors des averses.
Résidence Vétiver sous l'eau
Parfois, ce n'est pas la faute aux citoyens qui s'emmurent volontairement mais au gouvernement lui-même et plus particulièrement à la NHDC. Les habitants de la Résidence Vétiver, à Gros-Cailloux, ont dû, le 27 janvier, défoncer à coups de masse les murs de clôture pour évacuer l'eau. Pourquoi ces maisons ont-elles été livrées avec leur mur d'enceinte, alors que, normalement, c'est à l'occupant de décider s'il mettra une clôture de haie vive ou un grillage, ou un mur, à ses risques et périls ? "Le contracteur a voulu sans doute gonfler la facture", nous dit un habitant. Même si la clôture est grillagée, l'érection d'un muret de deux pieds de haut pour soutenir le grillage a suffi pour empêcher l'écoulement de l'eau. D'autant que le projet se situerait dans une zone à risque. On apprend que les habitants des logements de la NEF à côté avaient abattu l'année dernière un autre mur entourant tout le complexe, pour les mêmes raisons.
Toujours dans le souci de trouver un bouc émissaire pour les inondations et justifier la construction des drains qui ne servent parfois pas à résoudre le problème d'inondations mais à accentuer le problème de pertes d'eau pour le pays, le gouvernement parle du changement climatique. Certes, ce phénomène existe réellement, mais à entendre les ministres, certains membres de l'opposition et même des experts en tout, le changement climatique est devenu comme une malédiction divine, contre laquelle on ne peut rien. Notre éditorialiste Nad Sivaramen rappelait samedi la réplique de Voltaire à Jean-Jacques Rousseau au sujet du tremblement de terre de Lisbonne en 1755 : "Ce n'est pas Dieu qui a construit la ville de Lisbonne mais l'homme !"
Subiraj Sok Appadu, l'ancien directeur de la station météo, avec plus de 37 ans d'expérience, nous le disait en janvier 2022 et l'a répété hier :"Le drame de ce pays, c'est que beaucoup de personnes parlent du changement climatique sans savoir ce que c'est." On avait dit d'abord que nous avons maintenant beaucoup plus de précipitations. Ce qui n'a pas été prouvé, bien au contraire. Ensuite, le Premier ministre (PM) a parlé des averses qui sont plus intenses, brèves et localisées. Utilise-t-il des arguments non scientifiques pour parler de la science ?
Laissons la parole à un véritable expert, Farook Mowlabaccus, hydrologue, avec 50 ans d'expérience dans le domaine : "Il n'existe aucune étude prouvant que les pluies sont plus intenses aujourd'hui. Il y a toujours eu de grosses pluies en cette période." Subiraj Sok Appadu, un autre expert, abonde dans le même sens : "Il faut connaître la quantité de pluie reçue durant ces flash foods." A-t-on fait une étude en ce sens ? Et les raisons des flash floods ? "Constructions sauvages, privées et publiques", répond sans hésitation Sok Appadu. À une question à propos de la fermeture des écoles, Farook Mowlabaccus assène : "J'ai 74 ans et j'ai travaillé pendant 33 ans à la CWA et à la WRU comme hydrologue. Jamais je n'ai vu de congé en raison de la pluie."
"Abattez les murs", disait le pape François
Vincent Lagesse, responsable du projet Savannah Village, nous expliquait en août dernier que "si un habitant veut construire un mur autour de sa maison (NdlR, à Savannah), il faudra qu'il laisse un espace libre où il peut se séparer grâce à une clôture métallique et un drain, installé après étude de l'écoulement de l'eau". Pour une députée de l'opposition, "on a besoin d'une décision courageuse de la part des autorités". Même s'il y a des murs, il faudrait légiférer pour donner le droit ou l'obligation à quiconque d'inclure une brèche dans le mur pour laisser évacuer l'eau. Donc, il n'est pas nécessaire d'abattre les murs existants. Toutefois, il semble mieux d'éviter l'érection de murs en premier lieu pour ne pas avoir à chercher l'axe d'écoulement de l'eau et creuser ou ériger des drains pour ceux qui aiment le béton.
Serait-ce pour éviter d'avoir à voter de telles mesures impopulaires mais combien efficaces à long terme que Bobby Hurreeram et le PM ont choisi de tout mettre sur le dos du changement climatique ?