Sénégal: Éducation Physique et Sportive à l'école - Une pratique saine parfois risquée

31 Janvier 2023

Un esprit sain dans un corps sain. C'est ce qui est recherché dans la pratique du sport. Mais le sport peut être périlleux si des tests médicaux ne sont pas effectués au préalable. Au Sénégal, l'exercice de l'Éducation physique et sportive (EPS) dans les écoles est lié souvent à des risques, car les visites médicales ne sont pas toujours respectées. Le manque d'infrastructures plombe aussi la pratique de la discipline.

Le lycée de Keur Massar n'a pas d'espace approprié pour la pratique de l'éducation physique et sportive. Les cours sont dispensés sur un terrain vague situé à une centaine de mètres de l'école. L'espace situé en plein cœur des habitations est entouré de pneus peints en bleu. La tranquillité n'est pas toujours de mise, car les bruits peuvent survenir de partout. Sur ce petit terrain, Malick Bèye, professeur d'Éducation physique et sportive (EPS), depuis une dizaine d'années, tient son cours. Une cinquantaine d'élèves, filles et garçons, vêtus de maillots verts, gesticulent dans tous les sens. Les bras, les pieds, la tête, toutes les parties du corps sont sollicités dans ces exercices physiques qui demandent une grosse débauche d'énergie.

Non loin, à même le sable, un tas d'habits et de sacs gardés par les élèves dispensés du cours. Vêtu d'un jogging noir, baskets aux pieds, Malick Bèye, qui a l'allure d'un grand sportif, est très concentré sur l'exercice. Il n'hésite pas à donner de la voix pour rectifier, conseiller, expliquer. Les exercices physiques sont suivis d'une séance de gymnastique sur des tapis noirs déchirés par endroits. Le groupe est divisé en cinq colonnes.

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Au menu, rotation simple, saut demi-tour, appui tendu, renversé, écart, montée de bassin, ciseau... Les élèves, dans une bonne ambiance, s'en donnent à cœur joie. Mais, si certains s'en tirent bien, d'autres éprouvent toutes les difficultés pour exécuter les mouvements, comme il se doit. Vigilant et patient, Malick Bèye prend son temps pour que les enseignements soient maîtrisés. Sa patience a, toutefois, des limites, car il n'hésite pas à exclure un élève récalcitrant, durant l'exercice. " On doit se sentir concerné comme en classe ", lance-t-il. Sur son visage, on se rend compte que le professeur d'Eps exerce son métier avec passion.

Selon Malick Bèye, l'éducation physique et sportive a une importance capitale à l'école comme dans la société. L'objectif est d'améliorer les aptitudes physiques de l'élève. " Nous commençons par ce qu'on appelle la préparation physique généralisée (Ppg) pour développer la capacité physique de l'élève. Après la Ppg, nous avons d'autres activités à faire telles que la vitesse, la gymnastique, le saut en longueur, le triple saut et le saut en hauteur. Il y a aussi le lancer de poids... Quand il s'agit d'une classe d'examen, l'élève fait ses choix parmi ces sauts ", explique-t-il.

La visite médicale, un impératif

Avant tout exercice concernant la pratique de l'Eps, l'élève doit tout d'abord effectuer une visite médicale, précise le professeur d'Eps. Pour Malick Bèye, c'est là où le bât blesse. " Avant de commencer les cours d'Eps, on n'a pas l'habitude de faire la visite médicale. Quand on fait le cours sans au préalable avoir effectué des tests médicaux, on peut être confronté à des accidents. Surtout dans la préparation physique où certains enfants ont tendance à s'évanouir ", note M. Bèye. On doit d'abord faire les tests médicaux avant les cours d'Eps pour sélectionner les élèves qui sont aptes et écarter les inaptes ", préconise-t-il.

Monsieur Diakhaté, maître d'Eps au lycée de Mbao, a une grande expérience dans la discipline. Pour lui, l'importance de l'Eps est de renforcer les aptitudes de l'élève dans tous les domaines. " Il s'agit d'aider l'élève à faire valoir ses capacités ", a-t-il indiqué. Il est d'avis que sans l'enseignement de l'Eps dans les établissements, il est difficile d'assurer une meilleure santé mentale et physique aux apprenants.

