Afrique: La revanche de l'Afrique sur l'histoire

Le fardeau de l'Histoire

  • Le joug colonial

L'Afrique a porté, pendant des décennies, le lourd fardeau de l'Histoire. Si, dès la fin du Moyen Âge, il existe sur le littoral africain quelques rares comptoirs fondés par des Européens, ce n'est qu'à partir de 1870 que l'Afrique va devenir une terre de colonisation autant pour des raisons politiques qu'économiques. En 1885, lors du Congrès de Berlin, l'Afrique fait l'objet d'un partage entre quatorze pays européens qui vont fixer les règles de la colonisation, notamment en interdisant la traite négrière. La colonisation, si elle n'a duré que 8 décennies, de 1880 à 196O, va profondément marquer l'Histoire de l'Afrique pour trois raisons : la création d'une cinquantaine d'Etats africains bâtis sur le modèle européen, le pillage des richesses naturelles du continent et, sous couvert d'une mission civilisatrice, une appropriation des territoires par la violence et la ruse qui conduisent à nier l'identité de l'Afrique et la dignité des Africains. En 1889, la Première exposition coloniale à Paris, qui se tient du 6 mai au 31 octobre, commémore le centenaire de la Révolution française et célébre les principes de liberté, d'égalité et de fraternité. Pourtant, les Africains venus des colonies seront exhibés dans des " zoos humains ".Il faudra plus d'un siècle pour que l'Afrique se libère du joug colonial. 1960 sera l'année des indépendances politiques.

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  • Le premier âge postcolonial : le joug de la " Guerre froide "

Si la Guinée de Sékou Touré devient indépendante dès 1958, 1960 marque la succession des indépendances dans l'Afrique francophone. Le Cameroun s'affranchit le 1er janvier, suivi par le Togo en avril, le Soudan français (actuel Mali), le Sénégal et Madagascar en juin. Le Dahomey (actuel Bénin), le Niger, la Haute-Volta (actuel Burkina Faso), la Côte d'Ivoire, le Tchad, la République Centrafricaine, le Congo-Brazzaville vont, tour à tour, proclamer leur indépendance. Le Gabon fait de même en août, la Mauritanie, en novembre. L'indépendance politique de l'Afrique entretient l'illusion que l'Afrique maîtrise désormais son destin. En réalité, l'indépendance politique ne suffit pas. La période de la " Guerre froide " (1947-1991) va à nouveau faire peser le fardeau de l'Histoire sur une Afrique toujours dominée, pillée, et qui voit se succéder les coups d'Etat militaires. Entre 1960 et 1989, l'Afrique est sacrifiée aux enjeux géopolitiques et géostratégiques de la " Guerre froide " qui oppose les deux superpuissances de l'époque, les Etats-Unis et l'URSS. Si les Etats-Unis et l'URSS ne s'affrontent pas directement, la " Guerre froide " se caractérise par la multiplication des conflits sur tous les continents, sur tous fronts. En Afrique, l'URSS soutient les mouvements de libération contre les anciens colonisateurs et favorise l'arrivée au pouvoir de gouvernements socialistes qui vont se transformer en dictatures. Premier âge postcolonial de l'Afrique, les trente années que va durer la " Guerre froide " pèsent encore fortement sur le destin de l'Afrique, car cette période a eu pour effet majeur de geler le développement politique et économique de l'Afrique, d'exacerber les tensions ethniques. L'Afrique subsaharienne semble alors mal partie, comme le dira, René Dumont, un ingénieur agronome dans un livre fameux qui fera scandale (1). Dumont dresse un constat terrible sur une Afrique sub-saharienne qu'il parcourt et observe, alors que la communauté internationale et l'Afrique vivent dans l'euphorie d'un contexte de décolonisation optimiste.

