Sénégal: Gestions des déchets solides - Un casse-tête pour les Collectivités Territoriales

31 Janvier 2023

Compétence transférée par l'Etat central, la gestion des déchets a toujours été une préoccupation majeure pour les collectivités locales du fait de sa complexité. Aujourd'hui, à travers différents mécanismes, le gouvernement essaie d'appuyer les municipalités qui ont un problème de décharges pour certains, tandis que d'autres sont confrontés à la logistique pour le ramassage.

Petit à petit, la fraîcheur du matin enveloppe Castors et environs. L'aube, calmement, chasse la nuit et Fatim Diagne, avec allant, s'échine à débarrasser les immondices éparpillées sur la chaussée. L'employée de la Société nationale de gestion intégré des déchets (Sonaged) ex-Unité de coordination de la gestion des déchets (Ucg), met le cœur à l'ouvrage. Comme elle, des milliers de " forçats " des déchets parcourent le Sénégal, avec entrain et générosité pour aider à débarrasser les collectivités territoriales des immondices et autres. Une approche saluée par beaucoup de populations, tant cette question était épineuse pour les collectivités locales, souligne Abdou Diaw, agent de la maire de Gueule Tapée-Fass Colobane. Mieux, dans la presse, le Coordonnateur du Projet de promotion de la gestion intégrée et de l'économie des déchets solides (Promoged), Ibrahima Diagne, lançait, tout de go, que la mission première d'un maire, c'est la gestion des déchets solides. En effet, dans sa conception, M. Diagne pensait que les collectivités locales doivent davantage être outillées pour une meilleure gestion de cette " ressource ".

En effet, fait-il noter, le Promoged à une dimension de renforcement de capacités des collectivités territoriales en gestion de déchets. Ce projet interviendra dans 140 communes qui seront dotées d'un plan de gestion des déchets. " Nous ferons en sorte qu'il y ait des intercommunalités autour de cette question et dans la gouvernance. Nous travaillerons à l'opérationnalisation du cadre juridique ", explique Ibrahima Diagne. L'objectif est d'engager des réformes destinées à régler, de manière durable, la question des déchets à travers une loi d'orientation, un cadre réglementaire et les 140 collectivités territoriales auront des infrastructures communales ou intercommunales, des centres de tri, des points de regroupement normalisés, des centres de transferts, des centres intégrés de valorisation des déchets.

Plus loin, Ibrahima Diagne rappelait que pour le cas spécifique de la région de Dakar, il est prévu la réhabilitation de la décharge de Mbeubeuss, en plus de l'achat d'équipements. D'ailleurs, il y a un volet global de travaux dans les anciennes décharges de Gandigal, Thiès et Saint-Louis. Ce sont des dépotoirs communaux qui sont actuellement saturés, souligne Ibrahima Diagne. En somme poursuit-il, les capacités des collectivités territoriales seront renforcées, sans oublier la création d'emplois, la promotion de comportements éco-citoyens, afin que chacun puisse jouer son rôle. Le plus important, aux yeux du Coordonnateur du Promoged, c'est l'adoption de la Stratégie intégrée de gestion des déchets qui va" marquer le passage d'une gestion classique à l'économie des déchets ".

DEPÔTS D'ORDURES SAUVAGES

Ces tas d'incivilités à enlever de Thiès

L'insuffisance des moyens dont dispose la mairie de ville et les incivilités notées dans l'espace public rendent difficile la collecte des ordures à Thiès, une agglomération qui n'est pas propre partout, tout le temps. Cette situation est un vrai casse-tête pour l'exécutif municipal et tous ceux qui militent, ici, pour une ville propre.

THIES - Près de 700 000 habitants, sur une superficie de 6822 hectares, dont les 3942 sont urbanisés, n'œuvrent pas tous pour une ville propre. Ici, les gens jettent leurs déchets n'importe où, créant des dépôts sauvages d'ordures ou obstruant la voie publique avec divers matériaux. Les anciennes carrières de sable de Keur Issa transformées en déchetterie, les quartiers Serigne Abdoulaye Yakhine et Darou Salam enlaidis par l'absence de lotissement et d'assainissement, ainsi que Gouye Sombel, qui résume la ghettoïsation de Thiès, en sont quelques illustrations parfaites. Ce sont des encombrants amoncelés et le règne de la saleté.

L'exécutif municipal semble impuissant devant cette situation, faute de moyens matériels et humains conséquents. C'est l'Etat, à travers l'Unité de coordination de la gestion (Ucg) des déchets solides, qui s'occupe du " ramassage des ordures, une compétence transférée à la commune qui ne peut pas s'en acquitter ", nous disait, un matin de juin 2021, Ameth Mbaye, alors directeur des services techniques de la mairie de Ville de Thiès. Suite à l'affectation des équipements marchands et des recettes qu'ils génèrent aux mairies de Thiès-Est, Thiès-Ouest et Thiès-Nord où ils sont implantés, la mairie de Ville, en charge de la gestion des déchets, est " désargentée ".

