Regarder sans complaisance l'Histoire. Et le prix fort qu'elle fait payer aux "Créoles qui ont un retard historique". Alain Romaine, prêtre et chercheur partage son analyse des mentalités et des discriminations à l'occasion des commémorations des 300 ans du Code Noir, qui représente "l'esclavage gravé dans la loi".
Aux origines de "kréol pares, kréol nek amizé, kréol gran nwar"
Le Code Noir de 1723 pour les Mascareignes est une loi qui définit le Noir comme un "sous-humain", qui statue sur son infériorité, explique Alain Romaine, prêtre et chercheur. À l'occasion des 188 ans de l'abolition de l'esclavage, la messe du 1er Février aura pour thème "300 ans du Code Noir, le prix à payer hier, aujourd'hui et demain".
L'auteur de plusieurs ouvrages historiques souligne que même s'il y a la Déclaration universelle des droits de l'homme, que la Constitution de Maurice protège les droits fondamentaux sans discrimination de couleur, dans les faits, "ce n'est pas parce qu'on a extirpé la discrimination des textes qu'on l'a extirpée des esprits". Il affirme que le Code Noir "est le socle de notre système judiciaire, système où le Noir reste toujours en bas." Par la suite, le Code civil mauricien a été dérivé du Code Napoléon. "Napoléon est celui qui a rétabli l'esclavage en 1802", alors qu'il avait été aboli en France et dans ses colonies en 1794. "Le venin du Code Noir est dans le Code Napoléon, qui régit nos rapports sociaux. Ce venin est venu jusqu'à nous. Ceux qui ont la peau noire paient le prix du racisme mué en communalisme, exclusion, discrimination, de la péjoration issu des préjugés (kréol pares, kréol nek amizé, kréol gran nwar), la marginalisation sociale dans les cités et les ghettos."
Quand la réussite paraît "suspecte"
Trois cents ans après le Code Noir, le préjugé de couleur est plus qu'ancré dans les mentalités. Pour le constater, il faut renvoyer chacun à son expérience, invite Alain Romaine. Aux différences d'attitudes, "quand un rasta entre dans un bureau et quand une personne de teint clair ou blanc entre dans le même bureau".
Il y a la question de perception. "À propos de quelqu'un qui est noir de peau, qui réussit et qui prend l'ascenseur social, on entendra dire : 'be kot linn pase?' Cette réussite paraît suspecte. Pou dir kapav li dan enn tranzaksion, enn malversasion." Selon lui, dans le cas de "quelqu'un qui est noir de peau et qui réussit en classe, là aussi on se demande comment il a fait. On ne pose pas les mêmes questions dans le cas de quelqu'un qui est de teint clair ou blanc. Là, la réussite paraît tout à fait logique".
C'est encore plus le cas pour la classe moyenne, estime Alain Romaine. "Tant qu'elle peut, elle cherche à s'éclaircir, que ce soit par le mariage, par des alliances, par le style de vie. Li pa pou désann." Illustration de "la lettre de cette loi qu'est le Code Noir peut disparaître, mais l'esprit de la loi perdure".
L'école : "La reproduction sociale du communalisme"
L'éducation peut aider à dépasser les préjugés, affirme Alain Romaine. L'éducation gratuite à Maurice jusqu'au niveau supérieur, dans les universités publiques contribue-t-elle efficacement au changement des mentalités ? Alain Romaine distingue l'éducation de la scolarisation. "L'éducation est beaucoup plus large. Les premiers éducateurs sont les parents." Sans caricaturer, il témoigne : "À la naissance d'un enfant, un zoli baba sera celui qui est kler-kler. C'est cela qu'on espère dans les familles." Il rappelle "combien de gens, surtout d'origine métissée, racontent que dans leur enfance, ils ont été moins bien traités, au sein de leur famille, à cause de leur couleur de peau plus foncée ?" Alain Romaine porte aussi la casquette de délégué épiscopal à l'éducation catholique. Il estime que notre système éducatif "qui n'a pour critère que l'académisme est une école qui fait la reproduction sociale du communalisme".