D'après Monsieur Diakhaté, " le problème est qu'il y a des enfants qui viennent malades. Et ce n'est pas notre rôle de détecter les maladies. S'il y avait la visite médicale au préalable, cela éviterait beaucoup d'accidents ", a-t-il indiqué. " C'est du ressort de la tutelle de veiller à cet aspect, car certains élèves peuvent avoir des problèmes de santé antérieurs ou héréditaires qui n'ont pas été détectés ", a dit M. Diakhaté. Il souligne que certains parents demandent même aux élèves de cacher leurs problèmes de santé. Une irresponsabilité qui, selon lui, peut mener à de graves conséquences.

En dehors des risques liés à l'absence de visite médicale, la valorisation de la pratique à l'école par rapport au reste des matières et disciplines pose également problème. Pour Malick Bèye, on n'accorde pas l'importance qu'il faut à l'Eps. " Pour preuve, durant la période du coronavirus, les épreuves physiques avaient été éliminées. On a dû former un collectif et lutter pour que la discipline soit rétablie au même titre que les autres matières ", se souvient-il.

Djiby Dieng, enseignant au Collège d'enseignement moyen (Cem) de Sicap Mbao-Diamaguène, possède une expérience de près d'une vingtaine d'années dans l'enseignement de l'Eps. Cet entraîneur de football, titulaire d'une licence B de la Confédération africaine de football (Caf), loue les vertus sanitaires de l'exercice. " L'objectif principal du cours d'Eps est la santé. Un esprit sain dans un corps sain comme on dit ". Pour lui, cela aide l'élève à régénérer son cerveau, à se surpasser, à être endurant et performant. " Quand on n'est pas en bonne santé, on ne peut pas faire grand-chose ", dit-il.

Contrairement à son collègue Diakhaté, Djiby Dieng estime que l'Eps a évolué au fil des années. " Il est loin le temps où l'on disait que l'Eps était le parent pauvre de l'enseignement. La donne a complètement changé. Nous avons suffisamment de matériels ", se réjouit M. Dieng. Même s'il reconnaît le regain d'intérêt accordé à la discipline, le professeur d'Eps du Cem de Sicap Mbao-Diamaguène est conscient de la lancinante question des tests médicaux. " C'est le grand problème de l'Eps.

Si l'on veut s'adonner à la pratique du sport, le minimum est de faire la visite médicale pour savoir si l'on est apte ou pas. Mais nous, on nous balance les élèves sans visite, sauf ceux qui sont inscrits aux examens ", a déploré l'enseignant. " En 2021, on a eu un collègue dont l'élève a perdu la vie en plein cours d'Eps. Après médiation, les parents ont retiré leur plainte. Pourtant, l'enseignant n'a rien fait. Nous sommes exposés dans notre travail alors que nous ne sommes pas des médecins ", confie Djiby Dieng.

Selon lui, l'autre grand problème de l'Eps à l'école reste le manque d'infrastructures dédiées. " Dans les établissements scolaires, on n'a pas d'espace suffisant pour faire correctement notre travail. Il n'y a plus les installations nécessaires dans l'enceinte des écoles concernant la pratique normale du sport ", note M. Dieng. Il estime que la construction de nouveaux lycées doit tenir compte de tout cela.

Faire de l'école l'antre du sport

Tout en déplorant les maux qui gangrènent la discipline, Djiby Dieng estime que l'Eps doit être mieux valorisée afin de contribuer efficacement à la bonne santé des jeunes et à la promotion du sport à l'école.

Proviseur au lycée Plan Jaxaay, dans le département de Keur Massar, Tamsir Sylla est très sensible à l'exercice du sport dans les écoles. Notamment, la discipline de l'Eps. Selon lui, cette discipline est primordiale, car elle permet d'éviter aux élèves de plonger dans des dérives. " Les profs d'Eps interviennent là où nous avons le plus besoin d'aide et d'assistance aux élèves.