Un " handicap financier " auquel s'ajoute la " paralysie " des deux bennes-tasseuses acquises dans le cadre de la coopération décentralisée. Devant l'immobilisme des services municipaux, les opérations de collecte et de ramassage des ordures sont effectuées par la seule Ucg qui, malheureusement, ne peut pas desservir tout Thiès riche d'une quarantaine de quartiers. " Et le système de collecte de proximité, tarifé entre 1.000 et 2.000 FCfa/mois et effectué par des conducteurs de voitures hippomobiles inadaptées à l'évacuation des déchets ménagers, a fini de démontrer son inefficacité ", pointe Khalifa Niasse, chargé du volet " Set-Sétal " du " dahira " (association religieuse) de son quartier de Mbambara.

Pour corriger ces défaillances, la mairie de Ville avait, il y a près d'un an, émis l'idée, avec les services des Domaines et du Cadastre, " d'identifier des sites de transit " où les charretiers déposeraient les ordures que l'Ucg viendrait enlever. Cela n'est pas encore le cas. Il n'y a, pour l'heure, que les points de regroupement normalisé (Prn) de l'Ucg où l'on peut aller déposer les déchets qui seront ensuite enlevés et acheminés à la déchargeà ciel ouvert, située à la sortie de Thiès vers Sindia. Aujourd'hui, ce sont 210 tonnes d'ordures qui sont ramassées par jour, soit moins de 50% des déchets devant être collectés à Thiès.

Absence de décharge aux normes

Rendre la capitale du rail propre, c'est disposer d'une décharge aux normes et de poubelles par ménage, acquérir une logistique adéquate et créer une unité de traitement et de valorisation des résidus organiques. La conviction du maire de Ville, élu en janvier 2022, est qu'on peut " rendre Thiès propre ". Dr Babacar Diop a dit, dans l'édition du Quotidien national " Le Soleil " du 22 mars 2022, sa " volonté de s'inspirer de l'expérience d'Hébron-al-Khalil (Palestine), jumelée à Thiès et classée, par la Banque mondiale en 2016, Ville la plus propre du monde, pour rendre la Cité du rail plus salubre et attrayante ". Aussi, faut-il, selon le paysagiste Ibou Diallo, mettre la thématique de la propreté au cœur d'une campagne de sensibilisation des populations en vue de les impliquer davantage dans la gestion de leur environnement immédiat. En attendant, Thiès se contente des opérations de l'Ucg et du Fonds d'entretien routier autonome (Fera) dont les agents sont affectés au désensablement des rues et avenues de la Cité du rail, jonchées de sachets en plastique, pots, bols, déchet animal, tas d'immondices, etc.

DIOURBEL

Une ville sans dépotoir municipal contrôlé

Chef-lieu de région, la ville de Diourbel éprouve,à l'instar de la plupart des collectivités territoriales du pays, d'énormes difficultés pour gérer les déchets solides ménagers. Déficit d'espace et absence de décharge contrôlé, les dépotoirs sauvages d'ordures ne facilitent pas une bonne gestion du cadre.

DIOURBEL-Les décharges sauvages sont innombrables dans la ville de Diourbel malgré les efforts de la municipalité à collecter, transporter et stocker même si elle ne dispose pas de dépotoirs d'ordure contrôlés, dans son périmètre. De la cité ouvrière à l'entrée à Khogil de même qu'à la sortie sur la route de Touba et de Pikine, en passant par la sortie vers Tocky Gare, sur la route de Gossas et dans les sous quartiers, les décharges sauvages sont visibles et font partie du décor de la ville de Diourbel.

A Mboudaye, dans le Médinatoul, Abdoulaye Tour, père de famille,fustige l'existence du dépotoir sauvage érigé devant sa maison. " Le camion de collecte vient dans notre quartier tous les deux jours, mais il y a toujours des gens qui préfèrent déverser leurs déchets ici, au lieu d'acheter une poubelle pour faciliter la collecte et rendre propre le quartier ", déplore-t-il. Il estime aussi que si Diourbel avait une décharge municipale connue et contrôlée, la situation pourrait peut-être changer.