  • Le deuxième âge postcolonial : 1991-2023

La fin de la " Guerre froide ", qui s'explique par la disparition de l'URSS en 1991 ne change rien pour l'Afrique qui n'est plus un enjeu géopolitique pour la Russie et les Etats-Unis. Le continent est toujours marginalisé, oublié, absent dans les échanges internationaux. Ne profitant pas des dynamiques nouvelles de la mondialisation, l'Afrique voit se poursuivre la déliquescence des structures étatiques et la terrible faillite des gouvernements civils dans certains pays. L'échec des politiques de lutte contre la pauvreté, la réalité de la corruption et la montée de l'insécurité liée à la pression des groupes terroristes et de la criminalité organisée se traduisent par une forte instabilité politique. Pour revenir en Afrique, la Russie se contente, dans un premier temps, de vendre des armes aux Etats africains : actuellement, la Russie représente 49 % du total des exportations d'armes vers l'Afrique. Ne voulant pas apparaître directement, la Russie de Poutine s'appuie, pour étendre sa zone d'influence en Afrique, sur le Groupe Wagner, une organisation privée. Wagner est à la fois : 1) une milice armée qui se substitue aux armées des Etats pour protéger les gouvernements ; 2) une société de propagande et de cyber-influence qui finance des activistes, afin de réactiver le vieux discours anticolonialiste, et manipule les opinions publiques à partir de son " usine à trolls " ; 3) un groupe commercial qui se finance en exploitant les pierres précieuses en Centrafrique, l'or au Mali. Les Etats-Unis, qui viennent de classer Wagner comme " organisation criminelle transnationale ", voient dans l'intérêt grandissant de la Russie pour l'Afrique une volonté de Poutine de dessiner un nouvel ordre mondial autour d'un front anti-occidental, dont Moscou serait l'épicentre. C'est évidemment sans compter sur la Chine.

Indépendance politique et indépendance économique : la place de l'Afrique dans les nouvelles dynamiques contemporaines

a) La souveraineté des Etats africains en matière de sécurité

La guerre en Ukraine change la donne en Afrique : au-delà des crises multiples qui se profilent sur le continent africain, notamment les risques de famine, il s'agit bien de la volonté affichée par la Russie de Poutine de rompre avec l'Occident et d'entraîner dans son sillage l'Afrique. La Russie a obtenu le départ de l'armée française du Mali, de la Centrafrique et du Burkina Faso. Ce départ se traduit-il pour les Etats africains par une souveraineté retrouvée ? Personne ne conteste aux Etats africains le droit d'en appeler à un sursaut national et nouer une alliance avec la Russie pour assurer leur sécurité contre les groupes terroristes et garantir leur développement. Aujourd'hui, les groupes djihadistes occupent plus de 60 % du Sahel. Plus de 50 % du territoire du Burkina est passé sous la domination terroriste et demeure hors du contrôle de l'État. Ni le Mali, ni le Burkina Faso ne peuvent conduire seuls le combat contre le terrorisme djihadiste. Pourront-ils le faire avec le Groupe Wagner ? Les prochains mois nous le diront en permettant de mesurer les conséquences du départ des militaires français et de l'arrivée de Wagner en Afrique. Ces conséquences sont déjà mesurables en Centrafrique et au Mali. Mais, s'il s'agit de remplacer un ancien colonisateur par un nouveau colonisateur vêtu des vieux habits de la lutte anticoloniale, il n'est pas sûr que les populations africaines y retrouvent leur compte. Les militaires maliens et burkinabés affirment avoir écouté la rue. L'Histoire montre que le gouvernement par la rue est une impasse. La rue burkinabaise a exigé le départ de l'armée française en 72 heures. Nouvel homme fort du Burkina, le chef de la juntemilitaire, président de la République, Ibrahim Traoré, a préféré organiser ce départ en un mois.Selon les termes de l'Accord qui lie le Burkina et la France, si l'une des parties dénonce cet accord, l'autre partie a un mois pour s'exécuter.Pour le porte-parole du gouvernement burkinabè, Jean Emmanuel Ouédraogo " le départ de l'armée française du Burkina n'est pas la fin des relations diplomatiques entre les deux pays. En revanche, ce qui se joue, c'est bien l'avenir du G5 Sahel : après le départ du Mali, le G5 Sahel était moribond. Aujourd'hui, avec le départ annoncé du Burkina, on assiste à l'enterrement du G5 Sahel. Un Sommet extraordinaire des Chefs d'Etat du G5 Sahel doit se tenir à Ndjamena le 20 février. Les invitations sont parties : Goïta, le Malien, et Traoré, le Burkinabè, ont annoncé qu'ils ne se rendraient pas à Ndjamena. La " Coalition pour le Sahel " renforcée par les pays de l'" Initiative d'Akra ", lancée en 2017 par les pays du golfe de Guinéepeut-elle se substituer au G5 Sahel, toujours avec l'appui des partenaires techniques et financiers traditionnels ?