Se référant à la carte scolaire, il s'interroge : "Zanfan ghetto kot pou met li?" Ce sont les principes de la régionalisation qui s'appliquent. "L'école ne fait pas évoluer ces questions d'idéologie raciste, au contraire." Elle perpétue d'une part les écoles en Zone d'éducation prioritaire (ZEP) et d'autre part les écoles "de classe, de bourgeois". "Un enfant de Camp-Levieux ne sera pas admis à Sodnac. Ki dimounn ki res dan Sodnac? Ki dimounn ki res dan La Gaulette?"
Si les enfants qui réussissent dans les écoles en ZEP ont "mille mérites, c'est toujours une ambulance qui arrive après. Ce qu'il faut ce sont des mesures pour que ces enfants puissent compete avec les autres". Alain Romaine se demande à quand un mécanisme de rattrapage ou de réparation réelle ? "On nous dit que tout le monde a accès à l'éducation. Mais cela ne suffit pas. Ces enfants ne démarrent pas au même point que les autres."
Il rappelle que le rapport de la Commission Justice et Vérité, soumis en 2011, a mis en exergue "ki bann parol proféser dir" aux enfants descendants d'esclaves. Cela va de "kréol deryer", aux remarques sur leurs cheveux. Ce qui évoque le tout récent cas de Jaho Yonzah Collet, 12 ans, qui n'a pas été admis au Rodrigues College à cause de ses dreadlocks. Un épisode qui s'est déroulé à la rentrée scolaire cette année. "Ce qui montre que la question de couleur a été internalisée."
Quota selon la communauté "nécessaire"
Alain Romaine est-il en faveur des quotas comme l'une des solutions pour rétablir l'égalité des chances ? "Il y a des quotas pour les femmes, par exemple au Parlement. Il y a des quotas pour les handicapés. Il n'y a pas d'autres moyens. Alors pourquoi quand il s'avère que certains citoyens - les Créoles - ont des retards par rapport aux autres, la pa pou kapav fer sa. Le gros problème des politiques, c'est le ciblage."
Le prêtre et chercheur se dit pour un quota "selon la communauté". Avec d'autres critères. "Il y a des facilités accordées selon les revenus, mais quand il s'agit de la discrimination envers les Créoles, qui, on le sait, ont un retard historique, dans l'éducation, dans la fonction publique, là on n'agit pas. C'est pour cela que nous voulons dire que 300 ans plus tard, on paie toujours le prix du Code Noir."
La Commission Justice et Vérité disait déjà...
Le volume 4 du rapport de la Commission Justice et Vérité soumis en 2011 affirme : "In Mauritius, the Code Noir is often quoted as a measure introduced to protect slaves and thereby, the humanity of this law is often applauded. This view is not justified, if one analyses the reasons why it was introduced. The logic was purely financial and responded to the need to declare slaves as a good which could be insured so that any loss of slaves could be compensated for (... ) the 'Ordonnance de Commerce' of 1673 brought together the private sector and the State to regulate trade and to protect legitimate businesses from bankruptcies or remove some of the obstacles in obtaining credit. However, when it was found that the Ordonnance did not allow the insuring of human beings, the Code Noir was introduced to declare slaves as 'bien meubles' (Article XLIV); in other words, possessions which could be insured and inherited as fixed assets. In case of loss of slaves during a revolt, bad weather or disease, compensation could be claimed."
L'esclave réduit à l'état de chose
Le Code Noir aux Mascareignes, édit de décembre 1723, tient en 54 ar ticles. Le premier article stipule que "tous les esclaves dans les îles de Bourbon, de France voisins, seront instruits dans la religion catholique". Tout exercice d'une autre relig ion est interdit. Le Code Noir interdit le mariage entre Blanc et Noir. Il rend les affranchis et "nègres libres incapables de recevoir des Blancs aucune donation entre vifs à cause de mort, ou autrement". Il fait de l'esclave un "bien meuble", qui ne peut poursuivre son maître, mais qui peut être poursuivi. Le Code Noir établi aussi les punitions : coups de fouet, fleur de lys sur l'épaule, oreilles coupées, jarret coupé, peine de mort.