Une position que partage l'agent voyer de la maire de Diourbel, Assane Sylla Faye. " Le grand problème que nous avons, c'est que nous n'avons plus de terrain qui pourrait servir de décharge dans notre commune. Nous déversons toutes nos ordures dans la commune de Tocky Gare ", confie l'agent. Il précise cependant que le fait d'avoir une décharge dans une autre commune n'est pas de tout repos. " Nous avons souvent des grincements de dent, des menaces de fermeture venant des autorités de la commune de Tocky, mais à chaque fois c'est le préfet qui nous départage ", révèle-il, avant d'affirmer que la solution est d'exploiter les dispositions réglementaires de l'intercommunalité entre Diourbel et toutes les communes frontalières, Tocky Gare, Patar, Diourbel et éventuellement la commune de Ngohé, " pour trouver, ensemble, un site sur lequel nous allons créer une décharge contrôlée et bien aménagée avec tous les équipements nécessaires ".

La décharge Tocky Gare, un danger à ciel ouvert

Le nombre important de sachets plastique sur les arbres, arbustes et dans les champs sur une distance de plus de 500 mètres indiquent le site de la décharge sur la route de Gossas, entre les villages de Nébé, Gognigue et Diabakh, dans la commune de Tocky Gare. Sur le site, il est difficile de respirer à cause de l'odeur nauséabonde mélangée à la fumée qui se dégage des déchets en combustion. A l'image de Mbeubeuss, cette décharge a aussi ses récupérateurs composés en majeure partie de vieilles femmes. Ils viennent de Diourbel et des villages environnants. " C'est ici notre lieu de travail. Nous ramassons tout objet utile pour le recycler. Nous gagnons notre vie grâce à cette décharge ", confie Aissatou Mbow. Elle quitte chaque matin la ville de Diourbel. Débout devant un tas de divers matériels qu'il vient de collecter, Mamadou Diouf est originaire de Diabakh, la localité la plus proche du dépotoir. Il explique que malgré le fait qu'il gagne sa vie grâce à la décharge, cette dernière est un danger pour les populations. " La commune de Tocky Gare est habitée par des paysans. Les champs sont nos seules sources de revenues. Aujourd'hui à cause des sachets plastiques qui envahissent nos champs à partir de cette décharge, les récoltes ne sont plus abondantes et les arbres ne se développent plus convenablement ", explique-il. Abondant dans le même sens, le boucher Sadibou Mbaye renseigne que presque toute les bêtes qui viennent des localités qui avoisinent la décharge ont des ventres remplient de sachets plastiques. Pire, la décharge est un danger pour les enfants de trois villages les plus proches. A en croire l'ancien maire de Tocky Gare, Abdou Diagne, ce lieu a fait une victime avec un habitant de Diabakh, qui est devenu handicapé suite à un accident qu'il avait eu sur le site.

Joint au téléphone, la victime, Ndiouga Ndiaye, qui est actuellement mendiant à Dakar, raconte les circonstances de sa mésaventure. " C'était en 1997 si j'ai bonne mémoire. J'avais entre 12 et 15 ans. La décharge était notre espace de jeu. Alors ce jour-là, les agents de la municipalité ont mis le feu sur une partie du dépotoir comme ils ont l'habitude de le faire pour réduire en cendre certaines ordures et avoir encore de l'espace. Ainsi en jouant avec mes amis, je suis tombé dans un trou de cette partie en feu. Pris de peur mes camarades ont accouru pour alerter mes parents. Quand on m'a fait sortir j'avais presque toute la partie inférieur brûlée de la taille au pied ", explique Ndiouga Ndiaye. Avec une voix tremblante, il poursuit : " lors des premiers traitements, mes jambes n'étaient pas amputées malgré le long séjour que j'ai eu à l'hôpital ou j'étais sorti visiblement guéri. Mais quelques années après, les douleurs persistaient et me causaient de réels problèmes de santé. Alors quand je suis retourné à l'hôpital, les médecins ont amputé mes jambes et je suis devenu handicapé mais je rends grâce à Dieu parce que même si je mendie, j'ai une épouse et des enfants que je parviens à entretenir ", confie-il.

Pour l'entretien et la gestion de la décharge, l'ancien maire Abdou Diagne informe que la mairie de Diourbel ne respecte pas le cahier des charges. En effet, selon lui, la décharge date de 1993 et était destinée à la Société industrielle et électrique du Baol (Seib) actuelle Société nationale de commercialisation des oléagineux (Sonacos) qui y déversait ses déchets. A l'époque, il y a eu des clauses entre la Seib et la communauté rurale de Tocky Gare pour statuer sur la gestion et l'entretien du site malheureusement la commune de Diourbel qui exploite actuellement cet espace ne respecte plus ce contrat dans le quel il était question d'entourer les 2 hectares que constitue le site, de fils barbelés. Des allégations que réfute le maire de Diourbel Malick Fall. " Nous sommes en train de chercher des solutions d'abord pour la gestion et l'entretien de la décharge mais mieux nous travaillons avec des partenaires pour la création d'un centre municipale de traitement d'enfouissement donc, il faut reconnaitre nos efforts dans la recherche de solution ", rétorque-il.