Non seulement il l'instruit, lui donne des connaissances, mais les profs d'Eps sont aussi des coaches. Ils savent parler aux élèves, les amuser, les récupérer et les mettre sur la bonne voie à travers la pratique du sport et la maîtrise du corps ", fait remarquer le Proviseur du lycée Jaxaay. Selon lui, aujourd'hui, là où l'école a le plus failli, ce n'est pas dans l'instruction, mais surtout dans l'éducation et l'Eps aide pour lutter, par exemple, contre le décrochage scolaire, la déperdition scolaire, contre les mauvais comportements, le tabagisme, l'alcoolisme, voire la violence à l'école.

Un exercice primordial souvent négligé

Le proviseur du lycée Plan Jaxaay, Tamsir Sylla, déplore le fait que l'Eps reste le parent pauvre des disciplines dans le système éducatif. " Il y a beaucoup de paramètres qui laissent penser que l'Eps est traitée en parent pauvre. Il y a d'abord le coefficient jugé trop faible de la matière. Au Bac, par exemple, l'Eps n'est pas considérée comme une matière. C'est-à-dire que quand l'élève a plus de 10, on lui fait un bonus. Quand il a moins de 10, on lui fait une soustraction de points ", a rappelé le Proviseur.

" Nous voulons que l'Eps soit une discipline notée, non pas sur 20, mais sur 40. Les élèves font l'Eps une fois par semaine pour deux heures. Je crois qu'on doit le faire deux fois par semaine ", soutient également M. Sylla. Il est d'avis que " si les élèves comprenaient l'utilité du sport, l'humanité pourrait échapper à beaucoup de maladies et de fléaux ". Le Proviseur du lycée de Jaxaay note quelques préalables pour que cet exercice soit une source d'épanouissement. Il s'agit notamment du renforcement des infrastructures et du matériel. " Nous devons aussi construire des infrastructures sportives adéquates dans nos établissements.

Heureusement, dans le lycée moderne de Rufisque que j'ai fréquenté comme Censeur, le lycée de Thiaroye ou au lycée de Jaxaay, nous avons des terrains de basket, de handball ou de football ", a dit le Tamsir Sylla. Il est d'avis que le sport ne peut pas se faire sans infrastructures. L'Eps, a-t-il rappelé, est une discipline primordiale, mais qui doit être encadrée sur le plan médical. " C'est souvent là où le bât blesse ", fait remarquer le Proviseur qui s'empresse de revenir sur une doléance des chefs d'établissements : le manque de visite médicale.

" On ne peut pas effectuer une visite médicale sérieuse et complète en moins de deux heures pour un effectif de plus de 1000 élèves. C'est-à-dire une ou deux minutes par élève. Ce n'est pas sérieux ", a déclaré M. Sylla. Il déplore aussi le fait que des élèves de Seconde et de Première ne bénéficient même pas de la visite médicale. Celles-ci sont seulement réservées aux élèves en classes d'examen. " Les visites bâclées ou faites au rabais sont à l'origine des accidents qui surviennent souvent dans l'exercice de l'Eps dans les écoles ", déplore le Proviseur du lycée Plan Jaxaay.

Une discipline bien encadrée par les textes

Interrogé sur la pratique de cet exercice à l'école, le Chef de la division sports et loisirs au Ministère de l'Éducation nationale, note le caractère obligatoire de la visite médicale avant toute activité physique. " L'aptitude est recommandée avant tout exercice, par l'élève, concernant l'Eps ", note Moussa Dia. Toutefois, il reconnaît que cette recommandation n'est effective que pour les élèves en classe d'examen (Bfem, Baccalauréat).

Moussa Dia pense donc qu'il est nécessaire d'outiller davantage les inspections médicales des écoles (IME) et de sensibiliser tous les acteurs du système éducatif pour une meilleure prise en charge de la santé des élèves. La pratique de l'éducation physique et sportive, dit-il, permet le bon développement du corps des enfants ainsi que leur épanouissement, à travers leur bien-être physique et mental. Tout cela a souvent des répercussions positives sur l'investissement de l'élève en classe ".

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