b) La souveraineté alimentaire des Etats africains : l'Appel du Président Félix Tshisekedi

S'adressant aux opérateurs économiques à la Chambre de commerce des États-Unis d'Amérique, le chef de l'Etat congolais, Félix Tshisekedi, a eu une formule heureuse, lorsqu'il parle de " la revanche du sol congolais sur le sous-sol " de son pays. Félix Tshisekedi s'est expliqué sur cette formule : " Le sol du Congo c'est 120 millions d'hectares des terres arables et irrigables. Jusqu'ici, seuls 10% de cette superficie sont exploités. C'est l'occasion pour nous de promouvoir ce secteur en créant des Zones agricoles et en encourageant la transformation de nos produits agricoles sur place pour donner de la valeurajoutée et de les exporter ". Félix Tshisekedi , entend valoriser la production agricole, afin d'assurer la sécurité et la souveraineté alimentaires du Congo. Son objectif est d'orienter les investissements étrangers vers le secteur agricole. Assurer la revanche du sol congolais sur le sous-sol est une manière de sortir de la malédiction du sous-sol.

b) assurer aussi la revanche du sous-sol congolais

Il convient aussi d'assurer la revanche du sous-sol de la RDC, dont l'exploitation ne profite pas pleinement aux populations congolaises. La RDC est réputée pour l'abondance des richesses de son sous-sol, des richesses très convoitées, en particulier les ressources minérales rares du nord-est au sud-est du pays (coltan, diamants, or, cuivre, cobalt, zinc, manganèse... ). Dès 1892, le géologue Jules Grandin parle du " scandale géologique " que constitue la richesse du sous-sol congolais. Il existe, à l'évidence, une malédiction du sous-sol du pays : investissements étrangers orientés vers l'exploitation du sous-sol, transformation des matières premières brutes en dehors du pays, guerres prédatrices, corruption, etc. Lorsque la RDC exploitera elle-même ses richesses minières, elle pourra mettre en œuvre une croissance inclusive et un meilleur partage des richesses.

Une étude montre qu'on trouve, en Afrique, 7,6 % des réserves mondiales de pétrole, 7,5 % des réserves de gaz naturel, 40 % des réserves aurifères et entre 80 % et 90 % du chrome et du platine. Mais ces richesses du sous-sol sont rarement exploitées par les Africains eux-mêmes et transformées localement. Le marché mondial des matières premières entretient, loin de l'Afrique, une économie qui rapporte beaucoup d'argent aux investisseurs et aux industriels étrangers. Parce que l'exploitation de ses matières premières (minières, agricoles) ne profite pas à l'Afrique, son développement est retardé. L'Afrique est aujourd'hui à la croisée des chemins. Pour se libérer du fardeau ln d'Histoire, il lui faudra faire les bons choix en matière de gouvernance et nouer les bonnes alliances pour consolider sa sécurité et accélérer son développement.

Agrégé de l'Université - Président du think tank Afrique & Partage - Président du CERAD (Centre d'Etudes et de Recherches sur l'Afrique de Demain) - Directeur général de l'Université de l'Atlantique (Abidjan) - Chroniqueur, essayiste, politologue.

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