La collecte des déchets à Diourbel

L'organisation du nettoyage et de la collecte des ordures dans la commune de Diourbel suit un plan élaboré par le service technique municipal en collaboration avec l'Ucg et le Fera. " Au niveau de la commune de Diourbel, nous avons 13 employés qui utilisent un camion de collecte. En dehors de cela, il y a le programme national de gestions de déchets (Pngd) qui, à travers l'Ucg, s'active dans la gestion des déchets ", précise l'agent voyer Assane Sylla. L'Ucg,à son tour, travailleavec une entreprise qui a mis à la disposition de la mairie une benne-tasseuse, des bacs à ordures et un porte bac qui fait le ramassage et deux autres camions. " Grâce à ce matériel, nous avons établi un circuit de ramassage qui a quatre trajets par semaine", explique M. Sylla, avant de souligner l'importance des charrettes dans le dispositif. Ainsi, avec ces deux charrettes, Sadio Sarr fait chaque jeudi et vendredi le tour des maisons du sous-quartier Elevage. " J'ai deux ânes qui me permettent de faire le tour de plusieurs quartiers par semaine suivant un planning que j'ai élaboré. Cependant, je ne fais pas d'abonnement, je préfère passer de maison en maison et les intéressés payent directement 300 FCfa quels que soient les déchets. Je gagne plus de 10 000 FCfa par jour que je partage avec mes collaborateurs. Cependant, je dois reconnaitre que nous avons des problèmes pour arriver à la décharge. C'est pourquoi nous nous rabattons sur certains lieux sauvages ou point de collecte", renseigne Sadio Sarr.

Gandon, le vidoir de Saint-Louis

Dans le cadre de l'intercommunalité, la municipalité de Gandon a pu aménager, dans son périmètre, une décharge publique qui permet à Saint-Louis d'y déposer ses déchets solides, a rappelé le Directeur des services techniques municipaux de la vieille cité, Dr Aly Sine.

SAINT-LOUIS - Dans l'entretien qu'il nous a accordé, M. Sine a précisé qu'il s'agit notamment du centre d'enfouissement technique (Cet) de Saint-Louis, à Gandon. " Nous veillons régulièrement sur le fonctionnement et l'exploitation de ce Cte qui reçoit, tous les jours, des camions d'ordure envoyés par nos agents qui sont en poste au niveau de la division chargée du nettoiement de la ville tricentenaire ", dit-il. Cette entité, poursuit le Dr Aly Sine dépend administrativement de la direction des services techniques municipaux de Saint-Louis.

La division, compte-tenu du fait que la gestion des déchets est une compétence transférée aux collectivités territoriales, a été mise en place depuis 1990, et fait travailler actuellement plus de 400 agents municipaux, bien formés et outillés et qui ne s'occupent que des tâches liées au nettoiement de la ville. " Ces derniers travaillent au sein de plusieurs équipes coordonnées par le responsable de cette division Fara Cissé, cette collecte très difficile d'ordures ménagères, est supervisée par la direction des services techniques municipaux, en collaboration avec les responsables du Pôle Nord de l'Ucg ", a dit le Dr Sine. Aussi, la division chargée du nettoiement, a-t-il souligné, dispose de toute une logistique composée de deux tractopelles, d'un Poly-benne, de 7 bennes tasseuses, 5 bennes satellites, deux camions de 20 et de 32 mètres-cube. Tout ce matériel lourd, laisse entendre Dr Aly Sine, est mobilisé quotidiennement, pour faire le travail de ramassage des ordures au niveau des 33 quartiers de la Langue de Barbarie, de l'île de Saint-Louis et du faubourg de Sor.

Sur le site de Gandon où on a aménagé le centre d'enfouissement technique de Saint-Louis, deux agents municipaux, notamment Baye Diop, 32 ans et Oumar Ngalla Sall, 37 ans, trempés de sueur, la casquette vissée sur la tête, jurent la main sur le cœur, qu'il n'y a presque plus de dépôt sauvage dans la ville de Mame Coumba Bang. Selon ces deux interlocuteurs, les performances réalisées par Mansour Faye, parmi lesquelles le relèvement des défis de la croisade contre l'insalubrité et de l'éclairage public, ont valu à la commune de Saint-Louis d'être primée pour sa bonne gouvernance à travers le Prix Label OR de la Certification citoyenne des Collectivités locale du Forum civil en 2016, et le Prix d'Excellence du Leadership local dans la catégorie " Solidarité et Assistance aux Communautés vulnérables " avec le Projet de relèvement d'urgence et de résilience de Saint-Louis (Serrp), en 2019.

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